De nombreuses zones d’ombre entourent toujours le décès d’Albert Ebossé, avant-centre camerounais de la JS Kabylie qui a perdu la vie à l’issue d’un match à domicile contre l’USM Alger en 2014. La version officielle venant des autorités algériennes n’a jamais convaincu tout le monde, à commencer par les proches du joueur. Mais plus le temps passe, plus la lumière sur ce drame semble s’éteindre.
« C’était chaud, les supporters mécontents ont commencé à jeter des pierres grosses comme mon poing. Je suis arrivé trente secondes après car je venais de l’autre côté du terrain. Quand je suis arrivé près du tunnel, j’ai vu Albert couché sur le sol, à l’entrée. On m’a dit qu’il avait été touché par un projectile. » se souvenait en 2015 Hugo Broos, coach de la JSK au moment des faits, auprès du média So Foot. Les témoins immédiats et directs manquent. Et, l’impression que la parole n’est pas libérée est très palpable. Nous faisons le point sur une enquête qui patine depuis le début.
Toujours deux versions
S’il y a des faits sur lesquels tout le monde s’accorde, c’est qu’Albert Ebossé a été touché à la tête au moment d’entrer dans le tunnel des vestiaires. La question c’est par quoi, et par qui ? Pour faire simple, deux versions s’opposent. La version présentée comme officielle avance la thèse d’une ardoise tranchante jetée depuis la tribune. C’est en tous cas ce qu’a conclu l’enquête de la justice algérienne via le parquet de Tizi-Ouzou, bouclée au bout d’un mois. La JSK venait d’être battue à domicile, les supporters exprimaient ainsi leur mécontentement en jetant des projectiles sur la pelouse. Une thèse plausible qui reprend les résultats d’une autopsie dont beaucoup rejettent les conclusions, ou du moins les mettent en doute. Des supporters de la JSK jusqu’à certaines personnalités comme l’ex-gardien international camerounais Joseph-Antoine Bell.
A l’époque des faits, la famille du joueur et ses avocats avaient décidé, dès le rapatriement du corps au Cameroun, de faire pratiquer une contre-autopsie. Menée par le Dr Mouné, celle-ci accrédite la thèse d’un passage à tabac lors duquel le joueur aurait reçu plusieurs coups : « d’après examen des blessures, le scénario vraisemblable est qu’Albert Ebossé a été immobilisé de force. On lui a pris le bras gauche vers l’arrière et, en se débattant, son épaule s’est déboîtée. Il a dû se débattre et a reçu un coup sur le crâne, sur la calotte crânienne. Cela a fait vaciller les os de la base du crâne, d’où la présence de liquide céphalo-rachidien.» Une contre-autopsie qui tire des conclusions bien différentes de celles de la justice algérienne. Deux versions opposées qui contribuent à entretenir le mystère autour de ce qui s’est véritablement passé, et sur l’identité des “vrais responsables”. Les regards se tournent alors vers le sulfureux président de la JSK, l’homme d’affaire Mohand Hannachi qui est resté à la tête des Canaris de 1993 à 2017.
La JSK lourdement sanctionnée
En terme de responsabilités, la JSK, en tant que club accueillant la rencontre et dont les supporters sont accusés d’avoir jeté les pierres sur le terrain, a vite été sanctionnée. La commission de discipline de la Ligue lui a infligé une suspension de terrain pour toute la saison, l’obligeant à évoluer hors de Tizi-Ouzou, doublée d’un huis clos de 6 mois. La Confédération Africaine de Football (CAF) n’a pas hésité non plus à exclure dans la foulée la JSK de toute compétition continentale, pour deux saisons. Une exclusion finalement annulée par le Tribunal Arbitral du Sport (TAS), mais qui atteste de l’émoi suscité au niveau des instances internationales. Les supporters se sont vus interdire de suivre leur équipe à l’extérieur sur l’essentiel de la phase aller de la saison 2014/15.
Le club kabyle payait là des manquements évidents en terme de sécurité. Mais aussi la communication hasardeuse, pour ne pas dire cynique, et les tergiversations du président Hannachi qui s’est permis de dire « le seul responsable de la mort d’Ebossé c’est l’arbitre Benouza. Il nous a privés d’un penalty valable. » Finalement, après avoir déclaré qu’Albert Ebossé était mort des suites d’une crise cardiaque à l’entrée du tunnel, ou même avoir suggéré que le joueur avait peut-être “glissé dans une flaque d’eau” (sic), Hannachi avait repris la version relayée aux quatre coins du globe accusant les bouillants supporters de la JSK et leurs jets nourris de projectiles à l’issue de la partie, dont la fameuse “ardoise tranchante”.
Des négligences suspectes
La publication des résultats de la contre-autopsie menée au Cameroun, a obligé à revoir cette version, celle de la responsabilité exclusive des supporters, sous un autre angle. L’hypothèse d’un passage à tabac est-elle plausible? Elle a d’emblée été balayée par les responsables et les autorités algériennes. Creuser cette piste orientait de fait les enquêteurs vers les sphères dirigeantes, seules en mesure de commanditer ce type d’actions criminelles, en recourant à des hommes de main ou bien à des policiers véreux. Des méthodes dont Hannachi a été accusé plus tard d’être coutumier, mais les images du retour aux vestiaires ne permettent pas d’accréditer cette thèse d’un tabassage avec suffisamment de poids. Sur diverses vidéos, on voit Albert Ebossé se diriger dans le tunnel derrière son coéquipier Ali Rial, couvert par les boucliers des policiers anti-émeute. Puis, on devine un joueur de la JSK qui s’effondre.
Les supporters de la JSK ont très vite fait office de coupable idéal. Il est relativement facile de leur faire porter le chapeau. Mais si ce sont leurs projectiles qui ont tué Albert Ebossé, des éléments troublants sont rapidement apparus. En premier lieu, l’ouverture inexpliquée des grilles du Stade du 1er Novembre-1954 lors de la 2e mi-temps, permettant à n’importe qui d’aller et venir et d’y introduire des pierres issues d’un chantier à proximité. Le directeur des Sports de la wilaya de Tizi-Ouzou a par ailleurs révélé que les supporters ont étrangement pu accéder aux secteurs 7, 8 et 9 de la tribune située au dessus du tunnel alors que les portes donnant sur ces secteurs étaient scellées depuis les incidents de 2001. Autre négligence qui peut paraître suspecte, le tunnel rétractable qui sert à protéger les joueurs lors de leur retour aux vestiaires, n’avait pas été déplié. Une accumulation de manquements au niveau de la sécurité dont le club kabyle, et donc le président Hannachi, est directement responsable.
Saura-t-on un jour?
Mais après tant d’années, l’affaire semble au point mort. Le Ministre des Sports de l’époque, Mohamed Tahmi déclarait sûr de lui « écarter complètement la thèse de l’acte prémédité ». La thèse d’un passage à tabac qui est celle défendue au Cameroun, par la famille et les proches d’Albert Ebossé, n’a jamais été retenue. Le père d’Albert a toujours accusé les dirigeants de la JSK de n’avoir « rien fait pour chercher la vérité » et Mohand Hannachi « de protéger les assassins ».
Au-delà de la mort suspecte d’Albert Ebossé, le contexte autour de la JSK était pour le moins explosif. Le club est un véritable porte-drapeau de toute la Kabylie, connue comme une région que le pouvoir central algérien peine à discipliner. En 2015, des manifestations rassemblant des milliers de personnes avaient lieu dans les rues de Tizi-Ouzou aux cris de “Hannachi dégage!” pour exiger le départ du président en raison de sa gestion désastreuse du club. Contesté de part en part chez les supporters, qui le percevaient comme un pantin incompétent, lui s’accrochait à la direction du club comme un vulgaire cacique, et ce jusqu’à sa destitution en août 2017. Hannachi a continué à tourner autour du club, jusqu’à sa mort en novembre 2020, menant une guerre sans merci avec l’actuel président Chérif Mellal.
Encore interrogé à propos d’Albert Ebossé en 2019 par l’émission Ghir Footha, il déclarait «J’étais encore dans la tribune quand ça s’est passé. Je suis arrivé, ce qui était fait était fait. Je ne sais pas ce qui s’est passé, je ne suis pas un témoin oculaire, je sais ce que vous savez, la version officielle… Mais ce que je sais, c’est que le président de la République a offert 200 000€ à sa famille. » Toujours cette impression qu’il existerait une vérité différente de la version officielle, alimentant des réflexes complotistes. On ne le saura peut-être jamais. Et si Hannachi savait quelque chose qu’il n’aurait pas dit, il l’a emporté dans la terre. La seule chose dont on est sûr, c’est qu’Albert Ebossé n’aurait jamais dû mourir ce 23 août 2014 au sur le Stade du 1er Novembre de Tizi-Ouzou.
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Sources:
Mais qui a tué Albert Ebossé? | Mickaël Forest – So Foot
Le scénario du drame | Romain Lantheaume – AfrikFoot
Qui a tué Albert Ebossé? Enquête et contre-enquête au point mort | Les Cahiers d’Oncle Fredo
Un crime d’état, cette JSK, gagnante, elle unit toute la région et en avant la contestation.