28 avril 1923: Le baptême mouvementé du stade Wembley

Le mythique stade de Wembley a été inauguré par la finale de la FA Cup opposant West Ham à Bolton. Resté célèbre pour ses débordements, le match a été surnommé la “Bataille de Footerloo” par une partie de la presse. Le récit officiel a imposé le surnom de “The White Horse final”, glorifiant le policier George Scorey sur son cheval blanc, sans qui, nous dit-on, le match n’aurait jamais pu se tenir.

Ce 28 avril 1923 marque un tournant important. Auparavant, les finales de FA Cup étaient jouées dans le stade de Crystal Palace. Les trois précédentes éditions s’étaient toutefois tenues à Stamford Bridge, antre de Chelsea, en raison d’un conflit avec la Football Association qui refusait de participer au frais du nouveau stade de Crystal Palace. La fédération s’était alors engagée avec la British Empire Exhibition pour utiliser l’enceinte flambant neuve de Wembley. Un partenariat initial prévu sur une courte durée. Wembley était en effet censé être détruit à l’issue de l’Exposition Impériale.

Quand les ouvriers déboulent

Plus que la victoire de Bolton par 2 buts à 0, le souvenir qui est resté de cette finale est la passion pour le moins débordante qu’elle a suscité. Dans les années 20, la finale de la FA Cup est de loin l’évènement sportif le plus populaire. Avec le spectacle footballistique, le patronat pense aussi tenir un puissant outil de canalisation de la colère sociale, de l’insubordination et de l’indiscipline ouvrières. Le stade est une sorte de défouloir géant: les terrains sont régulièrement envahis et l’émeute fait partie du rituel des matchs.

Dans son Histoire du football, Paul Dietschy revient sur ce match et raconte que, sur les 126 000 places que contenait le stade, seuls 35 000 billets avaient été mis à la vente avant le jour du match. Une manière pour les promoteurs de la British Empire Exhibition et de la Football Association (FA) de susciter l’engouement. Une attente probablement accentuée par le caractère inaugural de ce nouveau stade qui présentait aussi l’avantage d’être très bien desservi. «La rapidité avec laquelle les transports en commun jetaient devant l’enceinte des milliers de spectateurs [fit] que dès 13h30, soit une heure et demie avant le début de la rencontre, 115 000 personnes s’étaient déjà installés dans les tribunes. »

Plusieurs milliers de prolétaires en fête ont déboulé dans ce quartier plus huppé. Vent de panique chez les bourgeois et les réactionnaires! « La foule n’était pas composée des meilleures classes de supporters », avait par exemple réagi Oswald Mosley, futur leader du mouvement fasciste britannique. Les fans de West Ham, le club historique des chantiers navals de la Thamise, sont arrivés en masse de l’East End ouvrier; quand ceux de Bolton ont fait un voyage un peu plus long depuis le nord-ouest industriel du pays. Depuis quarante ans et la victoire des ouvriers du Blackburn Olympic sur les Old Etonians, la working class a pris le pouvoir sur le “Beautiful Game”, du moins en ce qui concerne le terrain de jeu.

Un “ugly day” camouflé en modèle de maintien de l’ordre

Une vidéo « British Pathé », tournée à l’occasion de cette finale, montre des centaines de supporters escalader les palissades entourant le parvis de Wembley. Un demi-million de personnes se seraient entassées aux abords du stade et au moins 50 000 d’entre eux auraient réussi à rentrer sans billet. Certains historiens parlent d’une affluence de 300 000 personne! Après la rencontre, il y a eu de nombreuses réclamations de supporters, finalement dédommagés par la FA, pour n’avoir jamais pu atteindre leur place. Les tribunes débordaient tellement que 10 000 fans avaient envahi la pelouse avant même le début du match. La police montée – dévolue au maintien de l’ordre en milieu urbain, que ce soit lors de grèves ou des jours de match – est intervenue pour les repousser derrière les lignes blanches du terrain pour que le coup d’envoi puisse être donné, avec une quarantaine de minutes de retard.

Onze minutes plus tard, la partie a de nouveau dû être interrompue. La pression de la foule sur le bord de la pelouse était si forte que les joueurs ne pouvaient pas prendre d’élan pour tirer les corners. A plusieurs reprises, la police est entrée sur le terrain pour faire reculer la foule. On compte plus de 900 blessés, la plupart sans gravité, dont deux policiers. Le bilan fera état de quelques dizaines de blessés plus sérieux. Beaucoup se sont accordés pour dire qu’il s’agissait d’un petit miracle de ne pas avoir eu de morts. Mais cela a clairement nourri la propagande des autorités qui ont cherché à camoufler le fiasco sécuritaire. Du haut de son cheval blanc, le policier George Scorey sera même présenté comme le héros de cette finale.

De l’avis d’un certain nombre d’observateurs, cette journée est pourtant un véritable “ugly day”. Elle sera d’ailleurs utilisée comme un point d’appui à la volonté gouvernementale de pacifier les abords des stades. Quelques mois plus tard, le Short Report portant sur l’encadrement des foules de supporters a été publié. Le premier d’une longue liste de textes législatifs sur le maintien de l’ordre dans et aux abords des stades. La question sécuritaire va peu à peu s’installer au cœur du football anglais.

 

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