Que doit-on attendre du “procès” de Manchester City?

Ce qu’on appelle outre-Manche le “procès du siècle” vient de s’ouvrir ce lundi 16 septembre. Pendant dix semaines et dans le plus grand secret, une commission indépendante – nommée par la ligue – est chargée d’étudier entre 115 et 130 chefs d’inculpation visant Manchester City, pour ce qui s’apparente à un dopage financier d’une envergure inédite.

La liste des infractions que reproche la Premier League à Manchester City est plus longue que le bras. L’instance organisatrice du championnat le plus lucratif et suivi du monde s’attaque à une de ses principales locomotives. Les charges qui pèsent sur City comportent des contrats de sponsoring largement surévalués, des magouilles autour des versements de salaires ou encore la communication de données financières falsifiées, sur la période 2009-2018. Un CV de délinquant en col blanc confirmé auquel il faut ajouter le refus répété, durant l’enquête qui a suivi, de coopérer avec la PL.

Sauvé par le TAS en 2020

Les plupart des infractions reprochées au City Football Group, holding détenue à 81% par le fonds d’investissement émirati Abu Dhabi United Group de Sheikh Mansour, sont connues et documentées depuis les “Football Leaks” et les premières révélations du magazine allemand Der Spiegel en 2018. Le club est ainsi accusé d’avoir déguisé des fonds propres en revenus de sponsoring. Médiapart parle de 2,3 milliards de livres sterling directement injectée par ADUG, mettant en lumière une violation majeure du “Fair Play Financier” de l’UEFA et des Profit and Sustainability Rules de la Premier League.

Pep Guardiola s’est insurgé contre ceux qui voudraient voir Manchester City “rayé de la carte”.

Depuis 2013, ces règles limitent les pertes financières d’un club à 105 millions de livres sterling sur trois ans. Les pertes ne peuvent pas être comblées par un riche propriétaire. Les clubs sont donc censés adapter la taille de leur masse salariale aux revenus qu’ils génèrent, notamment en matière de sponsoring. Un des exemples frappants du dopage financier reproché à Manchester City est son contrat avec la compagnie aérienne émiratie Etihad Airways. Censé avoir rapporté 178 millions de livres, il n’aurait en réalité rapporté que 8 millions! La différence ayant été versée en réalité par Sheikh Mansour.

En 2020, ce sens de la fraude avait déjà valu à Manchester City une suspension de deux saisons de toute compétition européenne, infligée par l’UEFA. Sanction qui avait été annulée en appel par le tribunal arbitral du sport (TAS), plusieurs faits étant prescrits, mais bien aidé aussi par une UEFA étrangement négligente au moment de fournir des éléments de preuve pourtant à portée de main. Cette fois-ci, face à la Premier League, la marge de manœuvre de City est réduite. Aucun vice de procédure, aucun délai de prescription, ni aucun recours devant le TAS ne pourra venir le sauver.

Deux nuances de football capitaliste face à face

De leur côté, les dirigeants de Manchester City nient tout acte répréhensible et prétendent disposer de “preuves irréfutables” de leur innocence. Le contraire semble pourtant être étayé, ne serait-ce par les éléments sur lesquels l’UEFA s’était appuyée en 2020. City répond que les documents sortis par Der Spiegel ont été “obtenus de manière illégale” et “sortis de leur contexte”. Le club a mis plusieurs dizaines de millions d’euros sur la table en frais d’avocats pour assurer une défense axée pour l’heure autour de la dénonciation d’une supposée “tentative de nuire à sa réputation”.

Pour la PL, il s’agit pourtant d’une opération à double tranchant. La commission indépendante statuera sur la culpabilité ou non de Manchester City, mais il reviendra à l’instance de prononcer la sanction. En tant que garante de l’intégrité de sa compétition, elle n’a pas d’autre choix que d’affirmer son autorité. Sa crédibilité est en jeu et sa sentence conditionnera beaucoup de choses pour l’avenir. Le rapport de force entre ces deux mastodontes capitalistes est paradoxal. Si jusqu’ici leurs intérêts économiques restent liés, la PL et City leurs feuilles de route respectives finissent par se télescoper.

La séquence de ce “procès du siècle” intervient en effet dans un contexte plus global, notamment sur le plan législatif avec la création par le gouvernement d’un “régulateur du football” en 2025. Un saupoudrage de régulation auquel il faut ajouter la volonté affirmée de la PL de limiter les dépenses de ses clubs, mais aussi de prévenir tout exode vers une ligue européenne fermée et concurrente. L’épisode de la “Super League” en 2021 a laissé des traces. En se désengageant – sur fond de tractations diplomatiques – en premier du projet, Manchester City lui avait d’ailleurs mis du plomb dans l’aile.

Que risquent les Citizens?

Même s’il faut se garder de toutes certitudes, en l’état, les observateurs n’imaginent pas la ligue infliger une punition trop lourde de conséquences à la plus puissante de ses principales têtes de gondole. Manchester City ne devrait donc pas connaître un sort similaire à celui de la Juventus en 2006, rétrogradée en Serie B suite au scandale du Calciopoli. Si la sanction la plus lourde à laquelle le club s’expose est une relégation administrative en Championship, un retrait de points massif apparaît comme l’issue la plus plausible à ce jour.

Le contrat fantasque de son ex-coach Roberto Mancini sera étudié de près, avec un salaire annuel d’un 1,45 million de livres sterling, plus 1,75 million supplémentaire payé par le club saoudien d’Al Jazira – autre propriété de Sheikh Mansour – auprès duquel il était détaché quatre petits jours par an en tant que “consultant”.

Everton et Nottingham Forest sont récemment passés tout près de la relégation la saison passée après des retraits de points. Les Toffees se sont vus retirer huit points pour deux infractions, liées à une gestion désastreuse de ses dirigeants. Alors forcément, devant la situation hors norme de plus de cent infractions – qui plus est dans une stratégie délibérée de triche – reprochées à Manchester City, l’ensemble des clubs PL et leurs supporters sont en droit d’attendre une sévérité inédite en cas de reconnaissance de sa culpabilité. Une trop grande clémence à l’égard de City serait en effet très mal comprise. “Prise entre le marteau et l’enclume, la PL […] pourrait opter pour un verdict d’un autre type: une déduction de points suffisamment conséquente pour empêcher que le club participe à la Ligue des Champions, peut-être étalée sur plusieurs saisons, mais aussi suffisamment légère pour que les Mancuniens échappent à la relégation”, écrit le journaliste Philippe Auclair, spécialiste avisé du football anglais. Il évalue même cette sanction possible autour de 40 points.

Au mieux, City devrait donc se voir privé d’un cinquième titre consécutif et d’une qualif européenne. La question légitime de la validité du palmarès acquis par le club entre 2009 et 2018 – trois titres de champion (2012, 2014 et 2018), une FA Cup (2011) et trois League Cup (2014, 2016 et 2018) – se posera aussi, certainement. Mais la puissance démesurée des fonds d’investissement et la question de la multipropriété, dont le City Group est un des archétypes, ne seront évidemment pas mis sur la table. La structure économique de l’élite du football anglais a encore de beaux jours devant elle.

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