La finale de la FA Cup a longtemps été l’évènement le plus suivi de l’année en Angleterre. Celle de 1966 entre Sheffield Wednesday et Everton voit plus de 100 000 personnes se presser dans les gradins du mythique Wembley, inauguré en 1923. L’irruption sur le terrain d’un supporter sorti des tribunes a marqué les esprits. Voici la brève histoire de celui qui fut surnommé ironiquement “The First Hooligan”.
«Comment ce sympathique gars originaire de Huyton a-t-il gagné cette distinction douteuse?» interroge le site Toffees.com dans un article qui lui rend hommage. Eddie Cavanagh est avant toute chose un fan d’Everton, l’autre club de Liverpool. C’est même l’ainé des deux clubs majeurs du Merseyside. Eddie ne déroge pas à la norme du fan anglais qui dédie l’intégralité de sa passion à son club de cœur. Plus tard, sa fille Andrea en a témoigné: «Everton c’était toute sa vie. Il mangeait, dormait et rêvait football. Tout était relié à Everton. Même chez lui, tout était bleu, tout.»
Des Toffees renversants
Quelques semaines avant cette Coupe du Monde remportée à la maison par la sélection nationale anglaise, à la faveur d’un arbitrage complaisant, le public anglais a les yeux braqués sur cette finale de FA Cup. Ce 14 mai 1966, les Toffees, comme on surnomme Everton, jouent leur première finale depuis la fin de la seconde Guerre Mondiale. La dernière remonte à la saison 1932/33 avec une victoire sans bavure contre Manchester City. Côté supporters, l’engouement est à la hauteur de cette longue attente. Leur enthousiasme est pourtant vite douché par un but de Sheffield marqué par l’écossais Jim Mc Calliog dès la 4e minute. Les espoirs de victoire s’amenuisent encore un peu plus en début de seconde période avec un deuxième but de Wednesday. De quoi faire cogiter. Sur le terrain comme dans les tribunes, on commence à se dire que ça sent la défaite. Mais en cinq minutes, le milieu Mike Trebilcock inscrit un doublé qui remet Everton dans le coup.
Comme un symbole, Trebilcock avait remplacé au pied levé Fred Pickering, un des joueurs phare du club, absent de dernière minute. Avec ces deux buts, le sort du match est en train de tourner et dans les tribunes la confiance change de camp. Les fans de Sheffield Wednesday voient la Cup leur glisser progressivement des mains alors que ceux d’Everton sont survoltés par la remontée magnifique des leurs. Du suspense, des buts, tous les ingrédients sont réunis pour une finale d’anthologie. Mais il manque encore le petit truc qui la gravera définitivement dans les mémoires. C’est là qu’Eddie Cavanagh entre en jeu, dans une des scènes les plus mémorables de l’histoire la FA Cup. Dopé par la folie collective générée par l’égalisation, Eddie pénètre sur le terrain et se met à courir en direction des maillots bleus.
« Revenir à 2-2, c’était un truc de dingue, non? Tout le monde hurlait. Il fallait le voir pour le croire. Je ne pouvais pas expliquer ça. J’ai vu Trebilcock et je me suis dirigé vers lui en premier. Il s’est un peu chié dessus parce qu’il ne me connaissait pas. »
Quelques secondes durant, Eddie Cavanagh continue sa chevauchée fantastique à travers le terrain. Lancé tambour battant, les bras écartés comme un marathonien qui franchit le ruban d’arrivée en première position, Eddie est, l’espace d’un instant, la star de Wembley qui se régale du spectacle. Pourchassé par quelques policiers londoniens présents sur le bord du terrain. Il se défait magistralement d’un premier qui était parvenu à saisir la veste de son complet. Eddie s’en débarrasse d’un mouvement agile, la laissant dans les mains du flic désabusé qui finit par se prendre les pieds dans le tapis et brouter un peu de ce gazon connu comme étant tout simplement le meilleur du monde.
Moment de gloire sur un air de Keystone Kops
En fait, Eddie se dirige instinctivement vers Gordon West, alias “Westy”, gardien de but des Toffees. Probablement dans l’idée de lui dire de tenir bon les cages, de ne plus rien laisser passer. Mais, à l’entrée de la surface de réparation, il se fait rattraper et plaquer, comme un rugbyman à quelques encablures de l’en-but, par le deuxième bobby lancé à sa poursuite. Sur la célèbre photo qui a immortalisé la course-poursuite, on voit un Eddie triomphant, le sourire aux lèvres et les pouces sous les bretelles. Une attitude qui tranche avec l’allure désarticulée du flic à sa poursuite, tandis que l’autre, déjà étalé par terre, n’est plus qu’un spectateur supplémentaire de la scène. Pas étonnant que certains observateurs de l’époque ont cru y voir une scène des Keystone Kops, ces policiers ridicules et patauds des comédies burlesques du début du 20e siècle.
« Il y avait un gros sergent, avec une grosse matraque dans la main. Je n’oublierai jamais ce bâtard. Il dit à ses hommes: “Dégagez-le hors du stade!”. On pourrait juste le remettre au milieu des supporters – Dégagez-le hors du stade”, il a répété. J’ai dit: “Oh, s’il vous plait, il y a 2-2 putain!”»
Après s’être fait attrapé puis jeté hors du stade, Eddie Cavanagh réussit à se faufiler et à revenir en tribune, au nez et à la barbe des policiers. Il était écrit quelque part que rien ne l’empêcherait de voir le troisième but, celui de la victoire, inscrit par Derek Temple. Un but qu’Eddie a fêté sagement en tribune ce coup-ci. Mais sa pierre à l’édifice de cette finale avait été posée. Son éphémère aventure sur le rectangle vert lui vaudra le surnom de “First Hooligan”. Ironique bien sûr, car il n’a rien d’un hooligan. Son action est même plus annonciatrice des percées individuelles popularisées plus tard par les streakers, qui y ont parfois ajouté la nudité, que du hooliganisme réel.
Eddie Cavanagh, qui est mort le 9 décembre 1999 chez lui à Cantril Farm, a toujours été très fier de son irruption au milieu de la finale de 66, comme l’a raconté sa fille. “Sur les murs de chez lui, il gardait ces fameuses photos de lui sur le terrain. Il en avait quatre au total, toutes encadrées et occupant une place de choix au-dessus de la cheminée.” Une dizaine de secondes qui en ont fait un fan légendaire.
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