France – Croatie : le poison nationaliste tape à la porte du panthéon

A l’aube de cette finale du Mondial russe 2018, voici quelques lignes factuelles sur le nationalisme croate et sa transpiration à grosses gouttes par les pores de certains joueurs. Il ne s’agit pas un seul instant de valider en opposition le patriotisme franchouillard, ni quelque national-chauvinisme que ce soit. Juste de mettre en perspective les propos pro-ukrainiens du joueur Domagoj Vida autrement que comme un dérapage marginal.

La présidente Kolinda Gabar-Kitanovic est dans l’air du temps. Sale air. Son gouvernement expulse tour de bras les réfugiés syriens, oblige les femmes à remplir des formulaires à propos de leur « conduite sexuelle » pour leur autoriser un accès à la contraception ou encore restreint l’accès aux hôpitaux publics à la population gitane. Image d’une Croatie bien repliée sur ses frontières, sur son identité et sur ses valeurs conservatrices, pour ne pas dire plus. Mais l’histoire de la République de Croatie est une histoire avant tout nationaliste. Elle qui est née dans la barbarie nationaliste sanglante de la guerre des Balkans, au début des années 90.

Les joueurs qui composent l’actuelle sélection croate étaient pour la plupart de jeunes enfants quand la guerre civile a éclaté. Une génération hantée. Exception faite du benjamin Nikola Vlašić qui n’était même pas né quand la toute jeune équipe nationale, portée par Davor Šuker1, brillait lors de l’Euro 96. Franjo Tudjman, premier président de la République de Croatie en 91, déclara que les victoires au football façonnaient l’identité autant que les guerres. Quel meilleur instrument qu’une équipe nationale victorieuse pour souder un peuple derrière son drapeau ? Une union nationale, diluant l’antagonisme de classe, et c’est toujours la bourgeoisie et les vautours qui applaudissent.

Hormis un royaume du 10e au 12e siècle, le dernier exemple en date d’une Croatie indépendante remonte au régime des Oustachis, entre 1941 et 45, du nom de ces fascistes croates, ultra-catholiques, alliés de l’Allemagne nazi. Même s’il faut historiquement distinguer l’oustachisme du nationalisme croate, il y a quand même une certaine filiation et des éléments communs. Certaines passerelles qui ont été conservées. Le cacique et révisionniste Franjo Tudjman, qui aimait bien s’amuser à remettre en cause le nombre de mort de la Shoah, ou encore de ceux imputés aux Oustachis, aurait difficilement pu dire le contraire. Sa ZNG, la Garde Nationale Croate, avait été à l’époque renforcée par de nombreux miliciens se revendiquant de l’héritage oustachi.

Alors, quand après avoir écrasé l’Argentine de Messi, les joueurs croates ont entonné un chant faisant l’apologie du fascisme, pouvons-nous parler d’une surprise? La vidéo publiée par Dejan Lovren montre plusieurs joueurs de l’équipe chanter “Bojna Čavoglave”, un chant du groupe de rock identitaire Thompson, dont le chanteur Marko Perković est ancien combattant de la ZNG. C’est un chanteur ultra populaire en Croatie, dont les concerts regroupent parfois plusieurs dizaines de milliers de fans et sont l’occasion d’entretenir la mémoire des Oustachis. La chanson “Bojna Čavoglave” contient d’ailleurs la devise “Za dom spremni”, qui signifie “Pour la patrie, toujours prêts!”, un slogan de ralliement oustachi. Déjà en 2013, Josip Šimunić avait été suspendu 10 matchs par la FIFA après avoir célébré la qualification pour la Coupe du Monde 2014, en chantant avec les supporters croates “Za dom spremni”2.

En reprenant en chœur ces slogans faisant référence à l’histoire fasciste de la Croatie, les joueurs se font l’écho de toute une frange de supporters croates, souvent de la même génération, acquis à ces idées. On ne compte plus le nombre de fois où la fédération croate a été sanctionnée par les instances internationales à cause des multiples provocations racistes de ses hooligans principalement issus des firmes de l’Hajduk Split (Torcida), du Dinamo Zagreb (Bad Blue Boys) mais aussi du HSK Zrinjski Mostar (Ultras Zrinjski), club des nationalistes croates en Bosnie.

Lors de ce Mondial russe, les hooligans d’extrême-droite ne s’en sont pas donné autant à cœur joie que les médias le pressentaient. Du côté des joueurs croates c’est un autre son de cloche avec Domagoj Vida qui s’est empressé avec l’ex-international et actuel adjoint, Ognjen Vukojevic, de faire une vidéo après la qualification croate aux dépends des russes, pour dédier cette victoire à leur ancien club du Dynamo Kiev. Vidéo ponctuée d’un “Gloire à l’Ukraine!”. Vukojevic a été immédiatement relevé de ses fonctions par la Fédération croate. Vida a reçu un avertissement de la FIFA, en vertu du règlement sur les messages politiques. Il s’est excusé quelques jours plus tard.

Ce slogan, présenté comme un slogan du mouvement “pro-européen”, est tout sauf anodin dans le contexte de conflit ouvert entre la Russie de Poutine et l’Ukraine, depuis l’annexion de la Crimée en mars 2014. A l’Est de l’Ukraine, le Donbass est devenu un repaire de mercenaires d’extrême-droite ou néo-nazis au service d’un ou de l’autre camp. En mars 2017, le footballeur ukrainien Roman Zozulya, tout juste arrivé en prêt, a d’ailleurs été contraint de quitter le Rayo Vallecano en quatrième vitesse en raison de sa proximité connue avec les néo-nazis ukrainiens engagés dans ce conflit qui s’est invité dans la sélection croate.

Domagoj Vida, qui semble avoir l’alcool très “géopolitique”, a été rattrapé il y a quelques jours par une autre vidéo où on le voit bière à la main en compagnie d’Ivica Olic, autre ex-international et membre du staff croate. On n’y entend encore distinctement ce slogan “Gloire à l’Ukraine!”, auquel Vida ajoute un tonitruant “Belgrade brûle!”. Pour désamorcer cette histoire, la presse relaye que “Belgrade” ferait en réalité référence au nom d’un restaurant de Kiev très apprécié du joueur. Avec une telle explication, voilà la FIFA, qui se pencherait à nouveau sur son cas, à coups sûrs rassurée.

Édito n°1

Le 15 juillet 2018

************************************

Notes:

1En 2010, ressortait une vieille photo de Davor Šuker, alors joueur du Real Madrid, se recueillant sur la tombe du dirigeant Oustachi, Ante Pavelić, mort et enterré à Madrid.

2 https://www.lemonde.fr/sport/article/2013/12/16/le-defenseur-croate-josip-simunic-prive-de-coupe-du-monde-pour-des-chants-nazis_4335449_3242.html

1 Comment

2 Trackbacks / Pingbacks

  1. Souvenir de 2018: l’Équipe de France au service de l’unité nationale – Dialectik Football
  2. Souvenir de 2018: l’Équipe de France au service de l’unité nationale – Dialectik Football

Leave a Reply

Your email address will not be published.


*