Arrivée au bout d’une procédure judiciaire poussive et entachée d’obstructions policières, la famille d’Iñigo Cabacas, dit “Pitu”, ne se satisfait pas du verdict et continue de réclamer que justice soit faite pour leur fils. Chaque 9 avril est l’occasion d’honorer sa mémoire et de rappeler que la police tue.
C’est une soirée qui reste gravée dans la mémoire de tout fan de l’Athletic Bilbao. Ça ne pouvait être que la fête. L’Athletic, alors entraîné par Marcelo Bielsa, venait de se qualifier à San Mamés pour les 1/2 finale de l’Europa League aux dépends de Schalke 04. Nous sommes le 5 avril 2012. Pitu est de la partie et se trouve à proximité du Kirruli, une herriko taberna (ces “tavernes du peuple” dans le viseur des autorités) située dans une sorte de ruelle donnant sur la rue Maria Diaz de Haro, à quelques encablures du stade. C’est alors que plusieurs fourgonnettes de la Ertzaintza débarquent pour disperser la foule. L’ordre est donné de rentrer dans la ruelle de l’herriko par tous les moyens. Les policiers basques chargent et, selon les témoins, envoient de nombreux tirs tendus de flashball. Touché à la tête par un de ces tirs, Iñigo ne se relèvera pas et décèdera après quatre jours de coma, à l’hôpital de Basurto à l’âge de 28 ans.
Un seul policier modiquement condamné
Après le choc, s’ouvre le temps de l’enquête, des responsabilités et puis du procès. Un seul des policiers impliqués – celui qui était à la tête de l’intervention sur place – sera finalement condamné à deux ans de prison, sans mandat de dépôt. Modique. Les cinq autres policiers jugés ont été acquittés. Un verdict qui n’a évidemment jamais satisfait Manu et Fina, les combatifs parents d’Iñigo Cabacas. L’auteur du tir de flashball n’a en effet jamais été identifié. Pas d’auteur, pas de coupable. Une recette infaillible et universelle, maîtrisée sur le bout des doigts dans les commissariats pour couvrir les crimes commis en uniforme. Face à ce verdict en forme d’insulte, la famille d’Iñigo et leur avocat Jone Goirizelaia ont décidé de porter l’affaire devant le Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies.
Jusqu’ici la Ertzaintza s’en est tirée à bon compte car l’enquête a mis en lumière une série de négligences. Mais en coulisses, cette affaire a laissé des traces. Des secousses qui ont poussé Jorge Aldekoa, chef de la Ertzaintza, à démissionner en décembre 2018. Une première dans l’histoire de cette police autonome qui a fêté ses 40 ans en février 2022. Au sein de la police basque, on reconnaît qu’il y a eu “un avant et un après”, comme l’explique le site de journal Deia. Au pays de la “Kale Borroka”, forme de protestation émeutière traditionnelle des mouvements radicaux en Euskal Herria, la doctrine d’intervention policière a été retouchée. Par ailleurs, des matricules sont dorénavant attribués aux agents en opération de maintien de l’ordre et le type de balles en caoutchouc à l’origine de la mort de Pitu n’a plus été utilisé depuis cette soirée tragique. Des mesures plus symboliques qu’autre chose, mais qui témoignent des secousses créées au sein de la Ertzaintza par ce qu’ils appellent “l’Affaire Cabacas”.
“Bildu=Zipaio”
Depuis la mort de Pitu, de très nombreuses initiatives ont été lancées autant pour aider la famille à obtenir justice que pour honorer sa mémoire. Et dix ans après, elle reste très vive parmi les groupes de supporters de l’Athletic qui reçoivent aussi le soutien de certains groupes avec qui ils entretiennent de bonnes relations comme es Bukaneros 92 du Rayo Vallecano ou encore les Brigadas Amarillas de Cádiz. En 2013, les collectifs de supporters de la tribune la plus fervente de San Mamés se regroupent derrière la bannière Íñigo Cabacas Herri Hermaila (ICHH). Manifestations, banderoles, tags: tout est bon pour maintenir la pression et faire en sorte que ni son nom, ni son visage ne soit oublié, malgré les interdictions par le club du matériel en hommage à Pitu. A Basauri, d’où il était originaire, une place a également été renommée fin 2013, “Plaza Íñigo Cabacas” en hommage. Au Pays Basque, son nom et son visage sont devenus, au fil du temps, des symboles de dénonciation et de résistance à l’impunité policière.
La formation politique de gauche EH Bildu, à laquelle appartient l’avocat de la famille d’Iñigo Cabacas, l’a appris à ses dépends. Bien qu’elle ait affiché ces dix dernières années son soutien à l’exigence de vérité et de justice, ses représentants se sont fait pincer lors de la cérémonie d’anniversaire de la Ertzaintza. Un geste qui a eu du mal à passer. Peu après cet épisode, un graffiti a été posé à Oñati : “Vous avez serré la main de ceux qui ont tué Iñigo Cabacas. Bildu=Zipaio”. Dans la culture populaire basque, les “zipaios” sont les policiers de la Ertzaintza et, par extension, des traitres qui ont choisi de servir la cause de l’oppresseur. Les élus d’EH Bildu en sont témoins, à Bilbao la mémoire d’Iñigo est sanctuarisée et il ne sera permis à personne de la piétiner, encore moins aux politiciens opportunistes.
Des joueurs de l’Athletic marqués à vie
S’il s’agit d’une soirée qui restera tristement gravée dans le cœur des supporters, certains joueurs témoignent régulièrement leur sympathie à Manu et Fina. Posté en 2020 en plein confinement, on se souvient du message d’Ibai Gomez, buteur lors du match face à Schalke et aujourd’hui pensionnaire du Foolad Ahvaz dans le championnat iranien. “Toutes ces soirées européennes ne furent pas heureuses. On ne t’oublie pas Iñigo !” Très engagé, l’ancien pensionnaire de l’Athletic – de 2007 à 2012 – Koikili Lertxundi y était aussi allé de son message adressé aux parents d’Iñigo: “Ils vous ont tous pris, alors le moins qu’il nous reste à faire est de vous donner toute notre affection, notre chaleur et notre solidarité. Nous continuerons de réclamer Justice !”
Mikel San José avait 22 ans à l’époque. Très touché par cette histoire, l’actuel joueur de la SD Amorebieta en 2e division n’oubliera, lui non plus, jamais cette soirée du 5 avril 2012. Sur Twitter, il a transmis toute son affection à Manu et Fina. “Il y a 10 ans, nous nous qualifiions pour les demi-finales de coupe d’Europe après un grand match. La nuit promettait d’être heureuse pour tous les Athleticzales. Et pourtant, l’ordre “entrez dans l’herriko” a tout changé. 10 ans, et toujours pas de justice.” Et, comme on a coutume de l’entendre, sans justice, il n’y a pas de paix.
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