La surenchère répressive qui vient

Les derniers incidents survenus en L1 ont remis une pièce dans le jukebox et relancé la musique appelant à durcir la répression contre les “fauteurs de trouble”. S’il y a bien des voix qui s’élèvent pour en finir avec l’absurdité des sanctions collectives, les décisions qui s’annoncent ne sentent pas bon pour les tribunes populaires.

Jeudi dernier, une commission de discipline extraordinaire de la LFP statuait sur la fermeture à titre conservatoire de la tribune Coubertin du stade Raymond-Kopa à Angers et des parcages visiteurs de l’Olympique de Marseille. De nouvelles sanctions collectives qui s’additionnaient aux huis-clos visant déjà l’OGC Nice et le RC Lens. Le retour au stade, après quasi un an et demi de parenthèse sanitaire, a été émaillé de plusieurs affrontements et d’envahissements de pelouse. Que ces faits n’aient concerné qu’une minorité des quelques 70 matchs qui ont été joués n’a pas empêché une surmédiatisation nocive, déroulant le tapis rouge à une surenchère dans le discours répressif.

Croisade médiatique

Depuis le match Nice-OM disputé fin août, on assiste à une réelle offensive idéologique menée depuis les rédactions sportives mainstream et dirigée contre les tribunes populaires. La une du journal L’Équipe du vendredi 24 septembre, barrée d’un cinglant “Dehors!” adressé aux supporters impliqués dans les divers heurts, est sans équivoque. Le dossier de cinq pages que le quotidien propose est intégralement à charge. Son mot d’ordre: la tolérance zéro. Comme d’autres médias mainstream, L’Equipe s’est lancé dans une croisade face à ces incidents qui terniraient « sérieusement l’image du football français ». Le porte-voix du foot business se croit en mission et appelle instances, clubs et pouvoirs publics à prendre leurs responsabilités et à sévir.

Depuis plusieurs semaines, le refrain sur le prétendu laxisme des autorités tourne en boucle sur les plateaux de la Chaîne L’Equipe.  « Il faut interdire tous les déplacements de supporters jusqu’à nouvel ordre » dit l’un, « Il faut des interdictions de stade à vie » répond l’autre. Dans une pure rhétorique sarkozyste, les stades y sont croqués en zones de non-droit par des journalistes et des chroniqueurs qui ont un karcher dans la bouche et ne jurent plus que par le modèle de l’Angleterre de Thatcher et son programme d’éradication des hooligans. Ça vante des stades anglais pacifiés, sans grillages ni filets, mais ça oublie de préciser que le prix d’une place en tribune “populaire” a été quasiment été multiplié par 10 depuis les années 90 et l’entrée dans l’ère hyper-sécuritaire de la Premier League. Leur modèle, ce sont des stades dont la working class a été évincée par une gentrification brutale.

“Pour le laxisme, on repassera!”

Au milieu de tout ça, d’autres voix se font péniblement entendre pour prendre de la hauteur et rappeler l’inefficacité des sanctions collectives, aussi injustes qu’absurdes. La ministre des Sports Roxana Maracineanu et le député macronien Sacha Houlié (co-auteur du rapport parlementaire sur le supportérisme) s’affirment aussi plutôt défavorables aux sanctions collectives. Mais derrière ce qui n’est qu’une question de bon sens, il y a surtout une volonté de mettre le paquet sur l’identification des “fauteurs de trouble” – via les multiples caméras de surveillance – et le renforcement des sanctions individuelles.

Et selon eux, pas besoin de créer de nouvelles lois pour ça car l’arsenal existant est largement suffisant. « Le plus important en Europe en matière de répression dans les stades », comme le rappelle l’Association Nationale des Supporters (ANS). Un patchwork de sanctions individuelles et collectives où les interdictions de stade peuvent être de trois types : judiciaires (délivrées par la justice), administratives (délivrées par les préfets) et commerciales (délivrées par les clubs). Sans parler des huis clos et des fermetures de tribunes prononcés par la Commission de discipline de la LFP. Ou encore des interdictions préfectorales de déplacement – qui battaient leur plein avant la longue période des huis clos de la saison 2020/21 – pour compléter ce sombre tableau. Alors pour le laxisme, on repassera !

Vers une augmentation des sanctions individuelles?

D’un autre côté, Maracineanu ne manque pas de renvoyer les clubs à leurs responsabilités. Ils sont appelés à recourir de façon plus franche à la très répressive Loi Larrivé qui est à leur disposition depuis 2016 et qui leur permet d’interdire de stade leurs propres supporters (jusqu’à 36 mois en cas de récidive). Une “meilleure” utilisation du large éventail répressif existant est un des enjeux pour le gouvernement dans la séquence actuelle de criminalisation et de répression des tribunes populaires. “Sanctionner mieux”, comme on peut le lire ici ou là. Au lieu de punir arbitrairement une tribune entière, ils prônent l’individualisation massive. Le RC Lens n’a pas attendu longtemps avant de s’exécuter et a déjà pris des mesures d’interdiction commerciale de stade et de suspension d’abonnement contre 17 de ses supporters suite aux débordements du derby face à Lille.

A en croire les propos de Jean-Michel Blanquer – sous la tutelle de qui est placée le Ministère des Sports  – fustigeant un «hooliganisme insupportable», la réunion prévue cette semaine entre le gouvernement, les instances et la Division Nationale de Lutte contre le Hooliganisme (DNLH) promet de sortir avec des annonces fortes. Manière aussi de satisfaire le lobbying sécuritaire intensif de ces dernières semaines. L’annonce d’une augmentation visible des IDS (seuls 54 supporters seraient actuellement interdits de stade selon la police) et d’une application plus zélée de la Loi Larrivé sont à prévoir. Et les déplacements sont aussi clairement dans le viseur.

Le curseur policier promet de monter d’un cran. Il suffit d’écouter les propos du patron de la DNLH qui parle « d’expulser les voyous », ou encore ceux du préfet de l’Hérault pour qui « on a affaire à des délinquants, des voyous et la justice et l’État les traitera comme tels », pour comprendre qu’on entre dans une phase de criminalisation aiguë des tribunes populaires. Le fait que nous soyons à quelques mois d’une élection présidentielle où la question sécuritaire est centrale n’aide pas. Dans ce contexte, sanctions collectives ou massivement individuelles sont les deux faces d’une même pièce.

Édito n°36

 

 

 

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