Indonésie: le FC Rainfall utilise le terrain de football comme un terrain de lutte

(©Rekayasa Visual)

Depuis quelques années, l’Indonésie voit l’émergence de clubs alternatifs opposés à la fédération officielle (PSSI) et au gouvernement. Le FC Rainfall est probablement le représentant de ce mouvement avec le projet le plus avancé. Ramadhan Sigih Pratama nous en parle dans cet article initialement publié sur le média Halimun Sakala.

Ce n’est pas un phénomène nouveau que les terrains de football deviennent des champs de résistance face à l’arbitraire du pouvoir. Il suffit de jeter un regard sur l’Histoire, en 1930, quand un ingénieur civil a tenté d’insuffler un esprit de lutte en fondant une fédération destinée à s’opposer au gouvernement colonial néerlandais. Son nom: Soeratin Sosrosoegondo.

Sous l’administration coloniale néerlandaise, la fédération de football indonésienne – aujourd’hui appelée PSSI (Persatuan Sepak Bola Seluruh Indonesia) – cherchait à s’opposer au pouvoir à travers le football. Outre le rejet de toutes les formes d’oppression, elle combattait également la commercialisation du football menée par les autorités des Indes néerlandaises. La popularité croissante du football parmi la population locale était exploitée par le gouvernement colonial pour engranger des profits considérables. De plus, les Néerlandais interdisaient aux indigènes de participer à l’industrie du football, entièrement contrôlée par la fédération coloniale NIVB (Nederlands Indische Voetbal Bond).

Celle-ci n’accordait qu’aux Européens blancs le droit de jouer au football. Les indigènes en étaient exclus sous prétexte d’une prétendue inégalité de niveau entre autochtones et Européens. Il s’agissait évidemment d’une discrimination flagrante envers les Indonésiens. Face à cela, le dégoût du peuple indigène envers le gouvernement néerlandais ne faisait que s’amplifier. À cette époque, le football avait progressivement cessé d’être un divertissement pour toutes les couches de la société.

Quittons un instant l’époque coloniale. Près d’un siècle plus tard, en 2023, naît un club de football issu de la base, fondé par ses propres supporters, nommés les Deer Troops. À l’image de Soeratin, ce club alternatif originaire de la “Ville de la Pluie” porte aussi un esprit de résistance par le football. Il s’appelle FC Rainfall: une équipe alternative qui veut offrir une antithèse à l’industrie du football indonésien qui est selon eux gangrénée par la corruption, la commercialisation à outrance, la violence, les matchs truqués et d’autres formes de dérives.

Aujourd’hui, la fédération indonésienne, qui a 95 ans, s’est éloignée des intentions initiales de son fondateur. L’histoire de l’Indonésie a pourtant démontré que le football ne se limite pas à donner des coups de pied dans un ballon; il peut devenir un outil de résistance face au pouvoir en place. Lors des matchs du FC Rainfall, il n’est donc guère surprenant de voir autour du terrain des banderoles contestataires, des drapeaux de lutte et des chants critiques résonner depuis les tribunes.

L’alliance du foot et de la punk attitude

Bien que séparées par le temps, ces deux époques partagent une même essence: la résistance. Comme la PSSI de Soeratin, Rainfall et les Deer Troops se posent en antagonisme au football officiel en proposant des matchs à prix accessible, divertissants, sûrs, ouverts à tous sans distinction d’âge, de genre, ni barrière sociale. Ils veulent se démarquer des clubs affiliés à la fédération, jugés soumis à celle-ci, et englués dans le cercle vicieux de la commercialisation.

Sans sponsors, FC Rainfall vit et se développe depuis environ deux ans dans le milieu du football alternatif. Propriétaires du club, les Deer Troops jouent un rôle central dans son évolution, chaque décision étant prise avec leur participation.

L’argent ne fait certes pas tout, mais il est difficile de nier qu’on finit toujours par en avoir besoin. Ainsi, en plus des contributions collectives permettant de rassembler des fonds pour les besoins du club, les billets d’entrée pour les matchs du FC Rainfall sont vendus entre 15 000 et 20 000 roupies indonésiennes (NdT: entre 0,80 et 1 euro).

Est-ce suffisant? La réponse est non. Pour subvenir à ses besoins et élargir son influence, le FC Rainfall a aussi lancé du merchandising et sorti des t-shirts et maillots, en collaboration avec des groupes musicaux – comme The Kuda, groupe punk de Bogor connu pour ses critiques sociales acerbes –partageant les mêmes frustrations et la même passion pour le football.

Depuis Jakarta, le groupe Morfem, auteur du titre “Rayakan Pemanang”, a sorti deux maillots en partenariat avec le FC Rainfall, dont l’un est devenu un produit officiel lors de leur tournée au Japon, Terepooteshion Tour. Le groupe punk rock Dongker, de Bandung, a également collaboré avec Rainfall à l’occasion de la sortie de son album Ceriwis Necis.

Les bénéfices de ces ventes financent toutes les activités du club, sur et en dehors du terrain.
Ces collaborations ne visent pas seulement à couvrir les dépenses, mais aussi à faire connaître le club dans divers milieux. Et cela fonctionne: la popularité de FC Rainfall ne cesse de croître.

Fédérer, nouer des liens

Leur slogan, “Football Friendship Forever”, illustre aussi leur volonté de nouer des liens au-delà des frontières. Rainfall n’est pas seulement connecté aux clubs alternatifs indonésiens; il a également tissé des relations à l’étranger, notamment avec Shah Alam Antlers FC, club alternatif de Malaisie animé par les mêmes refus. Un déplacement du FC Rainfall en Malaisie a même été envisagé: une rencontre attendue entre deux clubs alternatifs voisins, unis par le même feu contestataire.

Revenons au football comme outil de lutte. Nous savons que la fédération de football – aujourd’hui dirigée par Erick Thohir – fut à l’origine un instrument de résistance contre le colonialisme néerlandais. Le chemin parcouru par la PSSI est long: lutte contre la colonisation hier, lutte contre ses propres dérives aujourd’hui.

C’est dans ce contexte que le FC Rainfall a vu le jour: par dégoût du football indonésien sous la tutelle de la PSSI. À l’heure où les rivalités toxiques pullulent, où la commercialisation prime et où des matchs sont truqués en toute impunité, Rainfall et ses “Cerfs” se dressent pour rétablir le football comme loisir populaire et outil de lutte. Leur objectif n’est pas la performance sportive, mais celle-ci n’est pas absente pour autant: le FC Rainfall a remporté plusieurs trophées dans diverses compétitions amateurs. Il participe régulièrement à des tournois alternatifs, dont l’un des plus importants est le MayDay Collective Football, organisé chaque 1er mai à l’occasion de la Journée internationale des travailleurs: un moment idéal pour célébrer le football alternatif et rallumer les braises de la contestation.

Des clubs sont venus de Bandung, de Bogor, de Bekasi, de Tangerang, de Jakarta et d’ailleurs pour y participer. Lorsqu’en 2024 Bogor a accueilli l’événement, des milliers de fans ont célébré un football abordable, sûr et résolument contestataire. Beaucoup d’amateurs espèrent voir un jour la création d’une ligue officielle du football alternatif, réunissant des clubs comme FC Rainfall, Middleway, Urbanside, Kalibrug, Port City Wanderers, Fortress VB, FSV Metopen et bien d’autres. Au vu de l’engouement et du réseau qui s’étend entre clubs alternatifs à travers les villes d’Indonésie, une ligue amateur parallèle à la ligue officielle n’a rien d’impossible. Son objectif serait de rendre au football son rôle de divertissement sûr pour tous, et un espace de résistance contre les dérives de la fédération et du gouvernement, en écho à l’esprit de Soeratin dans sa lutte contre le colonialisme.

“Faire résonner la voix de la résistance à travers le football”

Mais tout dépendra des individus engagés dans ce mouvement alternatif. Chacun possède sa manière et sa stratégie pour exprimer son refus des abus dans le monde du football. Dès lors, une question demeure: jusqu’où le FC Rainfall et les clubs alternatifs indonésiens porteront-ils la colère de leurs supporters? Et quelle attention les acteurs du terrain accorderont-ils aux enjeux qui dépassent le rectangle vert?

Pour conclure, je veux exprimer un souhait. À Bogor, ville des pluies imprévisibles, un ciel clair n’est jamais la garantie qu’il ne pleuvra pas. Bien au contraire: il arrive qu’un ciel radieux se transforme soudain en un déluge capable d’emporter tout sur son passage. Puisse le FC Rainfall devenir cette averse, une menace pour cette fédération gangrenée et ce gouvernement arbitraire. Puisse-t-il utiliser pleinement sa popularité comme levier de contestation et faire résonner toujours plus fort la voix de la résistance à travers le football.

Pour que tout cela ne se réduise pas, à la fin, à un fanatisme sportif stérile, qui comme toujours finit par ne laisser que des larmes.

 

Traduit du bahasa à l’aide de Deepl, relu et validé par l’auteur

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