“Le football est un miroir du système et, sans aucun doute, il est aussi un champ de bataille au-delà de l’aspect purement sportif.” Cet essai en langue espagnole, propose une analyse marxiste influencée autant par Walter Benjamin que par Eduardo Galeano.
Avec cet ouvrage sorti en juin dernier aux éditions barcelonaises La Vorágine, à quelques mois d’une des Coupes du Monde les plus contestées de l’Histoire, Luis Martínez Andrade – originaire de Puebla au Mexique – apporte sa pierre à l’étude et à la compréhension du football et des enjeux qui l’entourent. Il livre, selon les mots de son éditeur, “une cartographie de la pensée critique contemporaine et de l’étude des formes perverses et eurocentrées du capitalisme et de la modernité“.
Prenant le contre-pied de la déconnexion d’une grande partie des intellectuels de gauche et leur mépris du ballon rond, l’auteur revisite certaines pages tragiques de l’Histoire du 20e siècle par le prisme du football: guerre de “Cent heures”, Tchernobyl, génocide au Rwanda, guerre des Balkans, etc. Luis Martínez Andrade s’attache à étudier les contradictions d’un football qui n’a cessé d’épouser les mutations du capitalisme occidental et d’être instrumentalisé par les régimes dictatoriaux, ainsi que par les nationalismes de tout bord, tout au long du 20e siècle.
Quand Diego Maradona rencontre Walter Benjamin
A travers de courts textes formant une trentaine de chapitres, Fútbol y Teoría crítica consacre plusieurs pages aux ravages du thatcherisme sur le football, conséquence directe de la mise au pas de la classe ouvrière britannique; il revient aussi sur des expériences utopiques comme celle de la légendaire Démocratie Corinthiane durant la dictature brésilienne au début des années 80, ou encore sur le “Match de la mort” du FC Start ukrainien face à l’occupant nazi en 1943.
L’essai de 200 pages réussit le pari de la rencontre inattendue entre des personnages comme Diego Maradona, Rino Della Negra ou Juan Román Riquelme, et les figures de l’École de Francfort, principalement Walter Benjamin à qui l’auteur emprunte son approche dialectique de l’Histoire. Un exemple parmi d’autres, “Le dernier mohican” analyse la disparition du numéro 10 classique, sacrifié par le football moderne, comme un dommage collatéral de l’accélération générale de la société, théorisée par Hartmut Rosa.
La lecture de Fútbol y Teoría crítica nous conforte dans l’idée que le football n’est pas le territoire perdu de la critique auquel une partie de l’intelligentsia de gauche semble vouloir le réduire. Au contraire, s’il est un miroir de la société capitaliste, alors il en reflète aussi les antagonismes et les résistances. On ne peut que partager la conclusion du prologue du livre de Luis Martínez Andrade: “Nous ne devons plus permettre aux puissants de s’enrichir avec le football. De la même manière que nous les exproprierons des moyens de production, nous leur arracherons le ballon des pieds.” À bon entendeur.
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