A l’occasion d’un 1/4 de finale de Coupe d’Europe, Robbie Fowler et Steve McManaman, enfants de Liverpool qui portent fièrement le maillot des Reds, ont manifesté leur soutien aux dockers de leur ville en grève contre les attaques patronales. Une marque de solidarité que la froide UEFA sanctionnera.
Coupe d’Europe des Vainqueurs de Coupe 1996/97, Liverpool reçoit l’équipe norvégienne de Brann Bergen. Robbie Fowler, avant-centre des Reds vient de marquer un but lors de ce quart de finale. Au moment de célébrer son but il exhibe un tee-shirt qu’il porte sous son maillot. Dessus, un message de solidarité est inscrit avec les “500 dockers virés depuis 1995”.
«C’est un peu notre rôle de donner ce genre de coup de pouce»
Robbie Fowler est un enfant de la ville. Il vient de Toxteth un quartier prolo dont le nom évoque les célèbres émeutes de 1981 dirigées contre la police et le harcèlement quotidien qu’elle réservait aux jeunes prolétaires noirs. Sa ville, son club, ses supporters dont nombre d’ouvriers et de dockers qui œuvrent sur les quais de la Mersey; pour Robbie Fowler et son compère Steeve McManaman, il est inconcevable de s’en dissocier au nom de la soit-disant neutralité du football. Au contraire, ils veulent profiter de l’exposition des matchs de leur équipe, pour soutenir une grève que le pouvoir méprise.
Ce geste symbolique de solidarité fut immédiatement sanctionné par l’UEFA dont le comité de discipline s’est réuni en urgence. On rappelle à Fowler cette «règle stricte qu’un terrain de football n’est pas le bon endroit pour des démonstrations de nature politique». Le joueur sera même condamné à une amende pour son geste. Interviewé quelques années plus tard par So Foot, Robbie Fowler confiera n’avoir aucun regret: «À la base, il était prévu de garder le maillot tout au long du match pour montrer le tee-shirt à la fin, mais j’ai marqué, alors je l’ai enlevé. J’ai été sanctionné par la Fédé, mais je n’ai aucun regret. Ça n’a peut-être pas aidé les dockers sur le long terme, mais ça a mis un gros coup de projecteur sur leurs problèmes. Le retentissement a été extraordinaire, ça a fait du bruit au niveau mondial, alors que jusqu’alors, ils avaient du mal à se faire entendre ne serait-ce qu’à Liverpool. À mon avis, quand on a, comme footballeur, la chance d’être exposé médiatiquement, c’est un peu notre rôle de donner ce genre de coup de pouce.»
Du côté de Steeve McManaman, originaire lui de la banlieue ouvrière de Bootle, même lucidité sur la portée concrète de ce geste. Également porteur de ce tee-shirt sous son maillot, il expliqua: « Tout ce qu’on voulait, c’était donner un coup de main aux personnes qu’on connaît et qui ne reçoivent aucune paie. Robbie et moi avons offert notre soutien aux dockers, mais nous ne sommes pas assez arrogants pour croire que porter un T-Shirt ferait la différence. »
A l’origine, une grève de solidarité contre des licenciements et des baisses de salaire.
Ces 500 dockers, auxquels Robbie Fowler et Steve McManaman apportent publiquement leur soutien, bloquent alors les entrées de la Mersey Docks and Habour Company depuis 545 jours. Une grève commencée le 28 septembre 1995 après qu’une filiale de la compagnie des docks, la société de manutention Torside, ait licencié 85 dockers qui venaient de refuser d’effectuer des heures supplémentaires gratuitement. La solidarité s’était alors mise en branle et tous les dockers du port s’étaient mis en grève après le refus de quelques 329 dockers de la compagnie de franchir le piquet de grève en solidarité. Une scène racontée par le chanteur social Billy Bragg dans le morceau “Never cross a picket line”.
«Ici on ne traverse pas un piquet de grève. On ne l’a jamais fait et on ne le fera jamais!» explique un délégué des grévistes à un journaliste de Libération. La loi conservatrice interdisant les grèves de solidarité et les rendant illégales ne les a pas fait changer d’avis. Ne renonçant pas à leur action, tous les dockers ont été licenciés par la compagnie. Ils ont donc décidé, en réponse, de bloquer les docks. Bien entendu le patronat a eu recours aux “scabs”, les “jaunes”, ceux qui viennent casser la grève et en limiter l’impact économique en bossant. Logique du bras de fer et du rapport de force. Mais les grévistes tenaient bon, unis autour de leur revendication: «la réembauche immédiate de tous les dockers licenciés».
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Pourtant massive et soutenue internationalement, la grève n’était pas soutenue par le syndicat principal des dockers, le très réformiste TGWU, dont le chef copinait avec Tony Blair. Cette absence de solidarité syndicale aurait pu isoler cette grève. Mais pour faire face, les dockers ont puisé leur force dans l’immense solidarité qui unit leur communauté. On est souvent dockers de père en fils, on se marrie souvent avec des filles de dockers. Le quotidien de celui qui s’éreinte sur les docks est connu de tous et force le respect. Le docker ne triche pas, mais il ne faut pas le prendre pour un clown. Quand on annonce qu’on veut restructurer les docks, il sait qu’on va lui demander de travailler plus pour moins d’argent, dans le seul but que les patrons de la compagnie s’engraissent encore et toujours plus. Tout le monde le sait. Certains d’entre eux suffisamment vieux, ont connu le système du “pen”. Un enclos dans lequel se postaient les dockers le matin en attendant de savoir ou pas s’ils allaient bosser. Si le contremaître leur tapait sur l’épaule, ils bossaient. Si non, ils rentraient chez eux. L’histoire des dockers, est une histoire de lutte et une tradition de solidarité. Ceux qui ont connu cette période où les dockers étaient journaliers ne le souhaitent à aucun de leurs collègues plus jeunes et rappellent à l’envie que c’est une grève illimitée qui y a mis fin en 1967.
Épilogue après 850 jours
Mais dans ces années 90 de l’après-Thatcher immédiat, la norme est devenue l’écrasement des révoltes sociales. Aux dernières grèves sans fin, le pouvoir répond par la répression policière et envoie comme message aux grévistes qu’ils peuvent bien crever de faim. Bientôt élu, Tony Blair du Parti Travailliste s’inscrira dans la continuité de cette ligne. Les réformes économiques visant à la “baisse du coût du travail” et à l’affaiblissement des résistances ouvrières seront poursuivies. De tout ça, aucun dockers n’est dupe. La grève prend fin en janvier 1998, après que les grévistes aient accepté une ultime offre de la compagnie de verser à chacun d’entre eux une indemnité de licenciement de 30 000 £. Elle aura duré près de 850 jours.
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Sources:
«Let Liverpool Shake» de Julia Zortea pour Article 11. «La grève oubliée des dockers de Liverpool» par François Sergent, Libération (25/04/97)
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