Drame de Thessalonique: après l’émotion, la prise de conscience collective

Peinture des Panthers 1983 de Panionios. "Bon voyage Alkis, que tu sois la raison du changement"

Très rapidement après l’annonce de la mort d’Alkis Kambanos, fan d’Aris poignardé par un hooligan revendiqué du PAOK, les messages des groupes de supporters des quatre coins du pays ont afflué. Entre la solidarité, colère et volonté de changement. 

Les banderoles déployées dans les stades les jours qui ont suivis la mort d’Alkis ont été nombreuses. Les communiqués aussi. Les tribunes grecques font partie des plus politisées d’Europe et les messages de solidarité ou de protestation y sont fréquents. Alkis n’est pas le premier supporter grec à mourir sous les coups de rivaux, mais ce coup-ci l’homogénéité des messages donne une impression rare d’unité. Reste à la transformer en actes.

Criminels pas supporters

Les nervis assimilés au PAOK et impliqués dans le meurtre du jeune fan d’Aris n’en serait pas à son coup d’essai. Le Gruppo Autonomo, ultras de la Gate 10 d’Iraklis – troisième club de Thessalonique – donne des éléments sur le contexte: « ces dernières années, une “armée organisée” a été active à Thessalonique avec la devise centrale “Une ville-une équipe”». La mort d’Alkis est le dramatique point d’orgue de toute une série d’actions lâches menées dans la ville: « des agressions à 30 sur 3, des attaques dans des magasins avec des familles à l’intérieur, des voitures brûlées etc.»

Ce visuel a beaucoup été repris sur les réseaux sociaux après la mort d’Alkis.

De Thessalonique à Heraklion, en passant par Trikala et Volos, les différents groupes qui se sont exprimés, par banderoles comme par communiqué, ont repris à ce même refrain: les assassins d’Alkis ne sont pas des supporters, ce sont des criminels. Les mots des Monsters – New Era de Larissa expriment le sentiment dominant au sein des tribunes du pays: « Nous n’avons pas seulement affaire à des personnes sans cervelle qui n’ont aucun respect pour la vie humaine, nous avons affaire à des tueurs à gages, à des incontrôlés au service de l’establishment mafieux et de l’État des armateurs et des trafiquants de drogue. Il va sans dire que ces personnes n’ont rien à voir avec le mouvement des supporters, avec le pur “supportérisme”. Ils servent les intérêts de tous ceux qui détruisent un sport taillé sur mesure pour le peuple et il va sans dire que de la même manière que nous luttons contre un football business, nous luttons pour isoler de tels éléments de nos associations et de nos vies

“Les supporters ne portent pas de couteaux”

Le contexte de la mort injuste et lâche d’un supporter aide sans doute à parler d’une même voix et à précipiter la prise de conscience collective que certains groupes appellent de leurs vœux. « Cet acte, que l’on ne peut qualifier que d’isolé, a choqué la nation, mais n’a surpris personne. Alkis n’est pas seulement une victime de la violence aveugle ou d’une bagarre entre supporters, il est clairement une victime du système pourri qui prévaut dans le football moderne» écrivent encore les Monsters de Larissa. La construction d’une riposte commune passe par isoler ces gangs rattachés au hooliganisme mafieux, mais aussi à dénoncer le système qui favorise leurs exactions. Les groupes à la pointe de ce combat ont souvent en commun leurs idéaux antifascistes, et ont en effet développé une grande défiance envers l’État, les médias et plus généralement toute forme de pouvoir, coupable selon les Panthers d’avoir ces dernières années « contribué au cannibalisme social qui mène largement à la violence

Banderole pour Alkis des Monsters de Larissa qui accusent les présidents mafieux de nourrir les meurtriers, pour leur profit.

La guerre à ceux qui prétendent défendre les couleurs de leur club en sortant les couteaux est déclarée. L’ambiance actuelle en Grèce est semblable à celle qui a agité les tribunes italiennes dans les années 90 après la mort de Vincenzo Spagnolo, ce supporter du Genoa poignardé à mort par un supporter du Milan AC. A l’époque, de nombreux groupes ultras d’Italie avaient essayé de s’unir derrière le mot d’ordre “Basta lame, basta infami” (Assez de couteaux, assez d’infamies). Sommes-nous en Grèce, à l’aube d’un mouvement similaire? « Des discussions ont actuellement lieu avec des gars de Thessalonique, Volos, Athènes, Agrinio et de tout le pays” assurent les Panthers 1983 de Panionios. “Les solutions ne peuvent être trouvées qu’en interne […]. Et cela demande un effort important et persistant – à long terme

Alkis doit devenir notre cause

Faisant leur autocritique, les Original 21 de l’AEK, un des groupes les plus influents du pays, appellent à une remise en question profonde, déplorant un réveil tardif. Pour eux, les supporters doivent repenser leur rôle social. Un rôle de solidarité authentique, combative, désintéressée, contre toutes les formes de violence et de fascisme. Et tout cela en actes, pas en paroles.”

«Plus aucun supporter ne doit mourir» écrivent quant à eux les Fentagin 1980 d’Atromitos. Aujourd’hui, la mort d’Alkis doit servir de déclic pour aller vers un changement net, de motif pour dépasser les rivalités de stade et unir les forces dans un contexte où les médias déversent leur haine sur l’ensemble des supporters radicaux. Pour les Monsters, le nom du jeune supporter d’Aris résonne comme un cri de révolte et de ralliement dans la grisaille. «Alkis doit devenir notre cause, notre arme désormais pour en finir avec la pourriture qui sévit dans notre société et son impact énorme sur le football

Édito n°41

Be the first to comment

Leave a Reply

Your email address will not be published.


*