Autour des exploits de la sélection marocaine au Qatar s’est développé un récit politique d’une équipe portant la voix du monde arabe, notamment via le net soutien affiché au peuple palestinien. Mais le mépris adressé au peuple sahraoui nous montre que la communication des joueurs est avant tout mise au service du régime.
Les Croates qui avaient repris un “tube” de Thompson, leur groupe de rock néo-nazi préféré, ne sont pas les seuls à avoir célébré leurs victoires avec des mises en scène tendancieuses. Dans un autre registre idéologique, après leur qualification historique face au Portugal, les joueurs marocains ont publié une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux, chantant “Le Sahara est à nous, ses rivières sont à nous et sa terre est à nous“. Drôle de façon de célébrer une victoire que de se faire les perroquets de la propagande du Makhzen sur la question du Sahara occidental.
Depuis 1976, ce territoire riche en phosphate est revendiqué par le mouvement séparatiste du Front Polisario. Dans les faits, la République Arabe Sahraouie Démocratique ne s’étend que sur 20% du territoire. Le reste, notamment la totalité de la côte réputée généreuse en poissons, est sous contrôle marocain. Depuis le cessez-le-feu de 1991 et la mise en place de la Mission des Nations Unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (MINURSO), le conflit traîne. L’été dernier, Mohamed VI a clairement mis en garde les pays qui contesteraient la “marocanité” du Sahara occidental.
Comme tout régime, le régime marocain entend bien tirer profit du parcours incroyable de la sélection nationale. Une aide bienvenue alors que le pays est touché par la crise et que la population manifeste contre la vie chère. La cote de sympathie de l’équipe du Maroc – première sélection africaine à se qualifier pour une demi-finale de Coupe du Monde – est au plus haut et dépasse largement les frontières du pays. Des scènes de liesse ont eu lieu dans le monde entier. Autant représentants du continent africain que de la péninsule arabique, les hommes de Walid Regragui ne manquent pas d’aficionados à l’aube d’affronter la France, championne du monde en titre et troisième ex-puissance coloniale européenne à se dresser devant les Lions de l’Atlas.
Les connaisseurs et amateurs de parallèles historiques rappellent qu’en 1954, une sélection de joueurs nord-africains, emmenée par Larbi Benbarek, avait battu l’équipe de France au Parc des Princes. Un match joué en faveur des sinistrés du tremblement de terre d’Orléansville mais qui n’en était pas moins enrobé d’un climat politique particulier. Quelques semaines plus tard, éclatait en Algérie une guerre de libération qui allait mener huit ans plus tard à l’indépendance du pays. Un épisode marqué par l’engagement de plusieurs joueurs algériens dans le onze du FLN.
S’inscrivant en partie dans cette continuité, au Qatar les joueurs marocains n’ont pas hésité à arborer le drapeau palestinien pour célébrer leurs victoires qui sont fêtées autant sur les Champs Élysées qu’à Gaza et dans les principales villes de Cisjordanie. “Cette victoire […] appartient à tout le peuple marocain, tous les peuples arabes, tous les peuples musulmans du monde”, déclarait Soufiane Boufal après la qualification face à l’Espagne. L’affection témoignée à la Palestine est toute en paradoxe et pas seulement en raison de la normalisation des relations diplomatiques et du partenariat militaire entre Israël et le Maroc.
Grand écart ou totale confusion? Pour l’activiste sahraoui Taleb Alisalem, “il s’agit juste d’une stratégie de communication” à destination du monde arabe. Mais comment d’un côté hisser fièrement le drapeau les Palestiniens réprimés par la politique coloniale israélienne; et de l’autre se faire les apôtres de l’action répressive du pouvoir marocain sur le Sahara occidental? Ça reste une énigme. Derrière ce tableau idyllique dessinant un parcours en forme de revanche des colonisés, la voix discordante de la population sahraouie tente de se faire entendre.
Certains médias se sont faits écho de ces Sahraouis qui crient haut et fort que le Maroc ne les “représente pas“. Ils saisissent l’occasion offerte par les matchs de la sélection marocaine pour rappeler l’existence du combat mené pour l’indépendance du Sahara occidental. Leur équipe nationale n’est pas reconnue par la FIFA (elle a participé à l’édition 2012 de la VIVA World Cup). A défaut, les Sahraouis soutiennent la sélection algérienne. L’Algérie, où le camp de Tindouf accueille environ 173 000 réfugiés Sahraouis, reste le principal soutien d’une République Arabe Sahraouie Démocratique de plus en plus isolée sur le plan international.
La vidéo de la petite – mais hautement politique – chanson des joueurs marocains a au moins eu un mérite, c’est d’avoir permis à cette question de s’immiscer dans cette actualité faussement sportive.
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