
Depuis quelques années, la Tribune Mordelles se distingue par sa porosité aux franges hooligans d’extrême droite. L’orientation politique du fief du Roazhon Celtic Kop 1991 a évolué dans les années 2010, tournant le dos et trahissant les valeurs antiracistes d’origine.
Soir de derby face au FC Nantes au Roazhon Park: une quinzaine d’ultras d’extrême droite du Real Saragosse prennent tranquillement la pose en tribune Mordelles. La photo, où fusent les “saluts de Kühnen” d’inspiration néo-nazie, a ému une partie de la communauté des supporters du Stade Rennais. La présence de ces ultras du Ligallo Fondo Norte – ainsi que celle de quelques nervis tourangeaux – aux côtés des Rennais avait déjà fuité sur les pages dédiées aux bagarres de hooligans, relatant l’affrontement les ayant opposé aux Nantais dans les heures suivant le match.
Fondé en 1986, le LFN est un repaire néo-fasciste connu de tous les suiveurs du monde des tribunes et des rivalités politiques. Outre les liens avec les “indéps” rennais, dont les premiers contacts semblent remonter à moins de dix ans, le groupe a des affinités fortes avec les ultras du Polonia Varsovie et ceux du Real Mallorque. A l’inverse, il est logiquement en conflit avec les groupes antifascistes de la péninsule ibérique: de l’Avispero Ultra – l’autre groupe du Real Saragosse – aux Riazor Blues de La Corogne, en passant par les Indar Gorri d’Osasuna.
Comment une tribune antiraciste peut tourner?
La proximité avec le Ligallo Fondo Norte – notamment présents dans le parcage rennais à Milan en février 2024 – sont un triste symbole de cette bascule politique observée en Mordelles. En septembre 2005, le Stade Rennais éliminait Osasuna et se qualifiait pour sa première phase de groupes de Coupe de l’UEFA. Dans les tribunes d’El Sadar à Pampelune, une banderole des Indar Gorri souhaite la bienvenue, en breton, au RCK: “Degemer Mat RCK!”. A travers la venue des camarades bretons, les antifascistes basques ne manquent pas de saluer aussi le braquage de huit tonnes d’explosifs, survenu six ans plus tôt dans l’entrepôt Titanite de Plévin. Plus tard, les Indar Gorri et le RCK s’inviteront mutuellement à leurs anniversaires, sans pouvoir être présents.

L’ironie verra une poignée de Rennais accompagner leurs amis du Ligallo lors d’un déplacement à Pampelune en 2019. Nul besoin qu’il s’agisse d’une majorité, le simple fait que ces liens soient tolérés dans la tribune la plus animées est en soi problèmatique. Comment une tribune qui affichait fièrement son antiracisme au début des années 2000 a pu tourner, sans rencontrer de réelle opposition? Auparavant, les éléments séduits par les sirènes brunes tentaient leur chance en migrant dans la tribune d’en face. Entre 2003 et 2011, les Breizh Stourmer puis les Unvez Kelt ont ainsi hébergé quelques fafs, sans que la sauce ne prenne réellement en tribune.
L’identité antiraciste de la Tribune Mordelles s’est peu à peu estompée avec le changement de génération, remontant au début des années 2010. Un véritable virage s’est opéré avec un recentrage du RCK 91 sur la mentalité et les codes ultras. Derrière le gros travail d’animation et une qualité reconnue en matière de tifo, le groupe a aussi adopté une façade apolitique. “Ça ne nous a apporté que des emmerdes“, justifiait un membre du groupe en 2018, à propos de la politisation. Revendiqué à la base comme un gage d’indépendance, l’apolitisme est bien souvent une porte ouverte et un cheval de Troie pour les fascistes. Non cartés, ces derniers gagnent un certain respect en faisant le coup de poing face aux groupes adverses. Leur présence, souvent discrète, est connue et tolérée par les groupes ultras officiels censés “tenir” la tribune.
De la tolérance à la complicité
A Rennes, ces pénétrations de l’extrême droite radicale prennent les noms de “Roazhon 1901” ou “Jeunesse Roazhon”. Des regroupements hooligans comme il en existe à Reims, Lyon ou Strasbourg et qu’on peut facilement relier à la mouvance “Ouest Casual”, du nom d’une boucle Telegram comptant plusieurs milliers d’abonnés. Cette stratégie de rapprochement avec le monde des tribunes et les groupes de supporters a été documentée et cartographiée par le média Streetpress.

La proximité entre les ultras officiels et ces officines hooligans se vérifie parfois de façon plus concrète. En mai 2022, avant le coup d’envoi du match Stade Rennais – OM, le RCK a déployé un immense portrait de Jean-Marie Gontier – supporter rennais tué d’un coup de couteau quelques jours plus tôt – avec l’inscription “Heroes never die”. Lié au RCK, sur différents réseaux sociaux ou comptes d’extrême droite, les hommages l’ont aussi abondamment présenté comme un membre des Roazhon 1901, sans que l’affirmation ne soit démentie.
Les initiatives antiracistes avec les Joyriders sochaliens ou la Horda messine sont de lointains souvenirs. Depuis le message “Celtic People against racism”, arboré dans le Kop à l’occasion de la réception du Celtic FC en 2011, jusqu’à la photo des néo-nazis de Saragosse au bas de la tribune Mordelles, moins de quinze ans se sont écoulés. Le stade n’est pas un bulle extérieure à ce monde qui voit le fascisme monter en puissance partout. Et, comme dans la rue, les fascistes et leurs avatars cherchent à y imposer leur agenda. La “tolérance” – déjà incompréhensible – de ces franges est de moins en moins distincte de la complicité. En Tribune Mordelles, on croirait voir dérouler un tapis rouge.
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