Liga et Fédération espagnole : le camp des réactionnaires

Le 15 décembre, l’arbitre de Rayo Vallecano – Albacete décidait de suspendre la partie. Des « puto nazi » se faisaient entendre depuis la tribune du Rayo en direction de Roman Zozulya. Pour soutenir leur coéquipier, les joueurs d’Albacete décidèrent de ne pas revenir sur le terrain pour la deuxième mi-temps. Plus surprenant encore : deux semaines plus tard, la Fédération infligeait une lourde sanction au club de la banlieue madrilène.

Une affaire supplémentaire qui prouve à quel point les autorités espagnoles ont une vision de la société pour le moins conservatrice. La Fédération espagnole (RFEF) vient en effet d’annoncer que la deuxième mi-temps devra être rejouée, à huis clos. Ce n’est pas tout ; la tribune des Bukaneros – d’où sont venues les insultes – devra rester fermée pour les deux prochains matchs également. Qui plus est, le Rayo se voit infliger une amende de 18.000 euros.

Roman Zozulya vs Bukaneros : les autorités ont choisi leur camp

Zozulya a côté d’une image de Stepan Bandera, figure tutélaire du natonalisme ukrainien qui a collaboré avec le IIIe Reich en 1941. En dessous, il pose armé et en tenue militaire. Le cliché sera utilisé par le Régiment Azov pour recruter des miliciens. Enfin, Zozulya, en maillot de basket et son numéro 18, montre le tableau affichant un score de 88. Des nombres régulièrement utilisés comme symboles nazis. (Source : Marca)

Oui, tout cela pour avoir traité un joueur de nazi. Si le joueur ukrainien nie les faits devant les autorités espagnoles, plusieurs indices mettent en avant son regret du régime hitlérien. Militant, Zozulya ne s’est pas contenté de faire l’apologie du régime nazi. Il a mis un point d’honneur à soutenir les nationalistes contemporains. Par exemple, il a envoyé de l’argent au groupuscule néo-nazi ukrainien, le régiment Azov.

Bref, les autorités espagnoles n’hésitent pas un instant à sanctionner lourdement des supporters qui s’indignent publiquement de la présence d’un joueur proche des néo-nazis dans leur stade. En revanche, on se souviendra qu’aucune sanction n’a été adressée à ces supporters qui avaient lancé des cris de singe à l’encontre d’Iñaki Williams. L’arbitre Clos Gomez avait arrêté le match en raison du comportement de certains supporters du Sporting de Gijon. Mais, ni la Fédération, ni La Liga ne s’étaient montrées si enclines à en rajouter une couche comme ce fut le cas dans l’affaire « Zozulya vs Bukaneros ».

Des exemples comme celui-là, il n’y en par dizaines dans l’Etat espagnol. Et ce n’est pas l‘exclusivité des supporters. On se souviendra que ces dernières saisons, le Colombien Lerma a été agressé verbalement pour sa couleur de peau, notamment par le joueur du Celta Vigo Iago Aspas qui lavait insulté de « sale noir de merde ». Un cas parmi tant d’autres qui démontre à quel point les autorités footballistiques espagnoles sont imprégnées d’un conservatisme prononcé, pour ne pas dire plus. Javier Tebas, président de la Liga, n’a jamais caché sa sympathie pour Vox, la formation d’extrême-droite arrivée en troisième position lors des élections générales de novembre 2019. Ancien membre du parti fasciste Fuerza Nueva durant sa jeunesse, Tebas n’a jamais vraiment dévié de sa trajectoire d’indécrottable franquiste.

Depuis 2018, dans un objectif « marketing », Tebas s’efforce d’exporter la Liga aux Etats-Unis. En janvier 2019, La Liga espérait délocaliser la rencontre Gérone – Barcelone outre-Atlantique. Mais le syndicat des joueurs s’y était opposé. Plus récemment, Tebas et sa clique ont retenté leur chance, en voulant imposer Miami comme lieu de la rencontre Villarreal – Atletico Madrid. Cette fois-ci, il s’est heurté au veto plus que logique de la justice espagnole.

Tebas « le mafieux », ennemi numéro 1 des supporters

“Tebas ou nous” | Osasuna-Reus (Liga Adelante | 17.02.2018)

Javier Tebas n’en est pas à son premier coup fourbe. Il a au moins un mérite : faire l’unanimité de quasiment tous les groupes de supporters – y compris les plus grands rivaux – contre lui. Pourquoi cette haine ? Dirons-nous qu’elle n’est que bien rendue. Les supporters lui reprochent surtout d’être le grand responsable de l’énorme augmentation du nombre de matchs en semaine ces dernières années. Pour combler la soif des diffuseurs et le marché chinois, il a été convenu que les matchs ne se joueraient plus en même temps. Résultat : de nombreux matchs sont casés le vendredi et, pire encore, le lundi en soirée.

On vous laisse imaginer comme il devient simple pour un supporter d’Alaves, par exemple, de se déplacer en pleine semaine à Séville pour suivre son équipe. D’autres critiquent également une politique très conservatrice en matière de sécurité dans les stades. Dernière en date, la loi « antiviolence » qui considère de nombreux groupes de supporters comme « dangereux » et durcit le contrôle du matériel et des messages qu’ils comptent afficher.

Autre régression, et non des moindres, le championnat espagnol est devenu le deuxième pays du monde avec les billets les plus chers, juste derrière la Premier League. En réaction, les groupes de supporters se sont organisés. Ensemble, ils ont imaginé la campagne « Tebas casse-toi ». Le groupe Iraultza 1921 d’Alaves a été un des acteurs les plus engagés. Entre des entrées retardées dans le stade, des coups de sifflet simultanés avec les supporters adverses et différents messages affichés durant les matchs, les Basques luttent depuis plusieurs saisons pour que Javier Tebas soit destitué.

“Le football appartient aux supporters, pas aux diffuseurs” | Alavés-Bilbao (Liga | 17.12.2018)

Malheureusement, ce n’est pas près d’arriver. Tebas met en place des subterfuges pour prolonger son pouvoir. Normalement élu par les Présidents des différents clubs jusqu’en 2020, il a annoncé le 2 décembre dernier qu’il démissionnait de ses fonctions. Mais tout ça pour mieux se présenter à de nouvelles élections qu’il comptait organiser. Tebas savait que l’anticipation du scrutin lui donnerait plus de chances d’être réélu. Pour une fois, il a eu raison : le 23 décembre il a été élu président pour quatre années supplémentaires. Une stratégie subtile qu’il avait déjà utilisée en 2016 pour renforcer son pouvoir.

Liga et RFEF ont souvent eu des différends. Mais c’était plutôt sur la forme que sur le fond. Certes, Rubiales, président de la Fédé, s’oppose à la tenue de matchs le lundi. Certes, il s‘est opposé, comme le tribunal madrilène, à la tenue des matchs de Liga à l’étranger. Mais peut-on réellement considérer que la Fédération vaut mieux, alors même qu’elle vient de signer un partenariat de trois ans pour que la Super Copa se déroule en Arabie Saoudite ?

La Fédération espagnole ne vaut pas mieux : la course au profit

Début janvier, en échange d’un gros chèque (40 millions par an), la RFEF organisera donc un tournoi de quatre équipes (les deux finalistes de la Coupe du Roi et le 2ème et 3ème du championnat précédent) en Arabie Saoudite. Fortement critiquée pour ce choix, la RFEF espère pourtant que de nombreux supporters de Valence, Barcelone, Atletico et Real Madrid feront le long déplacement. Pour les encourager, elle a assuré que les droits des femmes n’étaient pas tellement bafoués dans ce pays. Pour preuve, elle a eu des garanties des autorités saoudiennes que les femmes pourront bien se rendre au stade.

On se souvient que lors de la Super Coupe d’Italie entre la Juve et l’AC Milan organisée dans le pays, les femmes pouvaient en effet se rendre au stade… mais rangées dans une tribune spécifique ! Cette année, elles pourront se rendre dans n’importe quelle tribune, quelle avancée ! A nouveau, pour les gens de pouvoir, le football se limite à 90 minutes sur un terrain. En dehors, même les droits fondamentaux ne les intéressent plus.

Supporters de l’Athletic Bilbao sifflant l’hymne national espagnol durant la finale de la Coupe du Roi 2015. Source : TeleMadrid.

L’Espagne d’en haut compte malgré tout quelques garants du bon sens et des droits fondamentaux, en tout cas de circonstance. La chaîne publique TVE s’est immédiatement opposée à une telle délocalisation. Elle a annoncé qu’elle ne diffuserait pas les quatre rencontres prévues. Plusieurs chaînes privées lui ont emboité le pas.

Malgré quelques disputes de façade, Liga et Fédération ne sont finalement pas si différentes. Elles sont deux institutions qui n’ont pas encore fait véritablement table rase du franquisme, qui défendent un nationalisme exacerbé, pour le moins jusqu’à ce que des gros chèques leur soient offerts.

Pour couronner le tout, on retrouve les mêmes méthodes subtiles (ou pas…) pour maintenir leur pouvoir et cloisonner toute opposition dérangeante. Là où Tebas trouve des subterfuges électoraux pour renforcer sa mainmise sur la Liga, la RFEF use de menaces et de montages techniques pour que leur hymne national finisse tant bien que mal à se faire entendre parmi les sifflets indépendantistes basques et catalans qui font du bruit depuis dix ans lors des finales de la Coupe du Roi.

 

 

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