L’Étoile Rouge, “une marque de fou” [2/3]

Depuis plusieurs saisons, la direction du Red Star déploie une stratégie marketing qui vise à attirer un public plus aisé et moins protestataire au stade Bauer. Le club est présenté comme un produit « populaire », « authentique », « underground » ; une manœuvre qui semble fonctionner dans un territoire fortement frappé par la gentrification. Le président Patrice Haddad espère que cette nouvelle frange de supporters « branchés » permettra à terme d’évincer ce qui constitue l’unique contre-pouvoir aux malversations de la direction et de l’actionnaire 777 : les Red Star Fans et la Tribune Rino Della Negra.

«La force du Red Star, ce qui lui a permis d’exister – parfois de survivre – c’est son identité. Celle d’un club engagé, ancré sur son territoire, populaire et formateur »1 . À la lecture de ces quelques lignes, nous pourrions presque oublier que Patrice Haddad est le dirigeant qui a précipité la vente du Red Star au fonds d’investissement voyou 777 Partners pour sauver sa place de président. Mais pourquoi celui qui cède le club à un multipropriétaire, qui embrasse le football business et dont les ultras exigent la démission clame-t-il son amour pour le football populaire ?

Il n’est pas impossible que ce patron de l’audiovisuel fantasme une « esthétique populaire » perçue comme distinctive dans sa petite existence bourgeoise. Mais surtout, cette création d’une image de marque « hype » et « engagé » est une stratégie réfléchie depuis plusieurs années. L’objectif est d’attirer la bourgeoisie culturelle parisienne ou audonienne, qui aime s’encanailler dans des tribunes protestataires et revendicatives. Du fait de leurs origines sociales, ces derniers perçoivent la fréquentation d’une « tribune populaire » comme valorisante, le temps d’un match de foot. À l’inverse, les supporters ultras consacrent une grande partie de leur semaine et de leurs économies à suivre le club et planifier l’animation de la tribune. Ils sont victimes d’interdictions de stade, d’interdiction de déplacement, de violences policières. C’est cette expérience collective de l’engagement et de la répression qui permet l’émergence d’une tribune réellement populaire, solidaire et politique.

Patrice Haddad et ses amis

Dans sa volonté de création d’un club de « gauche » acquis aux méthodes du football business, le président Haddad peut compter sur un écosystème qui lui est favorable : des politiques, des élus locaux, des conseillers, des entreprises, des promoteurs immobiliers. C’est Grégoire Potton, proche de Macron et directeur général du Red Star de 2017 à 2019, qui désigne durant son mandat le promoteur nantais Réalités pour la rénovation de Bauer.

Plus récemment, en février 2025, un partenariat a été annoncé entre le club et la Communale – une halle commerciale et culturelle située dans le quartier des Docks à Saint-Ouen. La création de ce centre commercial « inclusif et écolo » a été impulsée par le groupe La Lune Rousse (chargé de la création et de l’exploitation de tiers-lieux) et par le groupe Frey. Ce dernier est le promoteur inventeur des marques déposées « Greencenter » et des centres commerciaux de plein air « Shopping Promenade ». Le PDG de l’entreprise, Antoine Frey est également président du conseil national des centres commerciaux et le groupe indique chercher « le juste équilibre entre la recherche légitime de performance économique et le respect de ses engagements sociétaux »2 .

À Saint-Ouen, les pouvoirs publics et municipaux ont appuyé le phénomène de gentrification dès les années 1980 par les destructions des quartiers délabrés (chassant les familles pauvres) et le déficit d’encadrement des loyers. Alors que de nouvelles infrastructures de transports reliant Saint-Ouen à la capitale sont en travaux dans le cadre du projet Grand Paris, le Red Star d’Haddad est perçu par les politiques et élus locaux comme symbolisant la ville nouvelle voulue : dynamique, compétitive, capitaliste, le tout recouvert d’un vernis social et écolo. Ce n’est par exemple pas un hasard si le maire PS de Saint-Ouen, Karim Bouamrane, organise le lancement de son nouveau mouvement politique au stade Bauer en octobre 2024. Ce soir-là, des cadres du Parti Socialiste sont présents – François Hollande (qui assiste volontiers aux matchs du Red Star quand son image d’homme de gauche est mise à mal), Carole Delga, Olivier Faure, le maire de Saint-Denis – Mathieu Hanotin – mais aussi des promoteurs immobiliers, notamment… les groupes Frey et Réalités.

Le populaire est une marchandise

Le Red Star déploie, avec un certain succès, une stratégie qui vise à attirer des partenaires économiques désireux d’associer leurs entreprises à l’image populaire et authentique que véhicule le club, notamment du fait de son histoire populaire et de l’activité de ses supporters. « Le Red Star devient une marque dans le bon sens du terme »3 confiait d’ailleurs Steve Marlet, conseiller du président dans une interview. Bon sens du terme ? Sur les dernières saisons, un partenariat a été noué avec Vice, média dont la Walt Disney Company est l’actionnaire principal.

De 2021 à 2023, Linked Out est le principal sponsor maillot : ce programme – fruit d’une collaboration entre une association créé par le vice-président de Yahoo France et l’agence d’intérim Randstad – vise à remettre les personnes « éloignées de l’emploi » au travail en leur proposant des métiers pénibles et mal rémunérés. À partir de 2022, le Red Star s’associe également à l’entreprise Trust’It (« Trust’Her » le jour de la journée internationale des droits des femmes) qui conçoit des programmes informatiques à destination des groupes du secteur de la banque, de l’assurance, de l’industrie ou des télécommunications.

La conclusion de ces divers partenariats illustre bien les réappropriations économiques de l’histoire ouvrière, antiraciste et antifasciste du Red Star. La direction du club tire une fois de plus des bénéfices du travail gratuit réalisé par les groupes de supporters depuis des décennies. Par exemple, le travail de mémoire et de documentation sur la figure antifasciste Rino Della Negra ; la forte mobilisation et le lobbying contre les multipropriétés ; les animations du kop ; sont autant d’éléments qui ont permis de faire du Red Star un symbole du football populaire.

Des fantasmes entrepreneuriaux

Patrice Haddad, c’est 40 ans de carrière dans la production audiovisuelle et publicitaire. Le dirigeant se présente volontiers comme un entrepreneur qui aime « la prise de risque ». C’est donc en homme providentiel qu’il rachète le club en 2008, alors que celui-ci évolue en 6ème division. Rejetant fermement la symbolique communiste qui s’est construite autour de l’Étoile Rouge (le club de la banlieue rouge) au fil des décennies, Haddad préfère y voir le seul club français qui porte le nom d’une marque (« un club abandonné mais une marque de fou ! »)4. En effet, le fondateur Jules Rimet nomme en 1897 ce club en référence à la Red Star Lines, une compagnie maritime anglaise.

Le président Haddad met ainsi en œuvre dès 2008 ses conceptions libérales et entrepreneuriales dans l’exercice de gestion du club. La Seine-Saint-Denis est alors essentiellement perçue comme un territoire jeune et dynamique, qui regorge d’entrepreneurs en herbe. Il semble qu’Haddad aurait pu faire sienne cette sortie d’Emmanuel Macron : « Si vous vous appelez Youssef ou Ibrahim, c’est plus dur d’avoir un job […] et pour ces jeunes c’est parfois plus facile de trouver un client que de trouver un employeur »5. Un programme de soutien aux projets entrepreneuriaux innovants sur le territoire – mis en place par le Red Star et Trust’It – illustre bien cette philosophie libérale. Le lauréat 2024 est une startup qui, grâce à l’intelligence artificielle, aide à réduire le gaspillage alimentaire. L’algorithme est vendu à des entreprises désireuse de verdir leur image.

Un club du 93 ?

Le Red Star, qui ambitionne à terme de rejoindre l’élite du football français, a récemment installé son centre de formation à Marville (La Courneuve). Cela a permis l’émergence de jeunes joueurs talentueux qui ont pour certains rejoint l’équipe professionnelle. Les récentes réussites sportives ont accru la popularité du club et il n’est pas rare de croiser des enfants arborant un survêtement du Red Star dans les quartiers populaires de Saint-Ouen, de Saint-Denis ou de la Courneuve. Reste qu’il est encore plus courant de trouver les produits dérivés du club – vendus à des prix onéreux sur le shop en ligne – dans l’est parisien. Cela pour le plus grand bonheur du prochain fonds d’investissement qui mettra la main sur le Red Star, une marque « branchée » à fort potentiel, suite à la faillite de 777 en septembre dernier.

Notes:

1 Patrice Haddad, cité dans un article du Figaro paru le 12/01/2024.

2 Extrait du rapport de mission 2023 du groupe FREY.

3 Steve Marlet, cité dans un article du Figaro paru le 12/01/2024.

4 Patrice Haddad, dans une interview pour le podcast Génération Do It Yourself.

5 Macron énonce ces propos lors d’une interview en janvier 2016, alors qu’il est ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.

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