A l’occasion des 120 ans du club, l’OM s’est offert un match amical prestigieux au Vélodrome face au Napoli, une des toutes meilleures équipes européennes. Contrairement à certaines idées reçues, les supporters des deux équipes se détestent. Coutume locale, la préfecture des Bouches-du-Rhône s’est empressée d’interdire la vente de billets aux supporters napolitains.
Beaucoup s’étonnent de la rivalité entre les deux tifoserie. C’est vrai qu’on a tendance à trouver des ressemblances entre les deux villes méridionales. Christian Bromberger les prenaient d’ailleurs comme modèles pour son étude ethnologique de la « passion partisane » autour du football. Des villes, écrit-il, qui « symbolisent ces Suds européens décadents et dépendants, se sentant exclus et victimes, ayant soif de reconnaissance et d’un retournement de l’histoire ». Des villes à la « mauvaise réputation » qui ont aussi toujours cultivé une relation conflictuelle avec le pouvoir central et souffert de ce mépris dirigé contre les méridionaux. La presse parisienne ne se régalait-elle pas à comparer Marseille à Chicago? Référence à la pègre qui aurait fait main basse sur la ville, et encore ce n’est rien à côté de la Camorra de Naples. Un “milieu” en tous cas bien utile aux patrons quand il s’agissait de faire le coup de poing contre “les rouges” qui s’agitaient après-guerre dans les usines des deux côtés de la Méditerranée.
Saint-Jean, la “Petite Naples”
Dans une ville historiquement calomniée par les élites française, ce “peuple” marseillais, riche de ses multiples origines, a développé une identité locale propre, à l’ombre du jacobinisme. Comme à Liverpool où les kopites clament qu’ils ne sont pas anglais mais scousers, dans les virages du Vélodrome on chante sa fierté d’être marseillais et pas français. Un ton anti-nationaliste qui s’appuie sur la riche histoire sociale de la ville et qui s’est développé en tribune au point qu’aujourd’hui, les groupes d’ultras se posent en garants des valeurs antiracistes voire antifascistes. Ce qui n’a pas toujours été aussi clair dans les gradins du Vélodrome. A Marseille comme à Naples ou Liverpool, cités portuaires frappées par le chômage, on voue un véritable culte au club. « C’est le propre des villes sinistrées […] et aujourd’hui bafouées de l’extérieur, de porter une ferveur sans commune mesure à l’équipe qui les représente » avance Bromberger. Regardées de haut comme des « villes d’opérette », chaque victoire sur le terrain est vécue, à Naples et à Marseille, comme une revanche sur l’arrogance anti-méridionale.
Mais plus que des ressemblances, il y a des liens forts que la Méditerranée permit de tisser, du temps où elle était plus facile à franchir. Souvent dockers ou pêcheurs, les immigrés napolitains vivaient alors à Saint-Jean, vieux quartier du port marseillais aux ruelles étroites, surnommé la “Petite Naples”. Là-bas, on parlait le sanjanen, un dialecte provençal hybride aux accents napolitains. Mais, vu comme un foyer subversif à liquider, le quartier a été passé à la dynamite en 1943 par les nazis, flanqués de la police de Vichy, qui raflèrent au passage plusieurs milliers de personnes, dont près de huit cent Juifs déportés à Sobibór, nous apprend l’Histoire universelle de Marseille d’Alèssi Dell’Umbria.
Façonnée par ses immigrés, Marseille est « la plus italienne des villes françaises ». La xénophobie et les persécutions de la fin du 19e siècle contre ces ouvriers venus des quatre coins de l’Italie, appelés les babis, et assignés aux boulots les plus ingrats, n’y ont rien changé. Aujourd’hui, pas loin d’un quart des Marseillais a des origines italiennes. Des liens qui ont facilité, à coup sûr, l’importation de la culture ultra‘ dans les tribunes de l’Hexagone par ces quelques pionniers à l’origine de la création du Commando Ultra’ en 1984.
« Ennemis de nos frères »
Si les raisons de faire de Naples et Marseille des villes-sœurs ne manquent pas, cela n’empêche pas les ultras de ces deux clubs aux identités fortes de ne pas pouvoir s’encadrer. La seule confrontation officielle entre l’OM et le Napoli remonte à la phase de groupes de la Ligue des Champions 2013/14, en témoigne. Pour le match aller au Vélodrome le 22 octobre 2013, les ultras napolitains n’avaient pas fait le déplacement “à vide”. Bien équipés, et accompagnés de leurs acolytes du Genoa venus leur prêter main forte, ils affrontèrent quelques dizaines d’ultras marseillais avant le match. Dans les tribunes, l’hostilité était aussi très palpable. Le CU 84 y avait déployé un message en italien: « Les ennemis de nos frères sont nos ennemis… Forza Samp ! » pendant que sur la partie haute du virage sud, les South Winners 87 tendaient un tifo mettant à l’honneur Che Guevara et Maradona. Une expropriation symbolique de l’effigie de la divinité napolitaine qui, à l’époque, n’avait pas forcément été bien comprise du reste des supporters de l’OM. Derrière les bâches de la Curva A et des Fedayn, les ultras du Napoli avaient échangé des provocations avec le virage nord et quelques jets de fumigènes, sans plus de dégâts que ça, étaient partis du parcage visiteurs.
Malgré tout, les ultras napolitains ne semblent pas accorder beaucoup de crédit aux ultras marseillais, vus comme des rivaux subalternes voire collatéraux. Rien de comparable par exemple à la féroce inimitié avec les tifoserie de l’Hellas ou de l’Atalanta. Au match retour, ils ont fait preuve d’une relative indifférence à l’égard des Phocéens. D’une certaine manière, cette rivalité est à l’origine, indirecte. Le CU 84 est jumelé depuis plus de trente ans avec les Ultras Tito Cucchiaroni de la Sampdoria, ennemis jurés des ultras du Genoa et du Napoli, eux-mêmes jumelés depuis 1982. Voilà un cas d’école de rivalité croisée impliquant des groupes liés par la force d’un jumelage, même si depuis, celui unissant les ultras napolitains et génois a été rompu en avril 2019. Ce qui ne remet pas en cause leur rapport aux Marseillais. D’autant que dans ce schéma parfois complexe des rivalités, la récente amitié nouée par la K-Soce Team du PSG et la Curva B du Napoli est venue s’ajouter au cocktail.
Une alliance aurait sûrement eu plus de gueule qu’une rivalité. Mais les groupes de supporters répondent à une autre logique. C’est là toute la limite du campanilisme ou esprit de clocher dans le football. Les ultras marseillais, quelques semaines avant ce rendez-vous de 2013, faisaient monter la température dans la ville en affichant un peu partout des « Napoli Merda », message qu’il n’est pas nécessaire de traduire. Classique du folklore ultra’. Au fait des comparaisons à l’emporte-pièce avec les Napolitains, les ultras marseillais expriment ainsi le besoin de mettre de la distance entre eux et ces rivaux auxquels beaucoup veulent les assimiler. Quitte à clamer haut et fort : « Nous ne sommes pas des Napolitains ! » quand bien même leur histoire prouve en partie le contraire.