La Coupe du Monde 2014 et la guerre au peuple brésilien

(©Mídia Independente Coletiva/Facebook)

Expression d’un profond fossé avec les préoccupations des couches populaires brésiliennes, l’organisation du Mondial 2014 avait donné lieu à une vague de protestation telles que le pays n’en avait pas connu depuis plus de vingt ans. Huit ans avant celle du Qatar, cette Coupe du Monde illustrait déjà la morgue de la FIFA.

Le 12 juin 2014, le Stade Itaquera de São Paulo accueille le match d’ouverture de la 20e Coupe du Monde. Le Brésil, pays hôte, affronte la Croatie. Si les autorités s’efforcent à faire bonne figure, l’événement est loin de faire l’unanimité. Sur la route menant au stade, des manifestants entendent bien jouer les trouble-fête. Comme à Rio, Brasília ou Belo Horizonte, des heurts éclatent avec à la police. Une scène devenue habituelle dans un pays secoué depuis plus d’un an par un mouvement social d’une ampleur qu’il n’avait plus connu depuis les manifestations de 1992 contre le pouvoir corrompu de Collor de Mello. Les protestations qui ont démarré au printemps 2013 ciblent la vie chère et la répression policière, avec en ligne de mire les sommes colossales dépensées pour organiser coup sur coup le Mondial 2014 et les JO de Rio de Janeiro en 2016.

La Coupe des Confédérations en guise de test

Ces “méga-projets sportifs”, principalement financés par de l’argent public, contrastent avec la souffrance d’une grande partie de la population qui pâtit de services publics – hôpital, transports, éducation – délabrés. Un total de 11 milliards d’euros aura finalement été investi dans l’organisation du Mondial, soit 4 fois plus que pour le précédent en Afrique du Sud. Aujourd’hui les pinailleurs pourront toujours dire que ça reste 15 fois moins que pour celui du Qatar en 2022. L’ultra-coûteuse Arena Mané-Garrincha de Brasília (800 millions d’euros à elle seule), vouée à être sous-utilisée après le Mondial, symbolise la gabegie dénoncée par les manifestants. Selon l’Office des comptes nationaux, il faudrait près de 1 000 ans à la collectivité pour la rembourser!

Black Bloc en tête de cortège à São Paulo en janvier 2014. (©DW/M. Estarque)

L’organisation de la Coupe des Confédérations, du 15 au 30 juin 2013, sert de répétition générale un an avant la Coupe du Monde. Un véritable test pour la FIFA, mais aussi pour les manifestants qui comptent bien perturber l’événement pour faire entendre leur voix. Le 20 juin à Salvador de Bahia, lors Nigeria-Uruguay, des affrontements avec les forces de l’ordre ont lieu à l’extérieur de la Itaipava Arena, inaugurée deux mois et demi plus tôt. Ce jour-là, des rassemblements, parfois émeutiers, sont recensées dans au moins 80 villes du pays, donnant quelques sueurs froides au gouvernement particulièrement contesté de Dilma Roussef.

Selon le Guardian, à Rio de Janeiro, les manifestants les plus déterminés ont, entre quelques caméras de vidéo-surveillance saccagées et quelques voitures incendiées, détruit tous les panneaux publicitaires annonçant la Coupe des Confédérations. Le jour de la finale, ils ont tenté de prendre d’assaut le siège de la Fédération brésilienne de football (CBF) avant de se diriger vers le Maracanã où les attendaient les gaz lacrymogènes de la police anti-émeute. Dans le cortège, la FIFA est la cible de pancartes et banderoles lui demandant de “payer la facture”.

Ce climat d’hostilité commence à fortement agacer les pontes de l’instance. Jérôme Valcke, alors secrétaire général de la FIFA – avant d’être suspendu 12 ans dans le tourbillon du FIFAgate – ne s’était pas gêné pour jeter un peu d’huile sur le feu en affirmant que pour organiser une Coupe du Monde, “un moindre niveau de démocratie est parfois préférable“, avant de tresser des lauriers à Poutine qui allait accueillir l’édition suivante en 2018. Entre déconnexion, mépris et perte de sang-froid, le monde du football était prévenu: la Coupe du Monde au Brésil ne sera pas un long fleuve tranquille, même avec les critiques du Roi Pelé adressées aux manifestants.

La FIFA contre le peuple

En janvier 2014, les Anonymous Rio lancent leur “Operation Stop the World Cup”. Plusieurs manifestations sont appelées et sont présentées comme le “premier acte” de la mobilisation populaire contre le Mondial. Attaques de banques, véhicules de police vandalisés et pillages de magasins émaillent les manifestations où on scande “Il n’y aura pas de Coupe du Monde!”. Le slogan “FIFA Go Home!” s’impose dans la rue. D’autant que le coût de l’organisation du Mondial est en train de flamber et de nouveaux fonds publics sont débloqués pour s’assurer de livrer les stades de São Paulo et de Curitiba dans les temps.

Dans les rues, de nombreux graffitis critiquent ce Mondial des “riches”, pendant que les pauvres ont du mal à se loger, se nourrir ou se soigner.

Organiser une Coupe du Monde, c’est se plier aux injonctions anti-sociales et à l’ingérence de la FIFA. Dès juin 2012, la FIFA a dicté au parlement brésilien sa “Loi générale de la Coupe”. Une législation d’exception exemptant d’impôts la FIFA et ses partenaires, augmentant le prix des places et autorisant la vente d’alcool d’ordinaire interdite, au profit de Budweiser, l’un des principaux sponsors de la compétition. “La FIFA va faire un bénéfice de quatre milliards de réais (1,8 milliard de dollars) qui devrait rapporter un milliard (450 millions de dollars) d’impôts, mais elle ne paiera rien“, peste alors Romário dans une vidéo publiée sur les sites web de plusieurs journaux brésiliens.

L’ancienne idole brésilienne du Mondial 94 qui a depuis basculé à droite de l’échiquier politique, n’hésite pas à parler de “plus grand vol de l’Histoire” et la mise en place “un État dans l’État“. En France, une tribune d’intellectuels, intitulée “Boycottons le foot et la FIFA” (Libération, 9 juin 2014), prenait aussi fait et cause pour les manifestants et cette grande partie de la population brésilienne qui a “bien compris que les investissements délirants dans les douze stades, selon les standards draconiens de la Fifa, sont totalement déplacés dans un pays qui subit les contrecoups de la crise internationale.”

Au mois de mai, le “Comité Populaire” appelle à des actions contre cette Coupe du Monde “des violations et de la répression“. Dans un court manifeste en dix points, il explique les raisons de sa colère, en premier lieu le quadrillage militaire des favelas et les 250 000 personnes expulsées de leur logement au nom de plans de rénovation urbaine, ou simplement pour faire place aux chantiers dédiés au Mondial et aux JO. Chantiers sur lesquels une dizaine d’ouvriers ont, au passage, perdu la vie. Le cahier des charges de la FIFA ne se préoccupe en aucun cas de l’impact d’un tel événement sur la vie des plus pauvres. Les propos humiliants des Valcke, Blatter ou Platini prouvent à qui avait encore des doutes de quel côté se situe la bourgeoisie du football.

Occupation policière des favelas

Interrogé sur Globo TV, Sepp Blatter accuse les manifestants “d’utiliser le football pour faire entendre leurs revendications”. Mais qu’est-ce qui est le plus moral, organiser une Coupe du Monde ou l’attaquer?, serions-nous tentés de répliquer. Alors président de l’UEFA, Platini s’était permis dans son costard néo-colonial de demander au peuple brésilien de se calmer. “S’il peuvent attendre au moins un mois avant de faire des éclats sociaux, ça serait bien pour l’ensemble du Brésil et la planète football.” Nous étions au mois d’avril 2014, quelques jours après les émeutes qui ont embrasé Copacabana suite à l’assassinat de DG, un danseur connu de la favela, par les Unités de Police Pacificatrice (UPP).

Au pied du Maracana, l’ancien Musée des Indiens occupé depuis 2006 a été expulsé le 22 mars 2013. (©AP Photo / Felipe Dana)

Les UPP, mises sur pied fin 2008 par la municipalité de Rio mènent – tout comme les Bataillons des Opérations Spéciales de Police (BOPE) – des expéditions punitives, semant la terreur et la mort dans les favelas, sous couvert de lutte contre le narcotrafic. Lors des seuls mois de janvier et février 2014, les UPP y ont abattu 45 personnes. La municipalité de Rio de Janeiro compte bien profiter de l’événement pour gentrifier de façon express ces quartiers bien situés comme la favela Santa Marta de Botafogo et celle de Pavão-Pavãozinho-Cantagalo, surplombant les plages touristiques d’Ipanema et Copacabana. Le Complexo da Maré – regroupant seize favelas et 130 000 habitants au nord de Rio – a été militairement occupé par 21 blindés et 1500 hommes en armes, servant de laboratoire sécuritaire à ciel ouvert.

La première semaine de la compétition sera finalement verrouillée d’une main de fer malgré une vingtaine de manifestations avec des affrontements et saccages sporadiques. La répression et les arrestations se sont abattues sur ces réfractaires au Mondial répétant “Si je n’ai pas de droits, la Coupe n’aura pas lieu”. Cette Coupe du Monde dispendieuse, servant les intérêts des couches les plus riches, a bien eu lieu. Et les difficultés pour se loger, se nourrir et se soigner ont continué. “Cela ne se terminera pas avec la Coupe du monde. Même si le Brésil l’emporte, la coupe n’apportera rien aux pauvres, à ceux qui vivent dans les favelas, aux démunis“, a déclarait un des manifestants, cité par l’AFP. Patrie footballistique au cinq titres mondiaux, le Brésil a découvert en 2014 que la Coupe du Monde n’était pas une fête populaire, mais plutôt une guerre au peuple.

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