Stade Rennais – FC Nantes, une rivalité bretonne

(©Imago)

La Bretagne est une terre de foot où se côtoient de nombreux clubs avec une identité locale forte, et deux fleurons: le Stade Rennais et le FC Nantes. Deux institutions séparées d’une centaine de kilomètres et qui entretiennent une des rivalités les plus épidermiques du football hexagonal. Passage en revue du “Derby Breton”.

Un derby Nantes-Rennes ou Rennes-Nantes n’est jamais anodin. La rivalité est cultivée dès les équipes jeunes, mais médiatiquement, elle reste relativement mal comprise. Dans l’élite, les Rennais ont appris à rendre les coups après plusieurs décennies de suprématie nantaise. Car c’est bien de suprématie régionale dont il est question dans ce derby. Un match qui se joue sur le terrain, en tribune et parfois dans la rue. Certains préfèrent parler de “Derby de l’Ouest”, mettant à distance l’identité bretonne qui l’habite. Et il existe encore des supporters rennais – et même parfois nantais – pour affirmer que Nantes ne serait pas une ville bretonne. Reste à faire le tri entre la part évidente de chambrage, la méconnaissance et la paresse intellectuelle.

Nantes est bretonne

Il est souvent nécessaire de rappeler que la ville – qui a longtemps été la résidence privilégiée des Ducs de Bretagne – n’a été séparée de la Bretagne qu’en juin 1941, par un décret du régime de Vichy et que cette décision n’a jamais été révisée depuis. L’élite sociale nantaise – dont une bonne partie tirait sa fortune de la traite négrière – était favorable à cette partition, par mépris pour le prolétariat bas-breton venu de Bretagne occidentale se faire exploiter dans l’industrie portuaire et les chantiers navals. Si on y parlait surtout gallo, c’est le breton que Rennes et Nantes préfèrent mettre à l’honneur dans la traduction de leur nom: Roazhon et Naoned.

A travers son nom, le Roazhon Celtic Kop, montre son attachement à l’identité bretonne de la ville de Rennes (©Icon Sport)

A l’image de l’hymne “Bro Gozh ma zadoù”, diffusé avant chaque match à domicile du Stade Rennais depuis septembre 2009, les clubs bretons participent à la défense de la culture celte. En juillet 2019, ils ont dans ce sens tous signé une “Charte des derbys bretons”… à l’exception du FC Nantes. On parle de pressions diverses, notamment de la région Pays de la Loire. Il existe en effet des forces politiques et des institutions hostiles à toute mise en avant de l’identité bretonne en pays nantais, a fortiori autour du club ligérien, au risque de faire apparaître un décalage avec les aspirations d’une partie du peuple Jaune et Vert attaché aux racines culturelles de leur ville.

Il faut bien reconnaître que les origines du FC Nantes, fondé en 1943 par Marcel Saupin et Jean Le Guillou, des collaborateurs notoires, ont peu à voir avec la Bretagne. Ces fantômes collaborationnistes continuent de planer au dessus du club. A la mort de Saupin en 1963, la municipalité ira même jusqu’à donner son nom au stade. “Le grand FC Nantes jouera pendant plus de vingt ans dans une enceinte qui portera le nom d’un illustre collaborateur“, souligne Richard Coudrais pour les Cahiers du Football, dans un article sans complaisance pour ce qui reste un des clubs qui a marqué l’histoire du football français de son emprunte et d’un style de jeu incarné par Arribas, Suaudeau ou Denoueix.

Rennes gagne enfin à Nantes après 41 ans de disette

Le club nantais a fait mieux que rattraper son retard par rapport au Stade Rennais Université Club (SRUC), né en 1904 et qui a fait partie de la première génération de clubs à accéder au professionnalisme en 1932. Si la rivalité entre les deux villes – qui se disputait le statut de capitale bretonne – remonte au moins à l’an mil, dans le football elle n’a pas été immédiate. Club plus jeune, le FC Nantes n’accède pour la première fois à l’élite du football hexagonal qu’en 1963. Mais les premières rencontres officielles entre les deux clubs datent des années 50, en 2e Division. La période, sportivement dominée par les Rouge et Noir, est alors à la “coexistence fraternelle” pour reprendre les termes du journaliste François Rauzy.

Le spectaculaire SRUC de Jean Prouff affiche même beaucoup de respect pour le magnifique FC Nantes de José Arribas. La meilleure illustration de cette concorde régionale est la célébration commune, dans les locaux du journal Ouest-France en 1965, du premier des huit titres de Champion de France décrochés par le FC Nantes et de la première des trois Coupes de France glanées par le club rennais. Une autre époque! Devenu Stade Rennais FC, le club bretillien va rentrer dans le rang en 1975 et retrouver une D2 quittée dix-sept ans plus tôt. C’est le début des fameuses années “yo-yo” des Rouge et Noir qui ne se stabiliseront à nouveau dans l’élite qu’à partir de la saison 1994/95. Entre-temps, les Canaris ont accroché cinq titres de champion de plus à leur palmarès.

Les Rennais n’ont découvert la saveur d’une victoire à la Beaujoire que le 4 janvier 2006. Les hommes de Laszlo Bölöni s’étaient imposés 2 buts à 0 grâce à Étienne Didot et John Utaka. Il fallait remonter au 22 novembre 1964 pour retrouver trace d’une victoire en terre nantaise. C’était au Stade Malakoff, qui ne s’appelait pas encore Marcel-Saupin. Ce match de 2006 a des airs de changement d’époque. Un an et demi plus tard le FC Nantes allait retrouver une 2e division quittée 44 ans plus tôt. En guise d’adieu, un envahissement de terrain des supporters nantais offrait une victoire sur tapis vert à Toulouse et une qualification pour la Ligue des Champions, au détriment du Stade Rennais.

Tribunes apolitiques mais pas trop

La rivalité réelle telle qu’on la connaît aujourd’hui va surtout prendre de l’ampleur avec l’émergence du supportérisme organisé et du mouvement ultra dans les deux villes. Côté nantais, les premiers groupes apparaissent dans les années 80, avec la Loire Side dissoute en septembre 1989 après des incidents lors d’un déplacement à Caen. Le groupe arbore fièrement le drapeau bleu blanc rouge en tribune et imprime une tendance nationaliste qui va perdurer sous la bannière des Young Boys, tandis que les Yellow Power et surtout les Urban Service vont alors représenter les franges “hools” de la Tribune Loire.

Le RCK91 affiche son antiracisme lors de la réception du Celtic en Coupe d’Europe en octobre 2011 (©DAMIEN MEYER/AFP via Getty Images)

A Rennes, en gestation dans la Tribune Mordelles depuis 1987, le Roazhon Celtic Kop est officiellement créé en 1991. La politique n’y joue pas un grand rôle, ou alors de façon légèrement fantasmée. Il se raconte qu’on y éprouvait une certaine sympathie pour la gauche indépendantiste bretonne. Ce qui est certain c’est que l’antiracisme y était de mise. Les amitiés entretenue à l’époque avec les Joyriders de Sochaux et la Horda Frénétik du FC Metz vont dans le même sens, tout comme les liens avec les Indar Gorri d’Osasuna, club basque rencontré en Coupe d’Europe en 2005.

Ce marquage politique de la Tribune Mordelles s’est progressivement estompé avec le changement de génération, plus à cheval sur les codes et la mentalité ultra que les anciens. Pire, en gagnant en puissance elle semble être devenue moins étanche aux pénétrations de l’extrême-droite de la firme hooligan “Roazhon 1901”, un groupe “indép” comme il en existe à Reims, Lyon ou Strasbourg. Leur présence discrète, qui est heureusement loin de faire l’unanimité, est une conséquence de l’approche apolitique dorénavant revendiquée par le RCK 91. “On ne fait plus de politique parce que ça ne nous a apporté que des emmerdes“, confiait un membre du groupe, en 2018, aux auteurs de Supps Par Terre.

Un derby “ça se gagne”

Ennemi juré du RCK, la Brigade Loire a fait sa première apparition officielle en janvier 1999 lors d’un déplacement à Lorient. Évolution majeure par rapport à ses ancêtres: le Gwen ha Du breton est régulièrement exhibé en tribune. Depuis 2014 et la réforme territoriale, la revendication d’une Bretagne réunifiée “de Brest à Clisson” gagne du terrain dans la Cité des Ducs et ça rejaillit, par touches, à la Beaujoire. Les manifestations annuelles sont dominées par la gauche indépendantiste, encore plus vigilante depuis que l’extrême-droite ait tenté de s’y faire une place en 2016. On peut souvent y croiser des drapeaux bretons aux couleurs jaune et vert du FC Nantes.

En septembre 2014, à l’occasion de la réception de l’OL, la Brigade Loire rend hommage à l’identité bretonne de sa ville: Naoned, avec le message “Donemat deoc’h ba’ker dugelezh breizh”  qui signifie “Bienvenue dans la cité des ducs de Bretagne”.

Le RCK comme la BL sont restés relativement neutres à ce sujet. Après quatre saisons en Ligue 2 entre 2009 et 2013, les retrouvailles s’annonçaient bouillantes. Et la nuit précédent le match aller Route de Lorient, des supporters nantais ont pénétré dans le stade pour s’emparer du tifo prévu par le RCK. Touché au cœur, le groupe rennais se mettra en sommeil non sans avoir essayé d’aller en découdre avec le parcage nantais avant le début du match. Ironie du sort, le RCK va s’affirmer au cours des années suivantes comme une véritable référence hexagonale, et même au-delà, en matière de tifos. D’autres échauffourées auront lieu aux abords du Roazhon Park en 2021.

Aujourd’hui le rapport de force général s’est globalement inversé entre les deux clubs, à la faveur d’un Stade Rennais solidifié par l’argent de la famille Pinault. Alors qu’au FC Nantes, la gestion unilatérale du président Waldemar Kita est contestée par une grande partie des supporters, dont l’association “À la Nantaise” qui agit pour redonner au club son lustre d’antan, en promouvant un modèle d’actionnariat populaire. En son temps, Valentin Rongier contestait cette idée d’une “passation de pouvoir” entre Rennes et Nantes. Au delà des petites phrases, la vérité d’un derby c’est que ça se gagne avant tout sur le terrain.

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