
Plusieurs centaines de personnes interpellées, de très nombreux blessés et deux manifestants tués par la police à Lqliâa près d’Agadir. Bilan non définitif de la révolte sociale qui a éclaté au Maroc. Les coûts engagés pour l’accueil de la prochaine CAN et surtout du Mondial 2030, alors que les systèmes de santé et d’éducation sont exsangues, sont au cœur de la colère.
Depuis le samedi 27 septembre, dans plusieurs villes du pays des milliers de manifestants descendent dans la rue et affrontent la répression du régime. On parle de la “Génération Z”, ou “GenZ”, ces jeunes nés dans les années 2000, qui ont grandit à l’ère du numérique. Au Maroc, les moins de 25 ans représentent environ 40% de la population, avec un taux de chômage frôlant les 50%. Le tout dans un pays où le salaire minimum tourne autour de 250 euros par mois. Derrière ces éléments statistiques d’un présent injuste et inégalitaire, se dessine un “no futur” que beaucoup refusent.
Comme au Népal et à Madagascar, le Maroc est secoué par un mouvement social plein de fraîcheur et de spontanéité. Il est baptisé “GenZ 212” (pour l’indicatif téléphonique du Maroc), un collectif virtuel aux meneurs inconnus et revendiquant des modes d’action pacifiques. Ce nom symbolise aujourd’hui le ras-le-bol de la jeunesse étudiante et prolétarisée qui a pris les rues de Rabat, Casablanca, Marrakech, Tanger, Oujda ou encore Agadir. Face à la répression, elle oppose sa détermination à coup de jets de pierres, d’incendies de véhicules de police ou d’attaques d’agences bancaires.
Le football n’achètera pas la paix
En quête de justice sociale, le mouvement dénonce plus largement la corruption des élites et la vétusté des services publics d’éducation et de santé. L’annonce du décès de huit femmes lors d’accouchements par césarienne à l’hôpital public d’Agadir a ému l’opinion et déclenché les premières manifestations. Le slogan “Les stades sont là, mais où sont les hôpitaux?” s’est rapidement imposé dans les cortèges.

A quelques semaines du début d’une Coupe d’Afrique des Nations (CAN) qui se déroulera sur le sol marocain du 21 décembre 2025 au 18 janvier 2026, la question des moyens publics investis dans la rénovation des stades est un des points de fixation de la colère sociale. Inaugurée début septembre, le stade Moulay-Abdellah de Rabat est une des vitrines de cette indécence. Mais ce n’est rien à côté de l’enceinte gigantesque en construction à Casablanca, pour un coût de 5 milliards de dirhams, soit 477 millions d’euros!
Casablanca est une des six villes-hôtes marocaines du Mondial 2030, co-organisé avec l’Espagne et le Portugal. La ville aux airs de “petit Dubaï” avec son quartier d’affaires ultra-moderne “Casablanca Finance City”, gonfle l’ego des capitalistes locaux. “On va bientôt avoir le plus grand stade du monde à Casablanca, pour la Coupe du monde, il fera 110 000 places, je pense qu’on pourrait construire un stade de 150 000 places, on le remplirait aussi”, se vantait Omar Khyari, chez So Foot. Ces paroles d’un conseiller du président de la fédération de football (FRMF) illustrent la déconnexion des dirigeants.
Derrière les stades, les expulsions
Pour cette CAN, six stades ont été rénovés, pour un coût de 900 millions d’euros. D’ici à 2030, le total des travaux est pour le moment estimé à 20 milliards de dirhams marocains, soit 1,9 milliards d’euros. D’autres pancartes faisant allusion à ces infrastructures dispendieuses ont fleuri durant les manifestations. “Au moins, les stades de la FIFA auront un kit de premier secours, contrairement à nos hôpitaux”, ironise l’une d’elles. La propagande bourgeoise n’imprime pas, le peuple marocain n’est pas prêt à se faire endormir par une CAN ou un Mondial. Personne ne croit vraiment à la fable des retombées positives de ces chantiers sur une vie quotidienne, rompue au système D.
Ces grands projets urbains engagés en vue du Mondial 2030 ont aussi des conséquences immédiates sur la vie des habitants de certains quartiers populaires comme Derb Soufi, à Casablanca. Le quartier a été rasé pour laisser place à une longue avenue – avec des immeubles de standing, un palais des congrès et un théâtre – qui permettra de relier la grande mosquée Hassan II au centre-ville. Une lubie de la famille royale depuis plus de trente ans, débloquée par la perspective d’être un des centres du monde le temps de la compétition.
C’est un refrain connu, l’organisation d’événements de type JO ou Coupe du Monde, devient le prétexte à une gentrification accélérée, pour rentrer dans les clous du cahier des charges de la FIFA. Cela passe généralement par l’installation d’un climat ultra-sécuritaire et d’une militarisation renforcée de l’espace public. La situation n’est pas sans rappeler la brutalité du “nettoyage social” dans les villes-hôtes de la Coupe du Monde 2010 en Afrique du Sud et 2014 au Brésil.
Le monde du football solidaire
Sous couvert de lutte contre l’habitat insalubre, via des programmes gouvernementaux comme “Villes sans bidonvilles”, le Makhzen fait la guerre à celles et ceux qui y vivent. Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, plus de 9400 habitations ont déjà été démolies et environ 13 000 familles relogées en périphérie. Les quartiers Bourgogne à Casablanca, mais aussi L’Océan et Yaâcoub El Mansour à Rabat font partie des zones visées par les transformations urbaines. Les compensations versées sont jugées insuffisantes par les habitants expropriés et délogés. Ces derniers ne pèsent pas lourd face aux promoteurs et à l’État qui prospèrent sur l’opacité des procédures.
Certains joueurs de l’équipe nationale ont publiquement affiché leur soutien aux manifestants à l’image de Nayef Aguerd (Olympique de Marseille) ou Yassine Bounou (Al-Hilal FC) qui a publié une image sur les réseaux disant: “Pour nos droits, pour la dignité, pour la santé et l’éducation”. Du côté des supporters aussi, le ton est en train de monter d’un cran. Le groupe Rosso Verde, supporters de l’équipe nationale, a annoncé qu’il allait boycotter les deux prochains matches du Maroc prévus face au Bahreïn et au Congo. De même que les ultras de Berkane, Safi et Tanger. Lors de la réception de Zemamra le 27 septembre dernier, les ultras du Wydad ont sorti une banderole faisant écho aux revendications: “Pas d’éducation, pas de soins, et pour le porte-monnaie c’est Dieu qui t’aidera”.
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