Le football argentin, la classe ouvrière et la mémoire du 1er Mai

De nos jours, le 1er Mai est une date dont il est chaque année nécessaire de resituer l’origine. On ne fête ni le travail, ni le muguet : c’est une journée internationale de lutte et de revendication des exploités, dont la date a été choisie en hommage aux ouvriers anarchistes exécutés à Chicago en 1886. Le football est aussi porteur en partie de cette mémoire.

La mémoire ouvrière a tendance à se perdre et pourtant, partout dans le monde, le 1er Mai les exploités luttent, manifestent et, à bien des endroits, s’affrontent à la police. Tout cela a une histoire. Il y a un peu plus d’un siècle, les ouvriers se battaient, parfois au prix de leur vie, pour de meilleures conditions de travail et pour obtenir la journée de huit heures.

A Chicago, le 1er Mai 1886 plus de 300 000 ouvriers se mettent en grève. Entre la répression policière et celles des milices patronales, plusieurs grévistes sont tués et on compte de nombreux blessés. Le 4 mai, ils sont de nouveau des milliers à être rassemblés quand la police les charge violemment. Une bombe explosa, tuant sept policiers. Parmi les grévistes arrêtés, cinq ouvriers anarchistes seront condamnés à mort et exécutés. Ce sont les “Martyrs de Chicago”. Quelques années plus tard, la date du 1er Mai devient celle d’une journée internationale de manifestation pour la journée de huit heures.

Des “Martíres de Chicago” à Maradona

Aujourd’hui, c’est devenu un jour férié dans de nombreux pays du monde, un moment plus commémoratif, ce qui contribue aussi à le vider de sa substance revendicative. Niveau football, au-delà des traditionnels tournois de sixte organisés à cette date, le 1er Mai est un jour parfaitement banal. Et pourtant, il reste dans le football des traces de cette mémoire ouvrière et sociale, principalement en Amérique du Sud.

Les militants socialistes de Buenos Aires qui ont fondé le Chacarita Juniors le 1er Mai 1906, ne l’ont pas fait par hasard. Le souvenir des “Martyrs de Chicago”, exécutés vingt ans plus tôt, reste vif. A quelques encablures, des sympathisants anarchistes avaient nommé leur petit club “Los Martíres de Chicago”. Loin d’être anecdotique, cette équipe sera à l’origine de la naissance quelques mois plus tard de l’Asociación Atlética Argentinos Juniors, club qui verra éclore dans les années 70, une pépite du nom de Diego Armando Maradona.

S’appuyant sur le travail d’Osvaldo Bayer, l’historien catalan Carles Vinyas explique que l’exemple des “Martíres de Chicago” n’est pas un cas isolé, « au contraire, à cette époque, plusieurs équipes de ce type virent le jour comme Cigarreros Libertarios, Juventud Anarquista, Obreros de Puerto Alsino ou Socialista Anárquico de Belgrano, entre autres. » Il n’est pas si surprenant qu’un tel essor ait lieu en Argentine, pays de la FORA, puissance fédération ouvrière créée en 1904 et acquise aux idées anarchistes, mais aussi un des pays où le football était le mieux développé en-dehors de Grande-Bretagne au début du 20e siècle.

Instrument d’aliénation vs métaphore de la révolution

Après une période de domination des clubs bourgeois, souvent composés de joueurs britanniques, la jeunesse ouvrière argentine va progressivement s’approprier le football. Même si le football n’avait pas du tout bonne presse auprès des dirigeants syndicaux et politiques socialistes qui y voyait un instrument d’aliénation qui détournait les masses de la lutte des classes. Une idée répandue mais qui trouvait aussi son pendant dans les arguments de certains militants ouvriers qui voyaient dans le football et dans le jeu collectif et solidaire, une métaphore de la révolution.

Des mêmes débats qui, en France, ont aussi agité les différentes tendances du socialisme, au moins jusqu’au lendemain de la boucherie de 14/18 qui verra dans un même mouvement, en 1919, être adoptée la journée de huit heures et être déclarée chômée la journée du 1er Mai. Un acquis social qui allait aussi se traduire par le développement de l’accès au sport parmi les ouvriers.

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