
Lors de la réception d’Augsburg le 14 septembre dernier, une longue banderole dénonçant Netanyahu décorait le bas de la Südtribüne, fief des ultras du FC St. Pauli. Un changement de braquet tardif, dans une séquence où Israël est de plus en plus isolé sur la scène internationale. Bien insuffisant pour redorer une image bien ternie.
Il aura donc fallu près de deux ans pour voir un message de l’Ultrà Sankt Pauli 2002 (USP), autre que ceux saluant la mémoire des victimes israéliennes de l’attaque terroriste du 7 octobre 2023. La longue banderole “Netanyahu fasciste – Arrête de tuer des civils en Palestine”, récemment déployée, a forcément fait parler. Comment la lire dans un club où le génocide à Gaza a provoqué une rupture chez les supporters, comme dans aucun autre? Après le 7 octobre, la communauté des fans du FC Sankt Pauli a connu la plus grande crise politique de son histoire et il ne faut pas avoir la mémoire courte.
Pour des mots sensiblement identiques écrits il y a deux ans, certains s’étaient faits traiter de complices du Hamas, et sévèrement recadrer par le Fanclubsprecherrat, l’organe coordonnant les multiples fans-clubs. Le mécanisme accusatoire, alors utilisé par nombre de fans allemands, visait à assimiler le moindre soutien à la résistance palestinienne à une validation du terrorisme. Face à ce verrouillage, plusieurs fan-clubs internationaux – particulièrement en Grèce, au Pays Basque ou en Catalogne – ont fait le choix de tourner le dos à leur club de cœur, en prononçant leur auto-dissolution.
Ce n’est pas un hasard si l’USP 2002 s’est senti obligé de se fendre d’un communiqué dit de “contextualisation”. Sans être convaincants, ils tentent de se recomposer une crédibilité politique, largement entamée après avoir clairement tourné le dos au peuple palestinien. “Un silence supplémentaire sur les incroyables souffrances de la population civile ne nous semblait plus acceptable”, lit-on. Ainsi, devant l’évidence du nettoyage ethnique commis par l’armée israélienne dans une bande de Gaza au trois-quart détruite, le groupe a mis plus de 700 jours pour décider d’arrêter de se taire.
“C’est trop tard! La réputation du FC St. Pauli est ruinée”
L’USP ne formule aucun mea culpa et se cherche des excuses, camouflé derrière une pseudo-complexité du conflit israélo-palestinien. Si les ultras penchent clairement en faveur d’Israël, ils prennent soin de faire valoir qu’ils se sont toujours montrés critique envers Netanyahu. “Le gouvernement dirigé par le Likoud et ses partenaires de coalition qui soutiennent également les colons racistes, contredisent tous les idéaux que nous défendons”, assène le communiqué avec l’aplomb décalé de ceux qui sentent le vent tourner, et qui craignent d’être définitivement taxés de complaisance envers un État génocidaire.
Toutefois, concernant ce timing désastreux, le groupe sort un autre argument de son chapeau: le risque d’implosion était trop menaçant après “vingt ans d’efforts pour maintenir le conflit et ses discussions de fond hors du stade”. L’USP dit avoir pris le temps d’arriver à un consensus, “mettant l’accent sur le gouvernement fasciste-raciste en Israël et les souffrances de la population civile en Palestine”. Les ultras affichent leur volonté de “faire preuve de solidarité concrète” en collectant des dons pour l’organisme humanitaire “Clean Shelter”, fondé par une Palestinienne et une Israélienne.
Sur les réseaux sociaux, d’anciens supporters du club n’ont pas manqué de questionner avec ironie la sincérité des banderoles, et plus généralement de la démarche. Il y a encore quelques semaines, le capitaine Jackson Irvine se faisait copieusement insulter pour son soutien envers le peuple palestinien et ses appels au cessez-le-feu. Les ex-fans grecs du club n’y sont pas allés par quatre chemins: “C’est trop tard, la réputation du FC St. Pauli a été ruinée dans de nombreux pays et ce n’est pas une douzaine de banderoles au Millerntor qui pourra la restaurer. St Pauli en tant que club et une grande partie de ses fans sont morts pour nous!”.
Ils vont plus loin et dénoncent une réécriture mensongère de l’histoire de la part de l’USP, mais aussi des divers influenceurs et podcasters qui gravitent autour du FC St. Pauli. “Vous vous levez aujourd’hui et prétendez qu’en fait vous avez toujours été très critique envers le gouvernement Netanyahu et l’armée israélienne, et que vous en avez discuté ouvertement, mais ce n’est pas vrai.” En effet, pourquoi attendre deux ans pour formuler cette position minimale, finalement proche de celle exprimée par les mêmes groupes parias, qui proclamaient “Pas plus avec le Hamas qu’avec Netanyahu” en octobre 2023?
L’influence antideutsch toujours problématique
“La réalité des faits à Gaza a fini par s’imposer à tous, mais on part de très loin”, reconnaît Xavier, communiste libertaire et membre du fan-club Francophonie du FC St. Pauli. Conscient que ces banderoles donnent aux ultras de St. Pauli des airs de résistants de dernière minute, il explique en grande partie ces tergiversations par l’influence problématique du courant antideutsch “qui a tiré parti du choc immense qu’a été le 7 octobre pour imposer sa grille de lecture”. Plus concrètement, cela a impacté toute la communication publique. “Les canaux de diffusions de la scène des fans sont verrouillés, ce qui a longtemps réduit au silence les positions anticolonialistes et impérialistes”.
Sebastian Clare l’a confirmé au média italien Pallonate in Faccia, “les voix sionistes sont plus bruyantes et très bien organisées”. Début 2024, ce supporter irlandais de St. Pauli, installé en Allemagne depuis neuf ans, tente de contester cette hégémonie avec la page Instagram fcsp.4.falastin. “Il n’existe aucun moyen réel de savoir, sans sondage, quelle proportion des fans ou des membres du club soutient la Palestine. Cela reflète l’atmosphère générale en Allemagne, pour être honnête. Beaucoup de gens sont horrifiés par ce que fait l’armée israélienne, mais ils se taisent, de peur d’être accusés d’antisémitisme.”
Ce climat a valu au fameux club pirate, qui a longtemps surfé sur sa réputation rebelle et antifasciste, d’être taxé de “repaire de hipsters” ou encore de “Disneyland de l’antifascisme”. “A Hambourg peut-être plus qu’ailleurs en Allemagne, les Antideutsch dominent le milieu militant, à l’image du Rote Flora, squat historique du quartier”, poursuit Xavier. S’il en comprend les raisons, il regrette le départ des fan-clubs étrangers, “les plus politisés”. Face à une démarche qu’il perçoit plus comme une “retraite sur l’Aventin”, il privilégie au contraire la lutte en interne pour porter la contradiction à la ligne antideutsch.
“En tant que membres du St. Pauli, nous avions deux choix: quitter le club ou nous battre pour lui”, appuie Sebastian Clare qui réfute l’idée d’avoir choisi le confort avec la deuxième option. “Rester et continuer à soutenir le club malgré la présence de supporters sionistes n’était pas une décision facile.” Les premières banderoles pro-palestiniennes, apparues en tribune latérale au Millerntor, font exister le refus de laisser le champ libre à la propagande israélienne. Relayant notamment la campagne “Show Israel the Red Card”, elles ont ouvert une brèche dans ce dispositif où le soutien au peuple palestinien a longtemps semblé prohibé.
Vers une bataille d’usure en interne
Conscient de sa marge de manœuvre limitée, le fan-club francophone a fait le même choix, tout en exprimant son profond désaccord avec la ligne antideutsch dans un communiqué en juin 2024. D’autres fan-clubs internationaux partagent cette stratégie, en Italie ou à Chania en Crête, qui permet “de rester actif dans l’environnement du club et d’y exprimer nos désaccords”. Il s’agit de renforcer une ligne anticolonialiste et anti-impérialiste, notamment via leur blog “FCSP Kultur”. A-t-elle un réel espace d’expression dans la grande communauté des fans du FC St. Pauli?
Comme Stefano Severi, membre du fan-club italien des Brigate Garibaldi et de TuttoStPauli.com, l’expliquait avec lucidité dans le média Il Post: “même s’il est possible que les Brigate Garibaldi soient minoritaires sur la question palestinienne, il existe une diversité d’opinions et un débat parmi les supporters.” Même son de cloche chez Xavier qui voit l’imposante masse sociale du FCSP comme une source d’espoir: “Le club compte 50 000 membres, ce n’est pas un bloc monolithique”. Il voit déjà ces banderoles apparues dans la Südtribüne comme les fruits d’un long travail de fond.
Le niveau de tension interne reste très élevé. La page fcsp.4.falastin a été temporairement suspendue suite à une campagne de signalements, orchestrée par les franges pro-israéliennes. En témoigne aussi la persistance des attaques personnelles, et institutionnelles, visant Jackson Irvine. Un membre du conseil de surveillance du FCSP est même impliqué. La direction brille encore par son silence. Dans un communiqué de soutien au joueur, le fan-club francophone pose une question simple qu’on dirait rhétorique: “le club est-il encore fidèle à ses principes?”.
Leave a Reply