Guerre d’Espagne: le bref été du syndicat des footballeurs de l’UGT

Le 30 juin 1926 marque la légalisation du football professionnel en Espagne. Le pays vit alors sous le joug de la dictature militaire de Primo de Rivera qui a, pour plusieurs raisons, intérêt à développer un championnat de football unifié à l’échelle nationale. Mais le premier syndicat regroupant footballeurs, masseurs et entraîneurs, ne voit le jour que dix ans plus tard au sein de l’UGT.

Principal foyer industriel de la péninsule ibérique, la Catalogne avait aussi un peu d’avance niveau football puisque le professionnalisme y a été instauré dès 1917. Avant cela, les footballeurs des meilleurs clubs du pays étaient rémunérés sous le manteau ou de façon détournée. Une pratique appelée amateurisme « marron ». Un contournement de la législation, en vogue dans d’autres pays, tout à l’avantage des dirigeants de clubs. L’instauration du professionnalisme constitua une avancée sociale et clarifia le statut des footballeurs qui ne se dotèrent pas d’emblée d’un syndicat. Tout juste, l’historien José Ignacio Corcuera mentionne-t-il que Félix Pérez, ancien joueur du Real Madrid passé ensuite par le Racing Club de Madrid, essaya sans trop de réussite de mobiliser ses coéquipiers.

Canalisation des régionalismes

La Guardia Civil devant le Camp de les Corts en 1925, année où le stade va être suspendu six mois pour des sifflets contre l’hymne national.

Traditionnellement, les divers régimes fascistes, en Italie ou plus tard le régime de Vichy, exaltant un sport au seul service de l’amour de la patrie, étaient hostiles au professionnalisme. Si le régime de Primo de Rivera ne s’y oppose pas, c’est qu’il y trouve un intérêt pour structurer le football espagnol. Trois ans après la légalisation du professionnalisme, la toute première Liga organisée à l’échelle du pays voit le jour. Avant ça, hormis pour la Copa del Rey crée en 1902, les seules compétitions étaient locales (championnats de Catalogne, de Guipúzcoa, de Vizcaya ou encore Coupe d’Andalousie). En 1926, ragaillardie par sa victoire dans la Guerre du Rif, menée avec la France, la dictature ouvrit son gouvernement aux civils. Ce qui, après trois années de gestion exclusivement militaire et de violente mise au pas du prolétariat, était censé passer pour un signe d’assouplissement. La structuration du football comme divertissement de masse présentait un intérêt certain pour le pouvoir, d’autant que les casinos et les salles de jeu avaient été interdits (ils le restèrent jusqu’à la mort de Franco en 1975). Mettre en place une Liga uniforme sur tout le territoire, était aussi un moyen d’intégrer les clubs basques et catalans à une compétition « nationale » et une manière de rappeler l’autorité de l’État sur ces régions où les velléités indépendantistes étaient fortes et s’exprimaient, entre autre, dans les tribunes.

IIe République

Peu après la chute de la dictature en 1930, la IIe République espagnole a été proclamée. La CNT est sortie de la clandestinité auréolée de n’avoir jamais pactisé avec le pouvoir, contrairement à l’UGT et sa ligne « du moindre mal » qui lui avait permit d’obtenir du régime dictatorial le monopole syndical. Dans ce pays pauvre et majoritairement rural, la République promet de mieux répartir les terres accaparées par de grands propriétaires et d’améliorer la condition des ouvriers. Si les footballeurs ont conscience d’être des salariés un peu mieux lotis, car correctement payés par rapport aux autres, cela n’empêche pas qu’ils revendiquent d’être mieux traités. Les graines du futur syndicat ont peut-être été plantées en juin 1936 lors du banquet du Real Madrid pour la victoire en Coupe du Président de la République – nouveau nom de la Copa del Rey – quand les piliers du clubs, Ricardo Zamora et Jacinto Quincoces, prirent la parole pour attirer l’attention sur les « droits du footballeur », devant Rafael Sánchez-Guerra, président du club sur le départ.

Championnat suspendu

Dans une Europe où les fascistes ont le vent en poupe et préparent la Guerre, les élections espagnoles de 1933 voient la coalition de droite, cléricale et nationaliste, l’emporter avant d’être contrainte de convoquer des élections anticipées en février 1936, remportées cette fois-ci par un Front Populaire, comme en France. Quand, le 19 avril 1936, l’Athletic Bilbao obtient son quatrième titre de champion devant Madrid et Oviedo, les joueurs ne se doutent pas que le championnat ne va pas reprendre. Les événements s’accélèrent avec le déclenchement de la Guerre civile le 17 juillet 1936. Le hasard a fait qu’il s’agissait du jour où devaient débuter les Olympiades Populaires de Barcelone. L’Espagne se retrouve coupée en deux: les fascistes contrôlent une bande allant de la Galice à Saragosse, les républicains – socialistes, anarchistes et indépendantistes – contrôlent le reste, dont Madrid et Barcelone. Mais la progression des troupes fascistes complique la communication avec Madrid et le fonctionnement de la Fédération Espagnole de Football – dirigée par la gauche – en est impacté. Le 3 octobre, elle publie une circulaire officielle annonçant la suspension du championnat et autorise dans le même temps les Fédérations locales à organiser leur propre compétition.

Liga del Mediterráneo

Affiche des Olympiades Populaire de Barcelone, organisée en opposition au JO de Berlin, vitrine du régime hitlérien. Le soulèvement de l’armée eut lieu le jour où ils devaient débuter. De nombreux sportifs internationaux rejoignirent alors les milices antifascistes.

En pleine Guerre civile, le football continue de manière sporadique en 1936, via des matchs amicaux organisés en soutien aux combattants antifascistes ou au Secours Rouge. C’est dans ce contexte incertain quant à l’avenir immédiat de la Liga, qu’est créé à Barcelone le premier Syndicat des Footballeurs, Entraîneurs et Masseurs de l’UGT en septembre 1936. De toute évidence, le syndicat n’agrège pas un grand nombre de footballeurs. Il faut dire que le sport ouvrier a deux puissantes organisations : la Fédération Culturelle et Sportive Ouvrière (FCDO), satellite du faible Parti Communiste Espagnol – et donc relais du Komintern – et le Comité Catalan pour le Sport Populaire (CCEP), organe de la gauche catalane. Mais le syndicat se fixe l’objectif de défendre la continuité du football dans l’Espagne libre, et apporte son appui aux dizaines de footballeurs bloqués en zone franquiste. Au moment de la publication du décret du 3 octobre, l’organisation de compétitions n’est pas une priorité. Et certains complexes sportifs ont été réquisitionnés par les milices antifascistes. Mais le syndicat, très influent au sein des clubs de la zone républicaine, pousse à l’organisation de championnats locaux dans le Levant et en Catalogne entre octobre et décembre. Les Fédérations valenciennes et catalanes décident d’organiser en binôme une compétition: la Liga del Mediterráneo. Ce championnat de l’Espagne républicaine prend fin le 2 mai 1937, avec notamment un match au Camp Vell, dans la quartier des Corts, entre le Barça et le Gimnástico de Valence. Le lendemain, à quelques centaines de mètres, une expédition policière lancée contre le Central téléphonique de Barcelone contrôlée par la CNT déclenche cinq jours de barricades et de violents affrontements armés dans la ville entre les anarchistes et les contre-révolutionnaires staliniens. Ce qu’on a appelé les « Journées de Mai 37 » était annonciateur de la triste issue de la Guerre civile pour le prolétariat espagnol.

Défaite

Après la victoire définitive des franquistes en 1939, les syndicats ouvriers furent interdits. Seul le syndicat « vertical » eut droit de cité. CNT et UGT furent interdites et entrèrent dans une clandestinité qui allait durer quarante ans. Pour leur part, les meilleurs footballeurs du pays ont été chouchoutés par le régime. Ils gagnaient 3 à 5 fois plus qu’un ouvrier du bâtiment ou un sidérurgiste. Cela n’empêcha pas quelques rares figures, comme le gardien de but basque de Valence, Ignacio Eizaguirre – qui se traînait une réputation de poil-à-gratter en raison de ses revendications salariales constantes – ou encore Juan Acuña, gardien de La Corogne – connu comme gauchiste – de prolonger la mémoire de ce bref été du syndicalisme des footballeurs espagnols.

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