Du Fair Play Financier au salary cap, de quoi parle-t-on?

Entré en vigueur en 2010, le fameux Fair Play Financier vivrait sa dernière saison. Selon le Times, l’UEFA envisagerait de lui substituer un système inspiré du modèle des compétitions nord-américaines majeures comme la NBA, avec un plafonnement des salaires.

Un peu en retrait après avoir été assoupli depuis que le football européen vit au rythme de la pandémie de Covid-19, le Fair Play Financier (FPF) a refait l’actualité ces derniers jours. L’arrivée de Lionel Messi au Paris Saint-Germain, en plein cœur d’une crise sanitaire dont on ne sait pas comment le football en sortira, a ravivé les rancœurs et les suspicions. Les transferts conjugués de Neymar et Mbappé au PSG en 2017 avaient déjà montré son impuissance face à la course à l’armement de clubs appartenant aux pétro-monarchies du Golfe, jugée déloyale par d’autres gros bras européens, notamment le Bayern. Et Aleksander Ceferin, patron de l’UEFA, partage l’avis que le FPF a aujourd’hui fait son temps et n’est plus adapté dans son rapport de force avec certains des clubs ultras riches du continent.

Le FPF, la contrainte tout en souplesse

Malgré l’ambition initiale de Platini de voir, à terme, les clubs ne fonctionner que sur les revenus qu’ils généraient, le FPF n’a vraiment été pensé pour “moraliser” et réguler l’économie du football européen qu’à la marge. Apparu dans le contexte particulier qui a suivi la crise économique mondiale de 2008, où la dette totale des clubs des premières divisions continentales atteignait 8,4 milliards d’euros (dont 5,5 milliards d’emprunts bancaires), il n’a effectivement jamais été autre chose qu’un mécanisme de contrôle censé gommer certaines dérives. Mais le but reste de garantir l’attrait et donc la valeur des compétitions organisées et commercialisées par l’UEFA. Principalement de son “produit” phare qu’est la Ligue des Champions.

Depuis 2012, elle dispose l’Instance de Contrôle Financier des Clubs (ICFC), chargée surveiller la bonne application des règles du FPF. D’abord utilisé pour veiller à ce que les clubs qualifiés en Coupe d’Europe n’aient pas d’impayés de salaires ou de transferts, le rôle du FPF s’est ensuite borné à contrôler que les clubs ne dépensent pas plus d’argent qu’ils n’en gagnent. Mais loin d’être un mécanisme ultra-contraignant, le FPF autorise un déficit de 30 millions d’euros, étalé sur trois saisons et pouvant être comblé sur leurs fonds propres par les actionnaires. Ce qui laisse du temps et de la souplesse aux clubs les plus riches pour rééquilibrer leur balance et rester dans les clous en échelonnant leurs dépenses. D’autant qu’au passage, celles dédiées à la formation, aux sections féminines ou encore aux infrastructures n’entrent pas dans le calcul.

Symbole d’une UEFA en perte d’autorité

En se concentrant exclusivement sur les dépenses des clubs en transferts et en masse salariale, même de façon assez souple, l’UEFA s’est focalisée sur l’objectif de maintenir le relatif équilibre sportif de ses compétitions. Relatif, car il existe déjà des filets de protection assurant, d’années en années, à un maximum de clubs issus du Big 5, la participation aux groupes de la Ligue des Champions, et donc les revenus qui vont avec. En un peu plus de dix ans d’existence, certains des clubs les plus riches comme le PSG, Monaco ou City, ont déjà été sanctionnés. Mais il s’agit de sanctions financières auxquelles ils ont largement les moyens de faire face. D’autres clubs un peu moins cotés comme l’Inter, Besiktas ou le Sporting Lisbonne se sont vus limiter le nombre de joueurs inscrits en Coupe d’Europe (22 au lieu de 25).

Les filets du FPF ont donc déjà attrapé quelques poissons. L’exclusion des compétitions européennes, qui est la sanction suprême, est utilisée avec parcimonie. Quelques clubs en ont fait l’amère expérience: entre autres Malaga, exclu en 2013 pour trois saisons, le Partizan Belgrade ou encore le Milan AC en 2019. Il s’agit de clubs de troisième ou quatrième chapeau, et non des têtes de gondole. D’ailleurs ces deux dernières années, quand il a fallu appliquer des sanctions aux puissants clubs-états que sont Manchester City ou le Paris Saint-Germain, le Tribunal Arbitral du Sport (TAS) a désavoué l’UEFA. Assoupli au fil du temps, le FPF a surtout fini par incarner la perte d’autorité de l’UEFA sur une partie de ces cadors. Une perte d’autorité amplifiée par l’épisode de la Super Ligue avortée, avec le Real Madrid de Florentino Perez et la Juventus d’Andrea Agnelli à la baguette.

Le modèle de la NBA n’est pas applicable

Dans cette lutte de pouvoir au sein de la grande bourgeoisie du football européen, l’UEFA et Ceferin planchent sur la réforme qui leur permettra de ne pas perdre complètement la main. Le pétard mouillée de la Super Ligue n’est qu’une victoire en forme de sursis pour Ceferin qui, admiratif du modèle de la NBA, voit dans l’instauration d’un salary cap et d’une luxury tax ce qui permettrait de rééquilibrer les forces en limitant la masse salariale des clubs. Et ainsi freiner la folie des grandeurs des ultra-riches qui accaparent et entassent les meilleurs joueurs dans leur effectif. Pour Ceferin, c’est une manière de garantir que le fossé ne se creuse pas plus au sein de la douzaine de clubs constituant le gratin, ainsi qu’avec les autres. Si elles venaient à être adoptées ces nouvelles modalités ne pourraient prendre effet qu’à partir de la saison 2022/23. Elles seront au centre des débats de la prochaine Convention de l’UEFA “sur l’avenir du football européen”, qui aura lieu en septembre prochain en Suisse.

L’idée de base du salary cap est de plafonner la masse salariale des clubs qui disposent ainsi d’un montant total identique à ne pas dépasser et à répartir entre les joueurs. Le but étant que les clubs disputent la compétition avec les mêmes moyens, pour préserver l’intérêt sportif et donc la rentabilité de la dite compétition.

Dans quelle mesure ce qui se pratique en NBA est-il transposable au football européen? Le salary cap sur lequel repose en grande partie l’équilibre sportif de la NBA concerne un marché du travail à très haute valeur ajoutée et ne prend son sens que dans le format de ligue fermée, sans montée ni descente. Un modèle finalement beaucoup plus élitiste qu’il n’est égalitaire où le salary cap est régulièrement dépassé, à la différence de la NFL où c’est impossible. Plus le montant du dépassement est élevé, plus la luxury tax est importante. Des franchises outrepassent sciemment le salary cap, pariant sur un succès sportif et un retour sur investissement. Ça peut laisser présager comment les plus fortunés pourront s’adapter en cas d’application dans le football. Fan du salary cap depuis plusieurs années, que projette Ceferin? A moins de s’orienter vers un système de franchises et de ligue fermée, le salary cap devra nécessairement s’adapter au format des compétitions en Europe. Comme pour le FPF, à court terme un salary cap ne semble applicable qu’aux différentes coupes d’Europe. Le Times n’apporte pas beaucoup de précisions sur ce qui n’est à l’heure actuelle qu’un projet. Une différence de taille par rapport au modèle nord-américain, où le salary cap est réévalué au début de chaque saison en fonction des revenus de la saison précédente, celui de l’UEFA serait fixé en fonction des revenus de chaque club. Et la masse salariale ne serait pas autorisée à dépasser 70% (et même 90% jusqu’en 2025!) de ces revenus. Au delà, s’appliquerait alors une luxury tax dont le montant reste à définir et qui serait redistribué aux autres clubs. Quelques miettes, en somme.

Le salary cap, idée fixe des partisans de la régulation

Plafonner les salaire et taxer les dépenses excessives dans le football, la proposition n’est pas nouvelle. C’est une des idées fixes de ceux qui prônent une régulation de l’économie du football pour éviter qu’elle ne coure à sa perte. En septembre 2017, dans le JDD, une tribune signée Pierre Rondeau et Pierre Bouigue appelait à plafonner le salaire des joueurs. Les auteurs en faisaient un des remèdes possibles aux inégalités salariales énormes à l’échelle internationale et suggéraient aussi d’instaurer une taxe symbolique de 5% sur la hauteur du dépassement salarial, redistribuée à fond social en faveur des sportifs en situation de précarité.

L’occasion de mettre en lumière les limites de ces propositions, qui s’attachent à gommer les “excès” sans s’attaquer aux causes qui les produisent, nous avait été donnée par les Cahiers du Football. Sur le fond, en dépit du vernis social d’une meilleure redistribution, leur objectif ne diffère pas énormément de celui de Ceferin: enrayer l’hémorragie inégalitaire et sauver le football de la sécession promise par les plus puissants. Loïc Ravenel du CIES plaide aussi en faveur d’un salary cap, fortement inspiré des très élitistes ligues nord-américaines. Répondant aux Cahiers du Football sur les quatre mesures qui selon lui permettraient de réguler l’industrie du football de plus en plus fragilisée, il voit dans le salary cap un moyen d’équilibrer les effectifs tout en limitant les risques d’inflation salariale.

Pas touche au capitalisme?

A peu près tous les partisans de la régulation se rejoignent sur un point: la difficulté d’harmoniser le salary cap à l’échelle européenne. Peu parlent en revanche de la probabilité qu’a le cartel des clubs les plus puissants d’en accepter le principe sans les garanties ou les contreparties économiques que seule une ligue privée – fermée voire semi-fermée – peut à l’heure actuelle lui apporter.

Si cette modification se confirme, peu de chances de voir les inégalités entre les clubs disparaître, au mieux seront-elles contenues. Voir le salut du football européen dans le modèle économique de la NBA, même en le saupoudrant d’intentions sociales, résume l’impasse de la régulation. Mais c’est peut-être aujourd’hui, dans le pur esprit keynésien, le meilleur moyen d’esquiver la cause fondamentale des inégalités, dans le football comme en dehors: l’existence même du capitalisme.

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