Symbole de mécontentement des supporters, d’où vient le “Tennis ball protest”?

(©Getty images)

Que ce soit pour protester contre la VAR en Norvège, ou contre les matchs en semaine en Ligue 2, on a vu à plusieurs reprises des supporters perturber les matchs en jetant des balles de tennis sur le terrain. Présentation de ce mode d’action bon enfant, connu outre-Manche sous le nom de “tennis ball protest”, qui sert à exprimer son opposition aux divers décideurs et aux dérives du football commercial.

Les trois premières journées du championnat de Ligue 2 ont été marquées par de nombreuses banderoles dénonçant le diffuseur BeIn Sports et la programmation des matchs en semaine. Parmi les diverses actions organisées, certains ont provoqué l’interruption temporaire des matchs en jetant des dizaines de balles de tennis sur la pelouse, comme lors de Metz-Bastia ou de Lorient-Grenoble. Ces actions visant à perturber les matchs et leur retransmission s’inscrivent dans le mouvement général de grève des groupes de supporters.

Dans l’Hexagone, le même type de scène avait déjà eu lieu en janvier 2022 au Stade Bauer. Une pluie de balles de tennis venue de la Tribune Rino Della Negra avait retardé le coup d’envoi du match de National entre le Red Star et Stade Lavallois. L’action, visant à dénoncer la programmation de la Fédération, était accompagnée d’une banderole: “Matchs en semaine, horaires indécents / FFF: vous nous prenez pour des billes, on vous renvoie la balle”. Une certaine manière d’accorder le message et l’action, ce qui n’est pas toujours aussi évident.

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La question des horaires et des programmations est souvent au cœur des conflits entre les supporters les plus actifs et les instances qui cèdent aux caprices des diffuseurs. Lors de la saison 2010/11, le duel au sommet de Super League suisse entre le FC Bâle et le FC Lucerne, décalé le dimanche à 12h45 pour cause de diffusion d’un match de tennis entre Federer et Djokovic, les supporters des deux clubs s’étaient accordés pour exprimer leur colère en jetant à deux reprises des milliers de balles de tennis sur le terrain. Ceux qui avaient privilégié, la veille, le 1er tour de l’ATP de Bâle étaient servis!

En février 2018, lors du match du lundi soir entre Francfort et Leipzig a été interrompu quelques minutes par l’action des supporters locaux, opposés à cette programmation. (©Getty images)

Dans leur lutte contre la commercialisation outrancière du football, les tribunes allemandes sont aussi coutumières du “tennis ball protest”. Quand la Ligue allemande de football (DFL) a décidé de programmer un match le lundi soir à partir de la saison 2017/18, les groupes de supporters s’y sont opposés par une palette d’actions. De nombreux collectifs de supporters ont utilisé les balles de tennis pour perturber le bon déroulé des matchs. Quelques mois plus tard, la DFL a fait marche arrière et annoncer que le match du lundi serait retiré à compter de la saison 2021/22. Une victoire qui en a appelé d’autres, notamment celle contre l’ouverture aux fonds d’investissement.

Les racines anglaises du “tennis ball protest”

Le mode de protestation à base de jets de balles de tennis n’est pas nouveau. La première manifestation du genre remontent à la fin du 20e siècle. Ses inventeurs seraient les supporters de Hull City, furieux des agissements et de la gestion hasardeuse du propriétaire de l’époque, David Lloyd. Ce modeste tennisman retraité (128e mondial à son prime) qui a fait fortune dans le business des salles de sport, possédait également les Sharks, équipe locale de rugby à XIII et avait notamment le projet de déménager l’équipe de football de son stade de Boothferry Park.

Lors d’un déplacement à Bolton, le 15 septembre 1998 pour un match de League Cup, ils manifestent leur colère. La balle de tennis est l’instrument tout trouvé pour renvoyer l’ancien capitaine de la Grande-Bretagne en Coupe Davis à son sport de prédilection. La mobilisation aura raison de Lloyd qui cèdera le club deux mois plus tard. Hull est une des villes les plus ouvrières d’Angleterre et, même si elle n’est pas théorisée ni exprimée de façon limpide, c’est aussi l’opposition entre le caractère populaire et collectif du football et la tradition du tennis, sport individuel et bourgeois.

Southend, réception d’Eastleigh Alors en D5, l’endettement du club avait conduit les instances à lui infliger une pénalité de 10 points (août 2023). (©Focus images)

Dès lors, la pratique va régulièrement refaire surface. Ce qu’on appelle le “Tennis Ball Protest” exprime ainsi une résistance pacifique des fans face aux manœuvres de propriétaires richissimes et déconnectés des aspirations de la base sociale des clubs, souvent endettés. Dans les années 2020, il y en a eu plusieurs dans les divisions inférieures, à Reading, Sheffield Wednesday ou Blackburn Rovers; mais aussi jusqu’en D5 ou D6 à l’image des supporters de Southend United et de York City. L’expérience montre que dans la grande majorité des cas, ces happenings ne suffisent pas.

A Reading, les 224 balles lancées à l’initiative du groupe “Sell Before We Dai” n’ont pas fait bouger d’un pouce le propriétaire chinois du club, Dai Yongge, appelé à mettre le club en vente. Il est toujours à l’heure actuelle entre ses mains, comme Sheffield Wednesday entre celles de Dejphon Chansiri, milliardaire thaïlandais, ou encore Blackburn Rovers avec Venky’s, filiale d’un conglomérat indien. En attendant le grand soir et la libération des clubs de la mainmise des capitalistes, la juste cause défendue par les partisans d’un football plus populaire est mise en lumière.

Les gestions désastreuses des dirigeants sont un fil rouge du football moderne. Un sentiment d’éternelle répétition familier aux fans de Hull City. Deux décennies après Lloyd, une nouvelle fronde menée cette fois-ci par le collectif “Hull City Action For Change” a visé Assem Allam et son fils Ehab, devenus propriétaires en 2010. S’ils ont depuis cédé le club à la société turque Acun Medya, lors de la saison 2017/18, le collectif s’était rappelé au bon souvenir des pionniers de 1998 en reprenant la même façon d’exprimer de leur mécontentement.

Au cœur de ce rapport de force entre supporters et dirigeants prend forme une lutte de classes où la question de la propriété du club est un point de crispation. Ces actions qui interrompent les matchs ne sont pas toujours bien prises ni comprises par une partie du public qui peut se retourner contre les protestataires. Mais l’attachement communautaire à son club doit servir de guide. Interrogé par les médias, un fan de Hull City avait par exemple confié ne pas connaître les raisons de l’action, sans pour autant s’en dissocier: “Le football est pour le peuple, pas pour les propriétaires, pour le peuple.”

 

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