Photographiés avec un casque de chantier sur la tête avant un match, la solidarité des joueurs de la Ternana Calcio avec les ouvriers grévistes de l’usine AST ne s’est pas limitée à ce geste. Voici la petite histoire qui a conduit des footballeurs à soutenir des ouvriers de leur ville confrontés à un plan de licenciements.
Parfois, même dans un stade de football, l’actualité sociale peut reléguer le match au second plan. Peu importe que ce soit l’affaire de quelques minutes. A Terni, si le cœur populaire vibre pour la Ternana Calcio, on en n’oublie pas pour autant les ouvriers qui luttent. Un exemple, rare, de la solidarité qui peut encore exister entre le monde du football professionnel et les grandes causes de la classe ouvrière, comme la lutte contre les licenciements.
Ombrie, cœur d’acier
En cette fin d’année 2014, après quarante jours d’une grève très combative, les ouvriers d’AST (Acciai Speciali Terni), menacés par un plan social d’envergure, ont fini par réussir à faire reculer les dirigeants du groupe allemand ThyssenKrupp, devenu propriétaire de l’usine en 1994 (revendue au groupe Averdi en septembre 2021). L’économie de Terni, deuxième ville la plus importante de l’Ombrie, au centre de la Botte, repose alors principalement sur la production d’acier. Avec ses deux hauts-fourneaux et ses trois lignes de laminage, l’usine de Terni est le plus important site sidérurgique d’Italie. Une histoire commencée en 1884 avec la première “Société des hauts-fourneaux” qui a symbolisé l’industrialisation de la ville. Mais depuis, les pôles sidérurgiques d’Europe ont quasiment tous fermé ou ont été profondément restructurés.
Après avoir déjà fermé le seul pôle d’acier magnétique d’Italie en 2005, ThyssenKrupp entendait poursuivre la restructuration du bassin sidérurgique en opérant une importante réduction de la production d’acier inoxydable. Le projet prévoyait ainsi la fermeture d’un des deux hauts-fourneaux et de très nombreux licenciements, 537 précisément sur les 2400 salariés que compte le site. L’accord de fin de grève signé avec l’intersyndicale (CGIL, CISL et UIL), et approuvé par près de 80% des ouvriers lors d’un référendum, a finalement garanti le maintien de l’activité des deux hauts fourneaux pour quatre ans de plus.
La grève illimitée des ouvriers et des ouvrières d’AST avaient attiré la solidarité et la sympathie de toute la région, mobilisée aussi pour ne pas voir disparaître l’emploi. Se serrer les coudes fait partie des habitudes des contrées ouvrières comme Terni. Ce qui est en jeu, c’est la sauvegarde du gagne-pain de milliers de famille. Même si c’est pour seulement quelques années de plus et que le sort promis à ces cités sidérurgiques est connu. L’exemple du bassin lorrain en France donne une idée précise de l’impact d’une fermeture des hauts-fourneaux sur les conditions de vie de la population locale.
Sidérurgie et football, les deux poumons de Terni
Le club de football de la ville, la Ternana Calcio a pris part à cet élan solidaire. Au mois d’août, avant la réception de Catanzaro en Coppa Italia, une délégation de grévistes avait pu faire un tour de terrain derrière leur banderole contre le “démantèlement des aciéries de Terni”, malgré la frilosité des instances retranchées derrière l’interdiction de manifestations à caractère syndical ou politique à l’intérieur des stades. Mais le soutien du club envers les grévistes d’AST ne s’arrêtera heureusement pas à cette démonstration symbolique. Au mois d’octobre de la même année, deux jours avant un match face à Livourne, les joueurs et le staff de la Ternana Calcio sont allés directement à la rencontre des grévistes sur le piquet devant l’usine. A l’occasion de cette visite, le club a annoncé une fermeture des guichets la veille du match pour ne les rouvrir que le jour J à 10h. Une opération “rideaux baissés” appliquée au football, à l’instar de ce qu’avaient déjà réalisé les commerces de la ville en solidarité avec les ouvriers.
Lito Fazio, alors capitaine du club, avait eu ces mots à propos du lien qui unit l’équipe aux ouvriers de la ville: «Notre équipe sera toujours du côté des travailleurs, si ce n’est pas physiquement ce sera avec le cœur […] Comme vous nous soutenez quand nous jouons.» Tandis qu’Atilio Tesser, coach de l’équipe, y ajoutait sa petite “causerie”: «Notre contribution n’est qu’une goutte d’eau au milieu de l’océan, mais c’est avec le cœur que nous somme là. La moindre des choses que nous pouvons faire est d’être à vos côtés, en espérant que tout cela se finissent de la meilleure des manières pour vous tous. Nous formons une seule et même communauté.» Aux côtés de l’équipe de la Ternana est aussi présent Riccardo Zampagna, un enfant de Terni et ancien joueur pro qui est un fervent soutien des grévistes et qui répète souvent que «l’aciérie lui a donné à manger». Le père de Zampagna était ouvrier à l’AST et il est décédé d’une de ces nombreuses maladies du travail provoquées par l’amiante, qui mettent des plombes à être reconnues comme telles, si jamais elles le sont un jour. Bosser dans ces taules n’a jamais été une partie de plaisir, mais l’enlever aux ouvriers c’est les tuer d’une autre manière.
“Gare à ceux qui s’en prennent aux ouvriers d’AST!”
Le 18 octobre 2014 donc, les Rossoverdi de la Ternana Calcio reçoivent Livourne au Stade Libero-Liberati pour un derby “de l’acier”. Les supporters du club toscan, mondialement connus pour leur ouvriérisme et leur antifascisme, ont aussi fait le déplacement avec une banderole proclamant: “S’ils touchent à un, ils touchent à tous! Livourne solidaire des ouvriers de Terni”. De leur côté, les joueurs de la Ternana ont marqué les esprits en pénétrant sur la pelouse avec un casque de chantier à la main qu’ils enfileront au moment du protocole sous les flashs de quelques photographes qui immortaliseront le moment. Les clichés de cette marque de solidarité inédite voyageront autour du monde. La lutte des ouvriers d’AST, confrontée à l’intransigeance des décideurs économiques, a reçu là un coup de projecteur bienvenu.
Durant la grève, les ultras de la région, que ce soit ceux du Ternana Calcio ou ceux de Pérouse, ont régulièrement manifesté leur soutien aux ouvriers d’AST. A Pérouse, dans la Curva Nord du Stade Renato Curi, les ultras ont accroché à plusieurs reprises – y compris durant les matchs amicaux d’avant-saison – une banderole “Pérouse aux côtés des ouvriers d’AST”. Comme ceux de la Ternana, les ultras de Pérouse sont plutôt ancrés “à gauche”. Alors quand se présente le derby le 22 novembre 2014, pour le compte de la 15e journée de Série B, les ouvriers grévistes d’AST bénéficient d’un soutien unanime dans les tribunes. De la même manière que le club de la Ternana a témoigné de sa solidarité au mois d’octobre en fermant ses guichets, celui de Pérouse invite plusieurs ouvriers à assister au match et à défiler autour du rectangle vert avant le coup d’envoi. Côté tribune les ultras de Pérouse déploient une nouvelle banderole: “Gare à ceux qui s’en prennent aux ouvriers d’AST!”
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