Vlahović ou les pieds dans le tapis identitaire

Dušan Vlahović ne s’attendait probablement pas à ce qu’une de ses célébrations avec l’équipe nationale serbe refasse surface à l’annonce de sa possible signature au Paris-Saint-Germain. Une dizaine de supporters du club de la capitale ont posé derrière une banderole hostile à l’arrivée de l’attaquant de la Juventus.

La cote de Dušan Vlahović est élevée chez les cadors du football européen. Le PSG, qui va peut-être se séparer de Kylian Mbappé, tient la corde pour récupérer le buteur serbe. Mais certains supporters ne l’entendent pas de cette oreille et ont voulu le faire savoir. A l’extérieur de la tribune Auteuil, quelques supporters ont ainsi déployé une banderole non signée où on pouvait lire “Vlahovic à Paris on te coupe tes 3 doigts”. Vite devenue virale sur les réseaux sociaux, la banderole a pu sembler obscure à beaucoup de monde.

A lire: Serbie: une qualification et une célébration ultra-nationaliste

Il s’agit d’une référence aux célébrations de plusieurs joueurs de l’équipe nationale de Serbie dont Dušan Vlahović effectuant un salut à trois doigts, souvent confondu avec le “salut de Kühnen”, utilisé par les franges néo-nazies. Les sportifs serbes effectuent souvent ce salut à trois doigts pour fêter leurs succès, servant au passage de caisse de résonance aux revendications irrédentistes des adeptes de la “Grande Serbie” qui refusent de reconnaître l’indépendance du Kosovo, pays à majorité albanaise.

“Dieu, Patrie et Famille”, un doigt chacun

On se souvient par exemple des célébrations en novembre 2021 à l’occasion du match au Portugal validant la qualification pour le Mondial 2022 au Qatar. Ce salut, dont le sens fait débat, existe depuis plusieurs siècles en Serbie où sa signification originelle est essentiellement religieuse: les trois doigts symbolisant la Sainte-Trinité. Depuis la guerre, en raison de l’utilisation massive de ce salut, certains y voient une allégeance au triptyque “Dieu, Patrie et Famille”. Une interprétation parmi d’autres qui, en plus d’évoquer une devise de régime fasciste, colle à l’ambiance nationaliste débridée en Serbie. Elle demeure toutefois sujette à caution.

Depuis quelques décennies, ce salut reste malgré tout clairement assimilé aux courants ultra-nationalistes, nostalgiques des Tchetniks et chez qui l’identité orthodoxe est un pilier. La folie ethnico-religieuse qui a entraîné la Yougoslavie dans la guerre au début des années 90 n’est jamais loin. Dans le cas de Dušan Vlahović, soucieux de soigner son image et sa communication, le joueur a supprimé les photos de son compte Instagram. En équipe nationale et dans son pays, les choses sont un peu différentes.

Dans un foot des nations où les sélections servent la politique nationale, l’attaquant est au diapason de son pays. Mais son inclinaison nationaliste ne se limite pas à des symboles massivement repris par des sportifs imbibés de délires identitaires et élevés dans l’apologie de la “serbité” depuis leur enfance. Plusieurs journalistes, dont l’émission italienne Report, ont enquêté sur les agents du joueur et ses liaisons plus ou moins directes avec le gouvernement d’Aleksandar Vucić.

Entourage sulfureux depuis le Partizan

Pour remonter à la source de ces liens, il faut s’intéresser au Partizan, club de Belgrade sous influence directe du régime et où Vlahović a fait ses premiers pas professionnels. Depuis l’adolescence, ses intérêts sont ainsi gérés par International Sport Office de Belgrade (ISO), l’agence dont il a été le premier joueur sous contrat et qui a organisé son départ pour la Fiorentina à l’âge de 17 ans, en compagnie de Nikola Milenković. Fondée par Dejan Grgić, ISO a obtenu dès sa création l’exclusivité des droits de représentation des joueurs du Partizan. Son influence sur le football serbe est immense.

Les relations d’affaire et le réseau politique des agents de Vlahović mènent ainsi au secrétaire général du gouvernement Novak Nedić dont le père a été vice-président du Partizan jusqu’en 2016. Proche de Grgić – qui a été en affaires avec sa famille – Nedić est aussi connu pour sa proximité avec le crime organisé et les franges les plus radicales des hooligans du Partizan qui n’ont jamais renoncé à entretenir la mémoire des criminels de guerre comme Ratko Mladić. Lors des manifestations anti-gouvernementales de mai 2023, il a été vu à la tête d’un groupe de nervis venus briser un piquet à Pančevo.

Fin 2021, le réseau KRIK qui travaille sur la corruption et le crime organisé, a ajouté que Danilo Vucić – fils du président serbe et lui aussi proche des hooligans nationalistes du Partizan – serait apparu dans un rôle d’intermédiaire ou d’agent officieux dans les négociations, qui ont capoté, pour la prolongation du contrat de Vlahović à la Fiorentina. Les éléments rapportés par différents médias ont été formellement démentis par le gouvernement comme par Darko Ristić, directeur d’ISO.

Tête de gondole et poule aux œufs d’or

L’échec des négociations avec la Fiorentina a laissé quelques traces en Italie et a attiré l’attention sur l’entourage de l’attaquant qui, selon le journaliste italien Antonio Musella, réclamait le triple de la proposition déjà pharaonique du club florentin, en plus de 10% sur le montant de la future vente et surtout l’exclusivité des négociations avec les clubs intéressés. Derrière Dušan Vlahović, on le voit, le système en place dépasse le cas de simples mandataires un peu trop gourmands.

En tant que principale star du football serbe, l’attaquant est la tête de gondole d’une autre “trinité” – formée par ISO, le Partizan et l’état serbe – autant liée par l’ultra-nationalisme que par les bénéfices tirés de la marchandisation des meilleurs espoirs nationaux. Dans ce schéma, la Fédération serbe de football (FSS) n’est pas en reste quand il s’agit de relayer la propagande gouvernementale. Ce fameux soir de novembre 2021, elle avait distribué aux joueurs un t-shirt frappé d’une carte de la Serbie intégrant le Kosovo dans ses frontières et le slogan “Veseli se srpski rode!”.

Ces mots, qu’on peut traduire par “Réjouissez-vous peuple serbe!”, reprennent aussi le titre d’une célèbre chanson patriotique et bigote où on peut entendre “Que le drapeau serbe flotte de Prizren à Rumija”, deux villes respectivement situées au Kosovo et au Monténégro. Cette initiative avait débouché sur une plainte de la Fédération kosovare. Tous les joueurs n’ont, semble-t-il, pas enfilé ce t-shirt, mais Vlahović et son compère Nemanja Radonjić – connu dans l’Hexagone pour son passage quelconque du côté de l’OM et autre poulain de Grgić – ne se sont pas faits prier.

Cible d’insultes anti-tziganes

Au petit jeu macabre des identités nationales, on n’est jamais à l’abri de se faire traiter d’untermensch par un de ces “imbéciles heureux qui sont nés quelque part” moqués par Brassens. Dušan Vlahović l’a appris à ses dépends, ciblé par une abominable banderole des tifosi de la Fiorentina lors de son départ à la Juventus. Menaces de mort et insultes anti-tziganes visaient le joueur. Dans cette Italie du nord où le racisme anti-méridional et l’insulte xénophobe sont des sports nationaux, être slave ou gitan justifie de se faire cracher dessus si on décide d’aller marquer des buts avec un maillot rival.

En avril 2023, cette fois-ci sous les couleurs de la Juve, ce sont les fans de l’Atalanta lui ont chanté des “Sei uno zingaro, sei uno zingaro”. Une répétition nauséeuse qui pourrait bien l’encourager à migrer vers des terres moins hostiles. Mais on a vu que si ça devait être à Paris, il allait devoir penser à laisser ses trois doigts dans son short. Pour une partie des supporters, son nationalisme est loin d’être bienvenu.

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