Mise à l’écart ou harcèlement, l’exemple d’Étienne Youté au HAC

(©Icon Sport)

Au sein d’une économie footballistique basée essentiellement sur la spéculation, et dans le contexte d’une baisse du montant des droits TV, un club comme celui du Havre compte plus que jamais sur la vente de ses joueurs pour renflouer ses caisses et assurer sa viabilité à brève échéance.

Le modèle économique du Havre Athletic Club, doté de l’un des meilleurs centres de formation de France, est rodé depuis longtemps. Il consiste à repérer des jeunes joueurs pour, selon leur âge, soit les former, soit les initier au monde professionnel avant de les vendre à des clubs bien plus riches quelques années plus tard. Cette pratique permet au club de continuer d’exister, et même parfois de combler son déficit structurel. Pourtant, l’augmentation de l’inégalité entre les plus grands clubs et les autres, comme la crise économique que traverse le football français, pèse à la baisse sur les indemnités de transfert proposées par les grands clubs européens aux clubs français. Dans le cas où une offre semble acceptable au HAC, elle le pousse aussi à tout tenter pour que son joueur accepte de partir, quitte à flirter avec les limites du droit du travail.

C’est ainsi qu’Étienne Youté, défenseur central qui fut récemment parmi les artisans de l’accession du HAC en Ligue 1 en 2023, puis de son maintien la saison suivante, est désormais mis à l’écart pour avoir refusé de partir cet été. Récemment interrogé à ce sujet à la suite de la victoire du Havre contre Auxerre, l’entraîneur Didier Digard déclare: “Le HAC ne peut se permettre de perdre ses joueurs librement. On a besoin de valoriser nos joueurs. Ce sont eux qui font tourner l’économie du club. Étienne le sait. Il avait un bon de sortie mais n’a pas trouvé preneur, ou a refusé.” Avant d’ajouter : “S’il veut jouer, il prolongera.”

Étienne Youté semble souhaiter quitter le Havre l’été prochain, une fois arrivé à la fin de son contrat. En l’absence d’indemnités de transfert à verser au HAC par son futur club, cela permettrait très probablement au joueur d’obtenir une prime à la signature plus importante. Cette situation n’est pas sans rappeler celle de Harold Moukoudi, lui aussi défenseur central, qui fut écarté du groupe havrais pendant plusieurs mois en 2019, en représailles de sa décision d’aller au terme de son contrat pour ensuite signer libre dans le club de son choix.

Dans le cas d’Étienne Youté, la direction du HAC informe qu’elle lui reproche “son entourage” (des bruits de couloir font état d’une altercation entre son agent et plusieurs membres de la direction), et nous pouvons lire dans la presse qu’il aurait “manqué de respect à l’institution”, laquelle l’avait pourtant “sorti de l’anonymat”. Sur les réseaux sociaux, des supporters dénoncent à leur tour le “manque de respect” dont ferait preuve le footballeur envers le club.

“Le club avant les intérêts personnel”, “l’institution au-dessus de tout”, peut-on lire ou entendre dans tel podcast. Les joueurs de Ligue 1 perçoivent chaque mois un salaire supérieur à la rémunération annuelle de la majorité des supporters, et leurs revenus sont investis dans un certain nombre d’actifs. Cela n’invite pas à les situer spontanément parmi les damnés de la terre. Aussi, le métier d’agent de joueur, pensé dans le contexte de l’après 68 comme un contrepoids au pouvoir des présidents de club sur les footballeurs, a évolué jusqu’à devenir l’une des clefs de voûte de la spéculation financière au sein du football. Pour autant, les footballeurs n’en demeurent pas moins des salariés, et nous devons nous interroger sur le peu d’égard pour leurs droits face à leur employeur dont ils « font tourner l’économie ».

Il y a quelques années, dans les colonnes de So Foot, le milieu de terrain Loïc Puyo racontait sa mise à l’écart du SCO Angers en 2018. Du jour au lendemain, parce que son employeur ne désirait plus sa présence, le nom du joueur avait été effacé de son casier, il était désormais forcé de s’entraîner avec l’équipe réserve, devait se changer au milieu des jeunes apprentis footballeurs, et son accès aux soins médicaux ne pouvait être assuré qu’en décalage avec les horaires d’entraînement des professionnels. Il concluait: “Je ne raconte pas mon histoire pour cibler les manières d’agir du seul SCO, mais plutôt pour exprimer et souligner une méthode utilisée par quasiment tous les clubs qui cherchent à dégoûter les joueurs indésirables. Je sais aussi que cette (indi)gestion du personnel n’est pas spécifique au football de haut niveau. Tous les sports pros sont concernés, et même au-delà, le monde de l’entreprise. Quelques clubs laissent à penser qu’ils sont étrangers à ces pratiques. Dans les médias, on les qualifie de “clubs familiaux”. Certains le sont par certains côtés, mais je peux en témoigner, il arrive que dans les bonnes familles, il y ait des fils maudits et des parents indignes !”

Le droit du travail établit un lien entre la placardisation d’un salarié et le harcèlement moral dès lors que cet agissement durable entraîne des conséquences sur la santé mentale ou physique du salarié. C’est notamment ce qu’avait réussi à faire reconnaître Anatole Ngamukol en janvier 2021, après sa mise à l’écart du Stade de Reims en 2018, qui lui intimait de trouver un autre club un an avant la fin de son contrat, avant de mettre en cause publiquement le comportement du joueur et de tenter de le licencier. La commission juridique de la LFP avait d’abord reconnu une “violation de l’article 507 de la Convention collective nationale des métiers du football [qui stipule que la mise à l’écart d’un joueur doit être provisoire et uniquement liée à des motifs sportifs] du fait du placement prolongé et répété d’Anatole Ngamukol dans le groupe pro 2”. Puis, devant la justice, le joueur, soutenu par l’Union National des Footballeurs Professionnel (UNFP), avait réussi à faire condamner Mathieu Lacour, directeur général du Stade de Reims pour avoir “commis une faute caractérisée par des agissements répétés ayant eu pour effet une dégradation des conditions de travail d’Anatole Ngamukol portant atteinte aux droits de ce dernier, à sa dignité, et de nature à compromettre son avenir professionnel.”

Ce jugement qui avait associé la mise à l’écart d’un footballeur professionnel à une forme de harcèlement moral, faisait figure de première, et l’on avait alors parlé de “jurisprudence Ngamukol”. Pourtant, il n’a pour l’instant pas permis de faire évoluer les pratiques des clubs, ni les discours les justifiant. Dans le cas d’Étienne Youté, sa mise à l’écart ne semble pas aller jusqu’à l’exclusion des entraînements de l’équipe professionnelle, mais, au vu des propos tenus par la direction du club et par le coach, il semble possible de démontrer le rapport entre sa non-participation aux matchs, l’attitude de son employeur qui le jette en pâture dans les médias, et la volonté d’exercer une pression pour le faire partir.

Vivian Petit, supporter du HAC, auteur de « Ciel et marine » (Médiapop, 2023)

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