Le cercle des compétitions disparues: la Mitropa Cup

La Mitropa Cup – qu’on trouve aussi appelée “Coupe de l’Europe centrale” – a mis aux prises jusqu’au début de la 2nde Guerre mondiale les meilleures italiennes, tchèques, hongroises ou encore autrichiennes. Elle reprendra à partir des années 50, mais ne retrouvera jamais son prestige d’antan.

Les compétitions européennes ont leurs ancêtres, et la plus ancienne d’entre elles est une coupe née en 1927. La Mitropa Cup n’aurait jamais vu le jour sans Hugo Meisl, personnage clé du football autrichien et international de l’entre-deux-guerres. Influencé par les idées footballistiques de son ami Jimmy Hogan, Hugo Meisl est la figure tutélaire de ce qu’on a appelé “l’École Danubienne”. Terme qui identifie le style ultra moderne développé par les clubs autrichiens et hongrois dans les années 20 et 30 et incarné par le mythique Wunderteam, la sélection nationale autrichienne dont Meisl est l’entraîneur depuis 1919.

L’Europe centrale, l’épicentre du football

La Mitropa Cup a été lancée lors d’une réunion à Venise les 15 et 16 juillet 1927, en même temps que la Coupe Internationale, première compétition européenne mettant aux prises les sélections nationales. Un mois plus tard, en plein mois d’août, débutait la première Mitropa Cup, contraction de “Mitteleuropa” qui signifie “Europe centrale” en allemand. C’est que la coupe regroupe seulement 8 équipes représentant quatre pays: la Tchécoslovaquie, la Hongrie, l’Autriche et la Yougoslavie. Cette réalité géographique est voulue, mais principalement pour des raisons de compétitivité.

Le format est simple et propose des confrontations aller-retour à élimination directe. Pour créer la Mitropa Cup, Hugo Meisl s’est directement inspiré de la Challenge Cup, une compétition née en 1897 et qui opposait des équipes des différentes fédérations de l’Empire austro-hongrois. Même si les inventeurs anglais du jeu font bande à part, persuadés de ne pas avoir d’adversaires à leur taille sur le Vieux-Continent, la supériorité du football danubien sur le reste de l’Europe est acquise. L’Autriche en 1924, la Hongrie en 1925 et la Tchécoslovaquie en 1926 sont les premiers pays continentaux à avoir instauré le professionnalisme. Ce qui leur donne un temps d’avance sur le reste de l’Europe du football.

La sélection des équipes est laissée à l’appréciation des quatre fédérations. Certains, comme les Tchécoslovaques et les Yougoslaves, optent pour inviter le champion national et son dauphin. L’Autriche invite le champion et le vainqueur de la coupe. Quant à la Hongrie, elle attribue ses deux tickets après un mini-tournoi entre les quatre meilleures équipes du pays, ce qui explique l’absence de Ferencváros, pourtant champion et vainqueur de la coupe en 1927, battu dans ce play-off. L’absence d’équipes italiennes s’explique alors par les relations diplomatiques tendues entre l’Italie mussolinienne et l’Autriche, en raison notamment de la politique d’italianisation forcée menaçant les populations germanophones dans le Haut-Adige.

Le Sparta Prague, premier “champion d’Europe”

La toute première finale de la Mitropa Cup oppose le Rapid Vienne au Sparta Prague, déjà surnommé depuis quelques années “Železná Sparta” (le “Sparta d’Acier”). Un surnom qui reflétait le caractère de la formation tchécoslovaque, “moins belle à voir mais plus efficace, coriace et tranchante que ses cousins du Slavia“, selon Jo Araf, l’auteur du livre La Coppa dimenticata, une histoire en italien de la Mitropa Cup.

Le Sparta Prague, premier vainqueur de la compétition en 1927.

Tout s’est joué lors de la finale aller, le 30 octobre 1927 au Stade Letná à Prague avec la victoire écrasante du champion de Tchécoslovaquie (6-2), emmené par son emblématique capitaine Karel Pešek, dit “Káďa”, et par le buteur Josef Silný. La victoire du Rapid (2-1) lors du match retour à Vienne ne changera rien. Entraîné par l’Écossais John Dick, ancien joueur du Woolwich Arsenal du début du siècle, le Sparta Prague peut être considéré comme le premier “champion d’Europe”.

Au palmarès des treize premières éditions, avant que la compétition ne soit interrompue par la guerre, la Hongrie et l’Autriche se partagent la tête avec quatre titres chacun. Suivent la Tchécoslovaquie avec trois titres et l’Italie avec deux (en onze éditions). Le palmarès de la Mitropa Cup est une photographie assez juste des rapports de force dans le football européen des années 30. Ne manquent que les équipes italiennes qui vont finir par intégrer la compétition à partir de 1929, remplaçant numériquement les équipes yougoslaves.

Les clubs italiens complètent le tableau

La dimension de la Mitropa Cup change à partir de 1929, année où elle est officiellement reconnue par la FIFA. La confrontation entre le football italien, en plein essor avec la création de la Serie A, et les formations danubiennes rend la compétition encore plus attractive. Bientôt au sommet avec le sacre mondial de son équipe nationale en 1934, l’Italie voit un premier club ranger la Mitropa Cup dans son armoire à trophées en 1932, avec Bologne et son technicien hongrois, Gyula Lelovics.

Une victoire mitigée car Bologne a été déclaré vainqueur sans jouer de finale en raison de la disqualification des deux autres demi-finalistes, la Juventus et le Slavia Prague, après d’importants débordements lors du match retour à Turin, causés par les supporters locaux, excédés par les gains de temps et comportements anti-sportifs de l’équipe tchèque. Bologne remettra ça en 1934, encore sous les ordres d’un coach hongrois, Lajos Kovács. Un titre qui ne souffre cette fois-ci d’aucune contestation.

L’arrivée des clubs italiens est aussi synonyme d’une compétition qui devient plus lucrative grâce aux importantes affluences dans les stades de la Botte. Car les organisateurs de la Mitropa Cup n’oublient pas le nerf de la compétition: les recettes de billetterie. La répartition est régulièrement l’objet de discussions et différends au sein du comité d’organisation où la volonté hongroise d’un partage égalitaire des recettes se heurte au véto italien, là où les recettes sont les plus importantes. Fixée dans un premier temps à 60% pour l’équipe qui reçoit et 40% pour les visiteurs, la répartition passera ensuite à 70/30.

La Mitropa Cup et le gratin du football continental

La compétition va connaître de nouvelles mues. D’abord en 1934 où la Mitropa Cup passe à seize clubs et quatre représentants par pays. Puis en 1936, avec le passage à 20 équipes – ce qui sera son maximum – et l’accueil, après plusieurs refus, d’une cinquième nation, la Suisse dont les clubs doivent se soumettre à un tour préliminaire. La compétition n’ouvre pas ses portes si facilement. Hugo Meisl a longtemps été réticent à cette extension, craignant qu’elle ne multiplie les problèmes déjà rencontrés notamment en terme de sécurité, mais aussi que le niveau ne s’affaiblisse.

Les plus grandes stars brillent dans cette compétition qui réunit ce qui se fait de mieux en terme de football. Que ce soient les internationaux tchécoslovaques František Plánička, Jaroslav Burgr, Oldřich Nejedlý ou les stars hongroises György Sárosi (meilleur buteur de la Mitropa Cup avec 49 buts en 43 matchs sous le maillot de Ferencváros), Géza Toldi ou Gyula Zsengellér, les meilleurs joueurs du continent s’affrontent dans cette coupe. Le buteur belge du Sparta Prague, Raymond Braine, la machine à marquer de l’Inter Giuseppe Meazza ou encore l’emblème du Wunderteam Matthias Sindelar, tous ont contribué à écrire la légende de compétition oubliée.

Auteur des trois buts en finale retour face à l’AS Ambrosiana-Inter, le meilleur footballeur autrichien de l’histoire a éclaboussé de sa classe l’édition de 1933, sous les couleurs de l’Austria Vienne, son club de toujours. Jusqu’ici, c’est surtout le rival du Rapid Vienne – club le plus populaire au sein des quartiers ouvriers de la ville – qui s’était distingué avec trois finales lors des quatre premières éditions, dont une victoire en 1930 face au Sparta Prague pour la revanche de la finale inaugurale de 1927.

Le déclin sous le joug nazi-fasciste

Dans une Autriche ultra conservatrice, Vienne est une enclave progressiste avec sa Kaffeehauskultur. Considérée comme un laboratoire de “l’austro-marxisme” et du “socialisme municipal”, la capitale autrichienne est aussi un des centres de gravité du football européen. Plusieurs des meilleurs clubs du continent y sont nés entre la fin du 19e et le début du 20e: First Vienna (1894), Wiener AC (1896), Rapid Vienne (1899), Admira Vienne (1905), Austria Vienne (1911). Tous ont atteint au moins une fois la finale de la Mitropa Cup.

L’équipe du Rapid Vienne victorieuse en 1930.

Les clubs viennois auront atteint huit fois la finale, lors des dix éditions auxquelles ils ont pris part jusqu’en 1937. L’annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie en mars 1938 les empêchera de gonfler ce bilan. Cette dernière édition avec les clubs autrichiens revient à un format à 16 équipes, mais avec sept nations représentées. Le Građanski Zagreb marque le retour des équipes de Yougoslavie et le Venus Bucarest est le premier représentant roumain. Comme un triste symbole, Hugo Meisl est mort d’une crise cardiaque quelques mois avant.

Paraissant longtemps hermétique à la montée guerrière, la compétition va aussi faire les frais de la folie nazie-fasciste qui gangrène l’Europe. Tandis que l’Italie adopte ses lois raciales et que la Hongrie renforce sa législation antisémite, le Troisième Reich poursuit son expansion impérialiste en annexant les Sudètes en septembre 1938. La fin de l’indépendance de la Tchécoslovaquie n’est plus qu’une question de mois. En mars 1939, la partie occidentale du pays, la Bohême-Moravie, devient un protectorat nazi.

C’est sous cette nouvelle bannière que les deux fleurons pragois du football tchécoslovaques participent trois mois plus tard à la Mitropa Cup 1939. Le Sparta et le Slavia Prague – tenant du titre – ne passeront pas le premier tour, éliminés par Ferencváros et le BSK Belgrade. La finale 100% hongroise voit la victoire du Újpest FC de Béla Guttman, de plus en plus menacé par les lois antisémites qui quadrillent le continent, à l’image de ses confrère juifs hongrois Árpád Weisz (exécuté avec sa famille à son arrivée à Auschwitz en 1944) et Egri Erbstein, obligés de fuir l’Italie dès 1938.

Une seconde vie beaucoup plus terne

Privée de nombreuses de ses étoiles, la Mitropa Cup est moribonde. Malgré tout, les organisateurs se risquent en 1940 à faire jouer la 14e édition, cette fois-ci sans les clubs tchécoslovaques, ni italiens. Ce sont donc trois clubs hongrois, trois yougoslaves et deux roumains qui composent le plateau. La compétition se déroule au mois de juin et juillet 1940 ira jusqu’au demi-finales. La finale devant opposer Ferencváros au Rapid Bucarest ne sera jamais jouée et pour cause, la 2nde Guerre mondiale est déclenchée.

Après la guerre, la Mitropa Cup va mettre quelques années à renaître de ses cendres. L’UEFA, qui vient de voir le jour en 1954, la relance en gardant le principe d’une compétition réservée aux équipes d’Europe centrale. Mais elle sera rapidement éclipsée par la naissance de la Coupe d’Europe des Clubs Champions, même si lors du match retour de la finale 1956 à Budapest, entre le Vasas et le Rapid Vienne, 110 000 personnes avaient pris place dans les tribunes. Impossible de rivaliser sur la durée avec la Coupe d’Europe des Clubs Champions qui propose une sorte de version améliorée de la Mitropa Cup, incluant plus de clubs issus d’un nombre étendu de pays.

La Mitropa Cup va alors entamer un long chemin de croix jusqu’à sa dernière édition en 1992, tâtonnant pour trouver une formule attractive. A partir des années 60, l’Italie n’envoie plus que des équipes du ventre mou de la Serie A et à partir de la saison 79/80, c’est même le champion de Serie B qui est invité à y participer. En novembre 1985, la 44e Mitropa Cup se joue sous la forme d’un tournoi de trois jours à Pise. Ce format va s’imposer pour ses dernières éditions qui se jouent presque toutes en Italie, à Pise, Ascoli ou Bari. Mais le public ne répond plus vraiment.

En 1992, la Mitropa Cup tirera sa révérence devant à peine 1000 personnes. Pour la finale qui verra la victoire du Borac Banja Luka (5e de D1 yougoslave) devant le BVSC Budapest (2e de D2 hongroise), le stade Pino Zaccheria de Foggia sonnera tristement creux. Le désintérêt évident du public, et le début de la guerre dans les Balkans qui fera imploser la Yougoslavie, auront porté l’estocade à ce qui restait de cette compétition née en 1927.

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