Chroniques chiliennes : crise du coronavirus et rififi à Colo-Colo

Le championnat chilien est comme la plupart des compétitions de la planète à l’arrêt depuis le mois de mars à cause du coronavirus. Les supporters de Colo-Colo engagés dans la révolte sociale contre la politique libérale du régime de Piñera et en guerre contre celle des dirigeants de leur club, n’ont pas mis leurs revendications en stand-by. Bien au contraire.

Dans cette période où ils n’enregistrent plus de recettes, les clubs cherchent à amortir l’impact économique de la crise liée à la pandémie mondiale de Covid-19 en opérant des coupes dans la masse salariale. Un grand nombre de joueurs de 1ère division chilienne ont accepté des réductions de salaire. Mais à Colo-Colo, club le plus populaire du pays, joueurs et dirigeants ne sont pas parvenus à un accord.

La proposition « à prendre ou à laisser » des dirigeants de la SA Blanco y Negro (ByN) à la tête du club, n’a pas plu aux joueurs qui l’ont refusé, suscitant des débats passionnés dans le monde du football chilien. Les dirigeants eux ont sauté sur l’occasion pour mettre l’ensemble de l’effectif et des employés au chômage partiel, s’appuyant sur la loi dite de « protection de l’emploi » (la novlangue est universelle), qui autorise les patrons en difficulté à suspendre les contrats de travail le temps que la pandémie soit passée. Une mesure qui a eu tout l’air d’un tour de force mais qui a été finalement rejetée par la caisse privée d’indemnisation du chômage, pour un vice de forme.

«  Piñera et ByN : ennemis du peuple »

En attendant, ByN a tenté de soigner sa communication. Le tandem Anibal Mosa et Harold Mayne-Nicholls fait porter le chapeau aux joueurs et pointe du doigt leur « égoïsme ». De leur côté, les joueurs, qui ont fait appel au syndicat (Sifup), démentent être hostiles à toute baisse de salaire, en atteste leurs contre-propositions qui ont été sciemment ignorées. Les dirigeants ont poussé la mesquinerie jusqu’à accuser les joueurs « de ne pas avoir travaillé » depuis la coupure, alors qu’ils n’ont pas cessé de s’entretenir.

Le résultat donne un triste spectacle pour les supporters qui voient l’image de leur club à nouveau piétinée. Les supporters du collectif La Garra Blanca antifascista ont publié un communiqué. « Ces dernières semaines, nous avons vu avec honte comment les dirigeants et les joueurs de l’effectif se sont livrés à une terrible bataille médiatique et juridique, qui ne fait qu’aggraver la “crise de valeurs” que traverse la SA Blanco y Negro, en tant qu’administratrice de Colo-Colo. »

Le conflit entre La Garra Blanca et ByN s’est encore amplifié avec la révolte sociale qui a éclaté en octobre 2019. ByN incarne, à Colo-Colo, la politique libérale de Piñera. En témoigne les nombreuses banderoles hostiles à l’entreprise déployées dans les tribunes et dans les rues, comme celle proclamant : «  Piñera et ByN : ennemis du peuple ». Un des derniers épisodes en date était la volonté exprimée par le vice-président Harold Mayne-Nicholls de bannir à vie les supporters responsables de jets de pétards et fusées de détresse qui avaient provoqué l’interruption du match contre la Catolica au Monumental. A propos du conflit qui oppose la direction du club aux joueurs, les supporters antifascistes sont lucides :

« Bien que cela nous embarrasse, nous ne sommes pas surpris que ce type de faux pas se produise. Il se produit parce qu’à la tête de cette entreprise, il y a des gens qui n’aiment pas le club. Les Vial, les Mosa, les Ruiz-Tagle… ils n’aiment pas le club, ils aiment l’argent. […] Il est regrettable de considérer notre club comme une entreprise où l’argent des sponsors et des bailleurs de fonds est la chose la plus importante, mais il semble que même ces mercenaires, ces pilleurs professionnels qui sont venus “professionnaliser” et “internationaliser” le football chilien, ne savent pas comment s’y prendre. »

Depuis 2005 et l’arrivée de Blanco y Negro SA à la tête de Colo-Colo, les supporters luttent contre la confiscation de leur club. Au Chili, les barras bravas, et La Garra Blanca en particulier, portent haut les valeurs d’un football populaire où les supporters sont partie prenante des orientations sportives et sociales des clubs comme c’était le cas avant leur privatisation dans le courant des années 2000, avec l’arrivée des Sociétés Anonymes.

Le crédit épuisé des joueurs

Sans renvoyer dos à dos joueurs et dirigeants, les joueurs ne sont pas non plus épargnés par le communiqué. La révolte sociale d’octobre 2019 a aussi fini par creuser le fossé entre les tribunes et l’effectif professionnel. Après avoir officiellement soutenu la révolte, les joueurs avaient fini par quand même vouloir reprendre le championnat contre l’avis de leurs supporters. Si les responsables principaux sont bien Blanco y Negro, les joueurs, accusés de voir le club seulement comme un moyen « d’engraisser leur compte en banque », doivent aussi se remettre en question.

« Il est clair que le néolibéralisme du football a transformé les joueurs en nouvelles rock stars. Il est clair pour nous depuis quelque temps déjà qu’ils se soucient davantage de leurs coupes de cheveux et de leurs voitures de sport, alors qu’ils ne sont pas capables de défendre l’institution comme le faisaient les anciennes idoles. Soyons bien clairs, nous ne voulons pas défendre ByN, parce que nous savons que les principaux responsables de la situation, ce sont les dirigeants – nous le disons depuis des années – mais nous ne voulons pas non plus ignorer l’opportunisme de l’effectif professionnel […] qui a décidé de négocier sans le reste des travailleurs du club et de l’institution. »

Un nouvel épisode qui va laisser des traces dans la vie du club Cacique, comme on l’appelle, dont treize joueurs arrivent au terme de leur contrat en fin de saison. Pour La Garra Blanca, la lutte continuera.

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