La leçon d’Histoire de James McClean

L’Histoire est un champ de bataille, comme s’intitule un livre d’Enzo Traverso. Un champ de bataille sur lequel les vainqueurs s’évertuent à maintenir coûte que coûte les vaincus dans l’oubli. Réprimé pour une publication sur Instagram, James McClean, joueur irlandais de Stoke City et ardent défenseur de la résistance fénienne, en fait régulièrement l’expérience.

Pandémie de coronavirus oblige, mis à part les soignants et quelques autres travailleurs envoyés au charbon, une grosse partie du monde apprend à vivre au rythme du confinement. Au chômage technique, les footballeurs font de même. Pas de télétravail au programme, mais c’est l’occasion de retrouver la joie de faire les devoirs avec ses enfants. Un rôle pris très à cœur par un James McClean rigolard qui s’est fait happé par une polémique comme seuls les réseaux sociaux savent en déclencher.

« Leçon du jour – Histoire »

Tout est parti de la publication d’une photo sur son compte Instagram où on le voit cagoulé, assis sur une malle, comme s’il était en train de raconter une histoire à ses deux enfants. Ou plutôt « l’Histoire » avec un grand H, comme il légende la photo avec un émoji censé souligner qu’il faut prendre tout ça avec un brin d’humour. Vu le haut niveau de susceptibilité qui se promène sur les réseaux, on n’est jamais trop prudent.

D’autant que McClean, connu pour avoir la gâchette facile sur ces outils, a déjà été par le passé plusieurs fois contraint de désactiver ses comptes après des sorties hasardeuses. Notamment contre le sélectionneur Giovanni Trapattoni en 2012. Ses allers-retours sur les réseaux sociaux avaient d’ailleurs fait sourire son collègue Darren O’Dea qui avait salué ironiquement « le 673e compte » de McClean après un énième come-back.

Encore une fois, James McClean a allumé une mèche dont il n’a pas mesuré la détonation. Le port de la cagoule a de suite été perçu comme un hommage à l’IRA. Sujet épineux avec lequel il ne fait pas bon plaisanter en Angleterre, tout comme les blagues se moquant de la mise sur orbite de l’amiral franquiste Carrero Blanco par une bombe de l’ETA en 1973 ont toujours autant de mal à passer aujourd’hui en Espagne. Il sait tout ça.

Refus de porter le poppy

Surtout que la moindre occasion de tomber sur le râble de James McClean est généralement saisie au vol par une partie de la presse et de l’opinion. Ce qui n’a pas loupé. Une pétition demandant à Stoke City de le licencier a même été mise en ligne, poussant le club à le sanctionner de deux semaines de salaire, comme pour éteindre le début d’incendie. « Je n’ai jamais voulu offenser qui que ce soit », a-t-il déclaré. « Mais je me rends compte maintenant que ça a été le cas et je m’en excuse sans réserve. J’ai parlé au club et je vais supprimer mon compte Instagram ».

Mais réduire sa publication à un simple geste irréfléchi et compulsif serait faire injure à un des rares footballeurs de Premier League à avoir assumé ses opinions courageuses. C’est que James McClean a l’étiquette du “Fenian”, comme on appelle les partisans républicains irlandais et les sympathisants de l’IRA, solidement accrochée. Tout le contraire du poppy, ce coquelicot devenu symbole du souvenir des soldats britanniques morts pendant les combats de la première Guerre Mondiale que tous les joueurs de Premier League arborent depuis 2010 sur leur maillot lors du match ayant lieu autour du 11 novembre. James McClean est un des seuls joueurs à refuser de le porter sur son maillot, critiquant ce qui est devenu au fil du temps un symbole à la gloire de l’armée britannique bien au-delà de la boucherie de 14-18.

Malgré la virulence des critiques qu’il a reçu, James McClean a toujours, dans sa démarche pacifiste, assumé et défendu avec fierté ce refus. Il s’était d’ailleurs expliqué à ce sujet en 2014, dans une lettre ouverte écrite au président du Wigan Athletic, où il évoluait alors. « Si le poppy concernait seulement les deux Guerres Mondiales, je le porterais sans problème. Mais il est utilisé pour commémorer les morts des autres guerres depuis 1945. Et c’est là le début du problème pour moi. Pour les gens originaires du Nord de l’Irlande comme moi, particulièrement de Derry, ville où eut lieu le massacre du Bloody Sunday en 1972, le poppy revêt une signification très différente. Je vous prie de comprendre, M. Whelan, que quand vous venez de Creggan comme moi, ou du Bogside, de Brandywell ou de la majorité des coins de Derry, tout le monde vit encore avec le douloureux souvenir de ce jour qui est l’un des plus sombres de l’histoire de l’Irlande – même quand, comme moi, vous êtes né vingt ans après. C’est juste une part de ce que nous sommes, enracinée en nous depuis la naissance ».

Derry dans la peau

La ville de Derry porte à jamais la cicatrice du Bloody Sunday du 30 janvier 1972. Ce jour-là, les parachutistes de l’armée britannique assassinèrent treize manifestants irlandais pour les droits civiques, et en blessèrent autant. Une quatorzième personne mourra des suites de ses blessures. C’est ça l’Histoire. Celle qu’écrivent les gens qui résistent, et que les opprimés reçoivent en héritage.

James McClean n’oublie jamais sa ville de Derry, y compris dans la période de crise actuelle où il apporte son aide aux plus démunis du quartier de Creggan en finançant des colis de première nécessité. Il a cette mémoire de sa ville natale gravée dans la chair, au sens propre comme au sens figuré, avec l’image du Free Derry Corner, lieu emblématique de la répression des luttes du peuple irlandais, tatoué sur la cuisse gauche, avec l’inscription “In my memories, I will always see, the town that I have loved so well”, paroles de la chanson The Town I Loved So Well de Phil Coulter, un autre Derryman.

Tatouage qu’il exhibe en guise de célébration de son but face à West Ham au Stade Olympique de Londres le 2 janvier 2018, sous les couleurs de West Bromwich Albion. Une célébration qui n’a pas manqué de provoquer des réactions, une fois de plus. Mais les insultes, les menaces de mort ou les chants anti-irlandais, qui n’ont cessé de s’amplifier depuis son arrivée sur les terrains anglais en 2011, James McClean sait les encaisser, avec ou sans le soutien de la PFA, le syndicat des footballeurs professionnels. Cette année encore, il a reçu une ignoble lettre à son domicile à la date anniversaire du Bloody Sunday. Une lettre anonyme venue directement du cloaque des « vainqueurs », rédigée à la manière d’un compte-rendu de match : “Ulster Cup Final – 30 Janvier 1972 – Army 13 IRA 0”.

Car la réalité est là : toute la palanquée d’unionistes fascisants que compte le Royaume-Uni ne lui lâchera jamais la grappe. La publication Instagram n’a été qu’un prétexte de plus pour tomber sur James McClean. C’est le prix à payer quand on porte la mémoire des “vaincus”, jusqu’au jour où le vent de l’Histoire tourne.

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