Football féminin: les pionnières d’Öxabäck

Les joueuses de l'IF Öxaback en 1968 (©Foto Prb / TT)

Comme ailleurs, à ses débuts, le football féminin suédois a eu des visées émancipatrices. Il s’inscrivait dans le mouvement plus large pour l’égalité des sexes. L’histoire méconnue de l’équipe d’Öxabäck IF nous en dit plus sur le rôle joué par ces pionnières.

Si les premières femmes ont commencé à jouer au football à partir de 1902 en Suède, la pratique a longtemps été marginalisée à l’image des tentatives réprimées ou ostracisées dans le reste de l’Europe. Une équipe a bien été formée dans la ville de Borås dans les années 1930, mais il s’agissait d’un cas isolé. Il faudra attendre les années 70 et la dynamique internationale de renaissance du football féminin pour voir le phénomène prendre réellement forme dans le pays.

La Suède est souvent citée comme “un modèle d’égalitarisme” dans le secteur sportif, y compris au niveau des postes de dirigeants. Cette réalité est le résultat conjoint de réformes sociales visant l’égalité des sexes dans les années 70 – comme le congé payé parental sans distinction de sexe instauré en 1974 – et du développement d’une politique de “sport pour tous”. Mais aussi de l’abnégation de quelques pionnières qui n’ont pas hésité à affronter les préjugés balle au pied.

Quelques années plus tôt, les joueuses d’Öxabäck ont eu recours à diverses stratégies pour convaincre la Fédération suédoise de football, la presse et le public que leur ambition de jouer au football était sérieuse et devait être soutenue. Apparue en 1966, autour de la Gefafabriken, l’usine textile  dans un village rural de 300 habitants, l’équipe féminine d’Öxabäck a disparu en 1999 en raison de problèmes financiers. Le football féminin suédois lui doit beaucoup.

Les couturières récupèrent le ballon

L’idée de se mettre au football de façon plus sérieuse et organisée est née un soir de printemps, lors d’une sortie en boîte entre copines. Environ 80 personnes travaillaient à la Gefafabriken, dont une majorité de femmes. Elles étaient quelques-unes à avoir expérimenté le football en jouant les unes contre les autres sur le terrain de gravier jouxtant l’usine. Le conseil d’administration du club d’Öxabäck où il y avait déjà d’une équipe masculine a accepté cette demande inédite de créer une équipe féminine alors que le football était encore considéré comme un monde exclusivement masculin.

“Maman est la star de l’équipe – Papa change les couches”. Coupure de presse de 1971, conservée par Kerstin Johnson, au sous-sol de son magasin d’antiquités, situé dans l’ancienne usine Gefa. (©Markus Botsjö)

«J’ai toujours aimé le sport. J’étais la plus jeune d’une fratrie de dix enfants et j’avais six frères qui jouaient tous au football», confiait Kerstin Johnsson, couturière à la Gefa et une des fondatrices de l’équipe, au magazine en ligne Bakåtpass en 2020. La seule condition était que les joueuses prennent en charge de l’organisation, le recrutement et surtout le financement de A à Z. Pas question que l’équipe féminine représente un surcoût pour le club!

Les revendications féministes gagnaient certes du terrain dans le reste de la société, mais le combat ne faisait que commencer. Les footballeuses d’Öxabäck, qui se heurtent naturellement à de nombreuses réactions sexistes et misogynes, redoublent d’efforts pour financer leur projet. Elles organisent des loteries et vendent les tickets à l’usine pour récupérer de l’argent. Elles cousent l’écusson du club sur les maillots qu’elles ont récupéré et certaines confectionnent elles-mêmes les premiers shorts.

Dans un premier temps, elles ne sont pas non plus autorisées à utiliser les installations gazonnées utilisées par les hommes et doivent se contenter d’un terrain graveleux. Mais qu’à cela ne tienne, elles ont ouvert une porte dans laquelle d’autres vont pouvoir s’engouffrer. L’expérience des féminines d’Öxabäck a directement inspiré la création du Jitex à Göteborg, ou encore des sections féminines du Sandåkerns SK à Umeå et de l’IFK Malmö à la fin des années 60 et au début des années 70.

La force de l’ancrage rural

Après une série de matchs joués contre des garçons, elles parviennent finalement à lancer une ligue féminine dans le comté de Västra Götaland en 1968, la première de Suède. Elle comptera jusqu’à 28 équipes en 1970. «C’est en grande partie grâce à ma coéquipière Kerstin Larsson, qui a appelé la fédération et les autres équipes qui avaient commencé à se former après nous», explique Kerstin Johnson, auteure de 64 buts en 16 matches durant les matchs amicaux disputés avant le début du championnat.

L’Öxabäck IF s’est confortablement installé parmi les meilleures équipes des premières heures du football féminin suédois. L’équipe remporte la finale du premier championnat féminin officiel en battant Rättvik 3 à 0 devant plus de 1800 personnes. Soit six fois la population du village! Un record d’affluence sera même battu en 1978 avec 2800 personnes venues assister au troisième sacre national d’Öxabäck. Entre 1973 et 1983, l’Öxabäck IF se partage l’essentiel des titres avec le Jitex BK.

Sur le papier, cette situation était hautement improbable. L’équipe était loin de disposer des moyens modernes attendus pour être compétitive. Installations précaires, localisation dans une zone excentrée, peu de sponsors et budget famélique: on ne peut pas dire qu’elle partait avantagée. L’équipe a su faire de son ancrage rural un point fort. Pour Daniel Svensson et Florence Oppenheim qui ont étudié l’émergence du football féminin en Suède, « Öxabäck a utilisé son statut périphérique à son avantage ».

Avec l’arrivée sur le banc d’Ulf Svensson en 1981, Öxabäck va trouver un second souffle sur le plan sportif. L’équipe gagnera trois titres de champion supplémentaires en 1983, 1987 et 1988, auxquels il faut ajouter six coupes de Suède, faisant de cette période une ère encore plus fructueuse que celle des années 60 et 70. Le club a laissé à jamais son empreinte sur le football féminin national. Quelques vestiges et coupures de presse ont été conservées par Kerstin dans un petit musée, au sous-sol de l’ancienne usine Gefa.

Réforme du championnat féminin et lent déclin 

Pour la finale de 1983, c’est un Öxabäck revenu au sommet qui affronte Hammarby à Hagavallen devant plus de deux mille personnes et des caméras de télévision. Des membres de l’équipe masculine ont fait les gardiens de parking. A l’entrée des joueuses sur la pelouse, le public a entonné “När Öxabäck marscherar in” sur l’air d’un fameux negro spiritual, “When the Saints go marching in”.

Mary Andersson se rappelle avec nostalgie ce match dans lequel elle a inscrit un doublé. Elle est devenue à cette occasion la joueuse d’Öxabäck la plus titrée, dépassant sa mère Ebba, aux côtés de qui elle avait fait ses début dix ans plus tôt, âgée seulement de 13 ans. Ebba Andersson est une des plus célèbres pionnières du football féminin suédois. Avec ses coéquipières May Gunnarsson et Inger Arnesson, elle avait pris part en 73 à la première rencontre internationale de la Suède face à la Finlande, à Mariehamn.

La création en 1988 d’une ligue nationale marquera le début des difficultés pour l’Öxabäck IF dont les finances sont plus calibrées pour le format précédent, fonctionnant sur des championnats régionaux et une finale nationale. Cette réforme a élevé le niveau, mais elle a aussi impliqué des frais de fonctionnement plus importants. C’est devenu plus compliqué pour Öxabäck, en comparaison à ses rivales des principales villes, Gotebörg, Stockholm ou Malmö. Le club a commencé à lentement décliner.

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