De l’arbitrage du hors-jeu à sa confiscation technologique

Le but refusé au Paris Saint-Germain lors du 1/8 de finale aller de Ligue des Champions face au Bayern Munich, a beaucoup fait parler. A juste titre. Une nouvelle pièce à conviction contre la VAR et ses hors-jeu jugés au centimètres.

82e minute, lancé par Neymar à la limite du hors-jeu, Nuno Mendes sert Kylian Mbappé qui conclut de près. A la limite? Non, le latéral portugais est hors-jeu. La VAR (assistance vidéo) a rendu son verdict. Le révélateur montre qu’un bout de pied, le genou gauche et une demi-tête dépassent. Soit quelques centimètres. Une précision déroutante, presque dégoutante. Au sens où elle peut finir par dégouter de ce football là qui meurt petit à petit de cette prétendue précision.

En 2020, les fans de Manchester City ont sorti à plusieurs reprises des pancartes portant le message “RIP Football, VAR is here“. Cette réalité funeste nous saute à la gorge chaque semaine. Introduite en Ligue 1 lors de la saison 2018/19, la VAR n’a éteint ni les polémiques, ni le sentiment d’injustice, comme le promettaient ses VRP. Rempart supplémentaire contre l’aléatoire, cet outil n’est censé intervenir dans le cours du match qu’en cas d’erreur “manifeste” du corps arbitral, comme un filet de sécurité.

L’arbitre de touche, un acteur en péril?

Dans les faits, si on se concentre exclusivement sur le traitement des potentiels hors-jeu en cas de but, la validation par la VAR se substitue au jugement de l’arbitre de touche. Peut-être délesté d’une certaine pression, ce dernier voit aussi son utilité et sa fonction menacées par la machine. Les hors-jeu font progressivement moins partie de sa “juridiction”. Il peut, ou pas, lever son drapeau, et avoir raison. Son avis importe peu, il est mécaniquement dessaisi au profit de la VAR qui vérifiera la validité du but.

Un but consécutif à une action initiée par une passe en profondeur sera quasi systématiquement “checké” avant d’être accordé. Il s’agit très rarement de réparer une “erreur manifeste” de l’arbitre de touche ou de champ, mais de certifier qu’il n’y a pas d’erreur du tout. A moins de penser que ne pas avoir perçu que le front et l’oreille droite de Nuno Mendes le mettaient en position illicite, telle que le définit la Loi 11 du football, est une “erreur manifeste”, alors la VAR n’aurait pas du intervenir.

Une erreur manifeste d’arbitrage, par définition, ne peut pas être invisible à l’œil nu. Or, dans le cas de l’examen des hors-jeu, elle intervient à chaque fois pour dissiper des “litiges” humainement indécelable, en scrutant la situation au centimètre près. D’ailleurs, dans ce cas précis, l’œil de l’assistant vidéo n’est pas plus aiguisé que celui de son collègue en bord de terrain. C’est bien le recours à un révélateur, la SAOT, pour “Semi-Automated Offside Technology”, qui a amené à l’annulation du but de Mbappé.

Le révélateur ou la vérité simulée

Cette technologie semi-automatisée de détection du hors-jeu, utilisée lors du Mondial 2022, est aussi en vigueur en Ligue des Champions depuis cette saison. Vitesse et précision: ce sont les deux arguments mis en avant par la SAOT qui mêle Intelligence Artificielle et modélisation 3D. Pour supprimer les angles morts, ce dispositif nécessite un ballon connecté et une douzaine de caméras censées permettre de contrôler 50 fois par seconde jusqu’à 29 points de données sur chaque joueur.

Cette version coûteuse du révélateur délivre-t-elle une vérité indiscutable? Et, plus largement, la SAOT corrige-t-elle les nombreuses approximations soulevées par l’usage des révélateurs depuis leur invention télévisuelle pour “agrémenter” la diffusion des matchs? Le tout est d’y croire. L’important pour les utilisateurs de la SAOT, comme des autres révélateurs, est de rendre par le biais de sa simulation, la décision arbitrale irréfutable, à défaut d’être juste.

“Dix centimètres c’est dix centimètres”, diront les adeptes de ce type d’outil dans une approche purement binaire. Le hors-jeu, situation polémique par excellence avec les mains dans la surface, ne devant laisser place, selon eux, à aucune interprétation: soit il y a hors-jeu, soit il n’y a pas hors-jeu. Cette règle mérite pourtant mieux que la robotisation intégrale vers laquelle la FIFA et l’UEFA sont en train de l’emmener irrémédiablement.

Aux sources des évolutions du hors-jeu: le jeu

La règle du hors-jeu existe depuis l’édiction des Cambridge Rules en 1848. L’idée-force qui soutenait la règle originale, reprise par la Football Association (la Fédération anglaise de football), était surtout d’empêcher que des joueurs ne fassent le pied de grue dans la surface adverse. Évidemment, le football a beaucoup évolué depuis et cette règle du hors-jeu, à l’instar d’autres règles, s’est affinée mais toujours dans le sens du jeu avec l’idée, pas toujours appliquée, que le doute devait profiter à l’attaque.

Jusqu’à la réforme de 1925, pour qu’un joueur ne soit pas hors-jeu, il fallait deux avant-derniers défenseurs entre lui et le gardien de but, au départ du ballon. Ce nombre a été réduit à un seul. Une modification qui, selon Julian Carosi dans son Histoire du hors-jeu, a eu des effets spectaculaires. Le nombre de buts marqués en championnat a explosé, passant de 4700 à 6373 dès la saison 1925/26, soit une augmentation de 35,6%.

Les dernières évolutions majeures sont intervenues dans les années 90. Après le Mondial italien, un attaquant se trouvant sur la même ligne que l’avant-dernier adversaire n’est plus considéré comme hors-jeu. Puis en 1995, ce qui était appelé “hors-jeu de position”, soit le hors-jeu d’un joueur ne faisant pas action de jeu, est à son tour supprimé mais mettra quelques saisons à être appliquée de façon uniforme. Quelques coups de sifflet en moins et donc, mécaniquement, plus de situations offensives jouables.

Jusqu’à l’introduction de la VAR, les retouches apportées à la Loi 11 ont toujours semblé avoir le jeu comme soucis prioritaire, et non une vérité centimétrique qui n’a jamais fait sens. Ce n’est pas parce qu’aujourd’hui une technologie permet de calculer un hors-jeu au centimètre que ça le fera. Au grand désarroi des fans du PSG, Nuno Mendes s’est fait attraper pour un demi-pied? Qui peut affirmer sans mauvaise foi qu’il a tiré un réel avantage de sa position?

Pour un retour à l’arbitrage humain

Demain ce sera pour un bout de nez et pourquoi pas pour un cil puisque cette recherche de précision sans limite est la logique même du révélateur et de son optimisation. Après tout, un millimètre hors-jeu reste un millimètre de trop si on suit la logique de ceux qui ne jurent que par l’arbitrage vidéo. S’il y avait eu corner au bout de son débordement de Nuno Mendes, il aurait été joué. Et si un but avait été marqué à l’issue de ce corner, qu’auraient pensé ces fétichistes de la précision?

(©FIFA)

Introduire une marge d’erreur, comme prôné par Arsène Wenger, serait une fausse bonne idée qui ne ferait que repousser le problème d’autant de centimètres. La seule marge d’interprétation qui vaille n’est pas quantifiable en centimètres, c’est la lecture du jeu par l’œil humain et l’expertise d’un arbitre de touche correctement formé. Et bien sûr qu’il y aura des erreurs! Mais contrairement à ce que ses partisans survendent, la VAR ne les a, de toute manière, pas supprimées.

La “justice” promise est remplacée par des actes d’huissier sans appel“, pour reprendre une formule de Jérôme Latta des Cahiers du Football, auteur de nombreux articles alertant sur ce fléau ces dernières années. Vouloir supprimer l’erreur à tout prix, voilà l’erreur. Derrière sa prétention, le hors-jeu “semi-automatisé” est un pas de plus dans ce triste spectacle qu’on appelle encore football, mais qui s’éloigne à chaque nouvelle innovation technologique de la base de ce sport universel.

Édito n°57

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