Dans un pays marqué par l’explosion sociale sans précédent du printemps dernier, les raisons de la révolte sont toujours là contre le président Duque, ses réformes dégradant les conditions de vie des plus pauvres, et sa police. La lutte des classes est partout, jusque dans l’augmentation du prix des places.
Le Deportivo Pereira n’est pas le plus connu des clubs colombiens. Remonté dans l’élite en 2019, il ne joue pas les premiers rôles. Mais alors que le club vient d’obtenir un succès important face à Once Caldas, dans un des derbys du Clásico Cafetero, c’est en coulisses qu’il fait parler de lui et, comme l’écrit El Diario, “continue à marquer des buts contre son camp“.
En cause, les propos de Camila Santa, responsable marketing du club, tenus lors d’une émission de radio où elle justifie l’augmentation récente du prix des places (allant jusqu’à +17%) pour pouvoir venir supporter le Deportivo Pereira à domicile, en tribunes Sud, Orientale et Occidentale. «Préférez-vous payer un billet moins cher où vous ne savez pas qui vous aurez à côté de vous, où il n’y a pas de système biométrique, où on ne paye pas d’assistance de la police, où il n’y a pas de système logistique offrant toutes les garanties? Parce que vous ne payez pas seulement pour regarder un match, vous payez pour le divertissement, donc c’est quelque chose dont on savait que ça arriverait, l’augmentation du prix des billets.»
Visiblement fière de son argumentaire et sa logique implacable basée sur l’équation commerciale “prix bas = insécurité”, elle poursuit: “N’importe qui ne peut pas venir au stade“. Un plaidoyer limpide pour la gentrification des tribunes et l’éviction des supporters les plus pauvres, forcément violents et dangereux pour les autres. Elle en veut pour preuve les affrontements survenus entre supporters de Santa Fé et du Nacional, au Stade El Campín de Bogota, au début du mois d’août.
Chasser les pauvres du football
Heureusement, à Pereira, Camila Santa risque de rencontrer sur sa route la barra brava locale qui occupe la tribune Sud et où le prix des places a été augmenté de 500 pesos. Dans son communiqué, Lobo Sur Pereira rappelle que ses membres sont majoritairement issus des couches populaires, «qui vivent dans des quartiers pauvres et qui se lèvent chaque jour avec la conviction de survivre dans un pays qui empêche toute opportunité à ceux qui ne font pas partie des classes supérieures et des élites économiques.»
Depuis novembre 2019, la Colombie connaît une forte agitation sociale. Face à l’accroissement de la pauvreté qui touche plus de 42% de la population (dont 15% est dans une situation de pauvreté “extrême”), un vaste soulèvement populaire a éclaté le 28 avril dernier, jalonné de grèves et d’affrontements dans la rue. Les supporters ne sont pas restés à l’écart. Le pouvoir d’Ivan Duque s’en est remis à son armée et à ses escadrons de la mort pour réprimer cette révolte. Mais comme disent les manifestants: “Ils nous ont tout pris, même la peur.”
Au-delà de la simple question du prix des places et le mépris bourgeois derrière cette communication de Camila Santa, la barra brava ne manque pas de pointer du doigt “la lamentable campagne commerciale visant à chasser du football les supporters et seulement permettre de profiter de ce sport, le plus beau du monde, aux gens issus des couches favorisées.” Car, comble de l’insulte, le prix des places en tribune VIP a été revue à la baisse.
Faire payer plus cher les pauvres d’un côté, pour faire des ristournes aux plus riches de l’autre, c’est une bonne manière de souffler sur les braises. Exigeant des clarifications de la part de la direction du Deportivo Pereira, Lobo Sur Pereira lui envoie pour finir un avertissement clair: “Le football est et continuera d’être joué par et pour le peuple, la discrimination n’a sa place ni sur le terrain ni dans les tribunes.”
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