Sur les traces d’Ana Maria Martínez Sagi

Ce n’est qu’en 2011 que le Barça rendit hommage à Ana Maria Martínez Sagi, première femme à avoir siégé à la Junta directiva du club en 1934. Décédée onze ans plus tôt, elle était quasiment sortie de la mémoire collective. Depuis quelques années maintenant, l’action de ce personnage avant-gardiste et touche-à-tout – poète, journaliste, sportive, et militante féministe, catalaniste et libertaire – est sorti de l’oubli.

Avant d’être mise à l’honneur par le Barça, on doit beaucoup à l’écrivain Juan Manuel de Prada qui permit de redécouvrir Ana Maria Martínez Sagi en 2000, année où elle meurt dans une maison de retraite de Santpedor. L’écrivain lui consacre son troisième roman, Les lointains de l’air. Il y dépeint une Ana Maria Martínez Sagi iconique, dont il remonte la trace à partir d’une vieille interview datée de 1929, réalisée par César González Ruano, par ailleurs phalangiste de la première heure, intitulée « Poète, syndicaliste et vierge du stade ». Il est étonnant qu’une personnalité aussi singulière ait pu rester si longtemps oubliée de la mémoire collective. Car il s’agit d’une des journalistes les plus brillantes et réputées de la Seconde République espagnole. Ses articles pour l’hebdomadaire madrilène Crónica, mais aussi pour El Día Gráfico, ou encore la revue littéraire mensuelle Lecturas, connaissent un grand succès. Ses papiers s’intéressent autant aux mendiants ou aux prostituées qu’aux stars de cinéma. Elle écrit aussi des articles d’opinion où elle prend position en faveur du droit de vote des femmes qui est instauré en 1931. Son activité de journaliste l’amène à rencontrer la fine fleure artistique de la République. Elle se lie d’amitié avec le poète Federico Garcia Lorca et la comédienne Margarita Xirgu, rencontrés lors des répétitions d’une pièce de Lorca qu’elle devait chroniquer pour La Rambla, hebdomadaire « sportif et citoyen », dirigé par Josep Suñol, membre éminent de la Junta directiva du Barça1. C’est d’ailleurs lui qui va insister pour qu’elle intègre en 1934 la direction du club, présidé alors par Esteve Sala. Ardente défenseure du sport féminin et sportive accomplie elle-même, douée en natation, en ski, en tennis et bien sûr en lancer de javelot dont elle détient le record de Catalogne, elle se laisse convaincre.

Fille de la bourgeoisie progressiste

Ana Maria Martínez Sagi sur le stade Montjuic en 1931

Le football, et le Barça en particulier, n’est pas une terre inconnue pour elle. Son frère, Armando Martínez Sagi est un ancien footballeur du Barça des années 20, puis du CE Jupiter. Et son cousin Emilio Sagi-Barba est un joueur phare des blaugrana durant l’entre-deux guerres. Elle devient la première femme à occuper ce type de responsabilité, deux ans avant que l’anarchiste Federica Montseny ne devienne la première femme espagnole ministre. Une stratégie de participation au pouvoir qui divisa d’ailleurs, à juste titre, le mouvement anarchiste, très puissant en Espagne en 1936.

Ana Maria Martínez Sagi vient de cette bourgeoisie du textile, catalaniste, républicaine et libérale, dont le FC Barcelone est un étendard et une chasse gardée. Son père fut d’ailleurs trésorier du club de 1917 à 1919. Mais elle rompt avec sa famille quand sa mère, plus conservatrice, s’oppose à sa relation avec la poète Elisabeth Mulder. Dans ce Barcelone des premières heures de la Seconde République, Martínez Sagi assume son attirance pour les femmes. Arborant fièrement une coupe à la garçonne, elle est considérée comme en avance sur son temps, indépendante et moderne. Dans son engagement féministe, le sport tient une place essentielle. Elle voit le sport comme un outil d’émancipation corporelle indispensable aux femmes prolétaires. Elle impulse la création du premier club entièrement dédié au sport féminin, le Club Femení d’Esports de Barcelona en 1928 avec entre autres Enriqueta Sèculi, Teresa et Josefina Torrens ou Rosa Arquimbau. Club essentiellement composée d’ouvrières, pour la plupart analphabètes. Dans ce type de clubs, les femmes apprenaient aussi à lire et à écrire. Ce climat de lutte féministe verra une multitude de groupes se créer à travers le pays, dont l’organisation anarchiste Mujeres Libres en 1936. De son côté, Martínez Sagi s’engage d’abord aux côtés des indépendantistes catalans, et adhère en 1932 au Front Unic Femení Esquerrista. Elle se rapprochera ensuite des anarchistes en rejoignant la célèbre Colonne Durruti sur le front d’Aragon, d’où elle écrira ses reportages sur la Guerre Civile pour le Daily Mail. La défaite la contraint à l’exil en France où elle continuera de lutter contre la vermine fasciste en rejoignant la Résistance. Après la mort précoce de son mari et surtout de sa fille de 8 ans, elle partit vivre aux États-Unis. Et comme de nombreux anti-franquistes, elle ne revint vivre en Espagne qu’en 1975, à la mort du dictateur.

Le Barça retrouve la mémoire

Ana Maria Martínez Sagi ne restera qu’un an au sein de l’équipe de direction du Barça. En charge de la commission « Culture », son projet était de créer une section féminine. Le jour de sa prise de fonction, interrogée par un journaliste de La Rambla sur ce qu’elle comptait mettre en place, elle répondit « Établir, entre autres, des cours de gymnastique pour les femmes. Préparer consciencieusement les jeunes femmes qui souhaitent se consacrer au sport, en les protégeant du danger de pratiquer sans contrôle ni préparation préalable. Organiser des cours, des conférences, des excursions, en bref faire un travail culturel et efficace, sans jamais oublier la femme. » Toutes ces initiatives auraient été purement boycottées par les socios, selon Juan Manuel de Prada. Ce qui incita Ana Maria à démissionner. Elle comprit que sa marge de manœuvre était très serrée. D’ailleurs, les premiers pas du foot féminin au FC Barcelone datent seulement de 1970.

Mais depuis 2011, le Barça s’attelle à reconstituer la mémoire des femmes au sein du club. Une initiative pilotée alors par Susana Monje, ex-trésorière du club sous le mandat de Sandro Rosell. Elle est à l’origine du Groupe Edelmira Calvetó, du nom de la première femme socio du club en 1913, chargé de travailler sur cette question. Les premiers hommages du club à Ana Maria Martínez Sagi remonte à cette date, soit onze ans après sa mort. Depuis, de façon un poil opportuniste, le Barça célèbre les femmes qui ont marqué l’histoire du club, allant jusqu’à consacrer un docu-fiction à Ana Maria Martínez Sagi, co-produit par le club et diffusé sur la chaîne catalane TV3, avec Anna Sahun dans le rôle principal. Le club profite de la Journée internationale pour le droit des femmes pour le présenter en avant-première dans l’Auditori 1899 du Camp Nou et rappeler combien il était exceptionnel pour une femme d’accéder à de telles responsabilités à cette époque. Manière aussi pour l’institution blaugrana de se tirer la couverture, et donner l’image d’un club en avance sur ces questions sociétales. Dans les faits, le club se garde bien de préciser que le machisme est solidement ancré au sein du club, hermétique à sa vision émancipatrice du sport, l’a fait démissionner au bout d’un an. Ce n’est que 55 ans plus tard qu’une femme siégera à nouveau à la Junta directiva du Barça avec l’arrivée en 1989, dans l’équipe du président Nuñez, de Rosa Valls-Taberner, elle aussi issue de la bourgeoisie catalane. On ne change pas une classe qui gagne.

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Notes:

1Josep Suñol, député sous les couleurs de la gauche républicaine catalane (ERC), devient président du Barça en 1935, il sera fusillé par les fascistes moins d’un mois après le déclenchement de la Guerre civile, en août 1936.

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