En août 2011, sur fond de crise économique et de Mouvement « Indignados » en Espagne, Javi Poves quittait le monde “corrompu” du football de façon fracassante. Mais aujourd’hui, celui qui préconisait de “brûler les banques et de couper des têtes” a pris un chemin de traverse improbable vers la théorie de la Terre plate.
Après quelques bouts de matchs en Liga, le footballeur professionnel au Sporting Gijón annonçait son départ précoce à la retraite, à seulement 24 ans. Quasiment anonyme avant tout ça, Javi Poves vit sa bouille à coupe mulet faire le tour des journaux. “Plus tu connais le football, plus tu te rends compte que tout n’est qu’argent, que c’est pourri, et tu perds un peu tes illusions”, avait-il déclaré après sa retraite. Nombre d’anticapitalistes qui pensaient trouver dans ce footballeur atypique un camarade, en firent une éphémère coqueluche.
Les pérégrinations d’un enfant perdu
La presse parle alors du “footballeur indigné” ou “antisystème”. Épithètes homériques qui sont restées. “On me définit comme ça, mais c’est encore me mettre dans une case alors que je ne sais pas ce que je suis”, répondra-t-il. Est-ce pour éclaircir ce flou existentiel qu’il s’est lancé dans un voyage initiatique en Afrique, en Amérique du Sud et au Moyen-Orient ? Parti en quête de vérité, il en est revenu en fan d’Hugo Chavez et converti à l’islam. Religion qui lui aurait permis le plus de “s’approcher de ce qu’est Dieu et la vérité”.
En 2011, sans dépenser d’argent, presque comme un moine dominicain, il part visiter une trentaine de pays, dont les nations “non-alignées”, jadis désignées sous le sobriquet “d’Axe du Mal” par les États-Unis, comme l’Iran ou le Venezuela. Terres affectionnées de tous les rouges-bruns de la planète. Entendons-nous bien, les rouges-bruns n’ont rien de rouge. C’est une tendance historique de l’extrême-droite qui se caractérise par un mélange d’antisémitisme, de complotisme et de fascination des régimes autoritaires à la Chavez, Poutine, Ahmadinejad, Khadafi, Erdogan ou Bachar Al-Assad, vus comme des “résistants” face à l’impérialisme américain. C’est ce qu’on appelle le campisme, soit une lecture binaire du monde. Chez Poves, c’est aussi une porte ouverte aux théories du complot.
Comment, d’une critique basique du capitalisme, Javi Poves est progressivement devenu un adepte de la théorie de la Terre plate? C’est paradoxalement son désir de “vérité” qui l’a mené, comme d’autres, à épouser les thèses conspirationnistes. A posteriori, certains signes auraient pu nous alerter. Dès son départ du monde du football, attiré par les pays du “sud” pillés par les capitalistes de partout, Javi Poves montrait une inclinaison tiers-mondiste. Fasciné par l’ayatollah Khomeini, son voyage en Iran a été une telle révélation qu’il hésita même à s’y installer et se disait prêt à défendre le pays face aux éventuelles agressions israéliennes. A son retour, Javi Poves faisait l’éloge de l’État iranien qu’il vendait comme un modèle de société. Mais il se garda bien d’évoquer le traitement réservé aux militants ouvriers, régulièrement incarcérés, aux femmes ou aux homosexuels. Au contraire, selon lui les femmes “sont plus libres en Iran qu’ailleurs”.
Une tête bien plate
Les racines historiques du complotisme remontent à la fin du 18e siècle. Il est alors un produit de l’obscurantisme religieux qui impute tout bouleversement aux francs-maçons – on parlait alors de complot maçonnique. L’Église catholique a longtemps joué un rôle capital en entretenant le mythe d’une puissance cachée qui tirerait les ficelles et dissimulerait la vérité: sociétés secrètes, agences gouvernementales, Illuminatis, Juifs, franc-maçons. Toute critique frontale du capitalisme est ainsi évitée ou détournée au profit de prêt-à-penser complotistes qui défient la raison.
La théorie de la Terre plate répond à la même logique. Ce qui ressemble à une blague au premier abord, est une croyance plus répandue qu’on ne le pense. Selon un sondage Ifop de janvier 2018, un Français sur dix pense que la Terre est plate. L’obscurantisme bigot est souvent à l’origine de ces théories. Pas très surprenant non plus de voir cette théorie se répandre à grande vitesse dans l’ambiance bolsonariste du Brésil. On retrouve autant des cathos farfelus d’Amérique du Sud que des islamo-conservateurs de Turquie comme Tolgay Demir, un dirigeant local de l’AKP d’Erdogan qui avait affirmé dans un article que ceux qui pensent que la Terre est ronde “se sont fait mener en bateau par la franc-maçonnerie et par les photos truquées de la NASA”. Tout ne serait que mensonge, jusqu’au saut dans le vide de Felix Baumgartner.
Les partisans de cette théorie, les “platistes”, sont regroupés au sein de la Flat Earth Society, organisation fondée en 1956. Cette machine sectaire sert une propagande rodée. Après être tombée un peu en désuétude, cette théorie connaît un regain de popularité à la faveur du développement d’internet et des réseaux sociaux. Outre Javi Poves, quelques personnalités de renom ont été attrapés dans les filets “platistes” : les basketteurs Shaquille O’Neal et Kyrie Irving, mais aussi Alfio “Coco” Basile, ex-sélectionneur de l’Argentine.
Javi Poves aurait pu se limiter à considérer, comme un vulgaire Torquemada, que la révolution copernicienne est un mensonge international et diabolique. Mais non, comme nombre de complotistes, il fait de cette théorie de la Terre plate une cause militante. Ainsi, il vient de rebaptiser le Móstoles Balompié, club dont il est le président depuis 2016, en Flat Earth FC, “premier club de football associé à une cause”, peut-on lire sur le site officiel. Une décision restée en travers de la gorge d’une partie des membres du club qui, bien décidés à ne pas servir de pietaille aux “platistes”, vont recréer un nouveau Móstoles Balompié à partir d’une filiale du club, le Deportivo Fátima.
Javi Poves compte se servir de la médiatisation du football pour faire avancer sa cause. Même si l’ensemble de l’effectif est bien loin d’adhérer à la théorie de la Terre plate, on peut dire que le pari est en partie déjà réussi. L‘information du changement de nom a déjà provoqué un petit buzz médiatique alors que le club n’évoluera la saison prochaine qu’en Tercera división, soit le 4e niveau du football espagnol.
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