Coquelicots, football et conservatisme britannique

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Chaque année, aux alentours du 11 novembre, l’armistice est commémoré dans les stades britanniques. Chaque équipe affiche sur son maillot un coquelicot rouge pour rendre hommage aux soldats britanniques morts au combat. Des minutes de silence sont respectées dans les tribunes, des anciens soldats viennent poser des fleurs sur la pelouse, les écrans des stades affichent des messages de soutien à l’armée. Bref, il semble y avoir unanimité.

Telle une société orwellienne, le discours dominant est hégémonique et il ne semble exister qu’une seule vérité. Ainsi, plusieurs dirigeants et médias déclaraient en 2010 : « Honte au Celtic » parce que des messages d’opposition au port du coquelicot sur le maillot étaient visibles au Celtic Park1. Malgré la chasse aux sorcières, certains joueurs ont tout de même refusé de porter quelconque signe en faveur d’une armée qui a commis des crimes plus que polémiques. C’est le cas du joueur de Stoke City2, James McClean.

« S’opposer à une institution qui a causé la mort de millions de personnes »

AFP – Le joueur de Stoke City, James McClean refuse de porter le coquelicot rouge, devenu un symbole de l’armée britannique.

Le symbole du coquelicot rouge est utilisé pour rappeler les fleurs présentes sur les champs de bataille flandriens durant la Première Guerre Mondiale. Il est par la suite devenu une icône importante pour rendre hommage aux soldats britanniques – exclusivement – « morts pour la patrie ». Initialement, l’idée était de commémorer les victimes britanniques des deux Guerres Mondiales. Mais par la suite, la campagne a fini par rendre hommage aux soldats tombés dans toutes les guerres auxquelles était impliquée la Grande-Bretagne.

Seulement, l’armée britannique n’a pas forcément belle cote partout dans le monde, y compris au sein de ses territoires. Dans les années 20 déjà, des mouvements pacifistes sont apparus, notamment le mouvement des white poppies qui consiste à porter des coquelicots blancs pour s’opposer à toute forme de violence. Le mouvement stipule s’opposer à une institution qui a causé – et cause encore – la mort de millions de personnes1. Ce à quoi a virulemment réagi un ancien soldat présent en Afghanistan : « Ce mouvement endoctrine les enfants avec des idées de gauche2 ». Sans commentaire.

Ces controverses et ce conservatisme – comme d’habitude – se reproduisent également dans le monde du football, véritable miroir de la société. Dimanche, le défenseur écossais de Motherwell, Declan Gallagher, ne portait pas de coquelicot rouge en hommage aux militaires britanniques sur son maillot. Le SunSport a directement voulu se rassurer : il n’en portait pas car il devait surement être tombé avant le match. Le Scottish Sun prouvait, lui, que le défenseur de 28 ans a bien porté le poppy par le passé lorsqu’il a joué avec l’équipe nationale écossaise1. Certains internautes réclamaient déjà des peines de prison.

The Sun Glasgow – Declan Gallagher est le seul joueur de son équipe à ne pas porter le Poppy ce 10 novembre lors de la défaite au Celtic (2-0).

« Au vu de l’Histoire de ma ville natale, je ne peux porter quelque chose qui représente l’armée britannique »

Belfast Telegraph – Un militaire britannique poursuit un manifestant irlandais. L’armée tua 14 personnes et en blessa autant ce jour noir de 1972.

James McClean, lui, a déclaré et argumenté qu’il n’afficherait pas le poppy britannique sur sa vareuse lors des deux matchs de Stoke City proches du 11 novembre. L’international irlandais, au nom de la liberté d’expression, a demandé qu’on respecte son choix : « Je demande simplement qu’on respecte mon choix, comme je respecte celui des gens qui veulent afficher un poppy. » Et le milieu de terrain âgé de 30 ans d’expliquer : « Si le coquelicot concernait seulement les deux Guerres Mondiales, je le porterais sans problème. Mais ce n’est pas le cas. Ce symbole concerne toutes les guerres menées par l’armée britannique ». Et pour cause, McClean est né à Derry, où l’armée britannique tua 14 jeunes manifestants pacifiques en 1972. « Au vu de l’Histoire de ma ville natale, je ne peux porter quelque chose qui représente l’armée britannique 2». Il est à noter tout de même la déclaration respectable des dirigeants de Stoke qui ont compris et accepté la décision de leur joueur, tout en affirmant leur soutien à l’armée royale.

« Vous pouvez vous faire pousser votre putain de coquelicot dans le cul »

Dimanche soir face à Motherwell, les supporters du Celtic, eux, sont restés fidèles à eux-mêmes. Ils n’ont pas mâché leurs mots quand ils ont exprimé leur opinion sur le sujet. Sans complexe, le bloc 111 a subtilement entonné le chant suivant : « Vous pouvez vous faire pousser votre putain de coquelicot dans le cul ». On vous laisse imaginer la réaction des autorités ?

La Green Brigade a également mené une action militante. Les Irish Scots dont on parlait dans un précédent article ne sont pas rentrés directement dans le stade et ont boycotté la minute de silence en hommage aux soldats britanniques. Cela dit, une certaine partie des supporters présents au Celtic Park ont désapprouvé l’action des Ultras. En effet, la minute de silence a été relativement bien respectée alors que le groupe attendait à l’extérieur du stade. Quelques coups de sifflet à l’égard de l’action ont également émané des travées du mythique club1. Réactions peu étonnantes finalement lorsque l’on lit les répliques virulentes des autorités et de certains puissants médias envers toutes opinions « déviantes » sur l’unité de la nation. L’opinion publique, dans sa majorité, serait certainement identique – à des niveaux différents – dans chaque État-nation un tant soit peu ancré historiquement.

Néanmoins, suite à la pression de certains supporters et au vu de l’Histoire du club, les dirigeants du Celtic ont décidé de ne pas afficher de red poppies sur le maillot des joueurs. Le club soutient tout de même les journées de célébration et donne chaque année plusieurs milliers d’euros au mouvement Poppy Scotland, une organisation caritative écossaise au service des vétérans de l’armée britannique2.

The Scotsman – Le boycott de la Green Brigade pour la minute de silence en hommage aux soldats britanniques n’est que partiellement suivi. On aperçoit également Gallagher sans Poppy.

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Notes:

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  2. Protestation symbolique de James McClean durant la minute de silence pour Elizabeth II – Dialectik Football

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