Ce week-end, en marge du couronnement de Charles III, l’hymne national a été copieusement hué par Anfield Road à l’occasion de la réception de Brentford. La réaction d’un peuple qui s’est construit dans le rejet d’un establishment qui l’a longtemps méprisé.
“Vous pouvez vous mettre votre couronnement au cul!”. Ce chant, entonné durant la semaine par les supporters de Liverpool et du Celtic, annonçait la couleur avant les festivités du couronnement de Charles III. Exceptée en Écosse, cette franche hostilité ne s’est exprimée que dans de rares stades anglais. Anfield Road est de ceux-là, sans surprise. Dans le Kop, où on répète à l’envi qu’on est scouse’ plutôt qu’anglais, il règne également un farouche sentiment anti-tory, comme un reste de mémoire de cette classe ouvrière broyée par la barbarie thatcherienne dans les années 80.
Les raisons de cette hostilité remontent à loin
Une telle détestation de l’establishment britannique n’apparaît pas en un claquement de doigt. Il ne s’agit pas d’une mode. Elle est ancrée dans les chaires et les histoires familiales. Même si les tribunes ont été partiellement vidées de ses prolétaires les plus démunis, les dirigeants américains du Liverpool FC n’en ignorent évidemment pas la sociologie ni l’orientation politique. Alors quand la Premier League leur a demandé de faire jouer l’hymne national avant la coup d’envoi de la 35e journée de championnat, ils ont certainement moyennement goûté cette requête. Il était écrit qu’à Anfield Road, l’hymne allait résonner un peu différemment que dans le reste de l’Angleterre.
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Dire que les fans des Reds ont une relation compliquée avec l’hymne national est un euphémisme. Dans le podcast “Walk On” de The Athletic, la journaliste Caoimhe O’Neill fait référence à l’épisode de Wembley la saison passée, lorsque les supporters des Reds avaient sifflé l’hymne sous les yeux du Prince William. Comme ils l’avaient déjà fait lors du Community Shields 2019 et en d’autres occasion. «Il ne s’agit pas nécessairement de lui ou de la famille royale. Ce qu’il faut retenir c’est qu’il s’agit de l’establishment dans son ensemble, de ce conglomérat de choses auxquelles les supporters de Liverpool sont opposés.»
Si on remonte plus loin dans le passé, on trouve déjà des traces de cette opposition à l’establishment et aux élites londoniennes, comme lors des finales de FA Cup de 1950 et 1965 où l’hymne national n’avait certes pas été hué mais les paroles avaient été modifiées en “God save our team”, nous apprend également le podcast. «Tout cela a aussi à voir avec l’anti-patriotisme de la plupart des habitants de la ville. On le voit lors des grandes compétitions où joue l’équipe nationale d’Angleterre. Ce n’est pas leur identité. Ce n’est pas ce qu’ils sont. Ils ont le sentiment que ces personnes ne les représentent pas. On est à mille lieues d’un type qui se fait poser une couronne sur la tête à Londres.»
Fidèles à l’histoire populaire de leur ville
La construction de cette identité scouse est un héritage de l’immigration irlandaise, fuyant la Grande Famine des années 1840 et qui a façonné l’image ouvrière de la ville. Les années Thatcher ont exacerbé le caractère conflictuel de la relation entre la population de Liverpool et l’establishment. «Pendant longtemps, Liverpool a été la ville oubliée du Nord de l’Angleterre. Les docks étaient à l’abandon depuis 1972, Margaret Thatcher voulait nous rayer de la carte, on nous disait de partir, d’aller vivre plus dans le Sud, ou à l’intérieur des terres… Quand tout allait mal, quand tout le pays nous regardait avec pitié ou dédain, les gens d’ici n’avaient plus que le club de foot pour défendre leur honneur.»
Ces mots sont de John Aldridge, ancien attaquant des Reds natif de Liverpool. Ils illustrent un sentiment largement partagé. La façon dont le drame d’Hillsborough été traité par le pouvoir politique et les médias a contribué à souder encore plus cette communauté, tout en évanouissant l’hypothèse d’une réconciliation. Alors qu’ils ont perdu 97 des leurs à Hillsborough, les clichés véhiculés à propos des supporters de Liverpool les présentant comme un ramassis de voyous ont laissé des cicatrices indélébiles. L’hymne national n’est, en définitive, qu’un symbole parmi d’autres de cette nation par laquelle des générations de Scousers se sont senties trahies et rejetées. En le huant, les tribunes d’Anfield ne font qu’honorer fièrement l’histoire populaire de leur ville.
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