La 28e édition des « Oscars du foot » approche. Les joueurs vont étrenner leurs smokings pour cette cérémonie médiatique distinguant les meilleurs joueurs et coachs de L1 et L2, mais aussi depuis peu, des féminines. Télévisés depuis 1994, ces Trophées UNFP, de leur nom officiel, symbolisent l’individualisation outrancière du football. Et, derrière le folklore des paillettes, ils la célèbrent.
Quand les heureux élus vont aller récupérer leur récompense sur scène comme au Festival de Cannes et remercier dans un discours convenu leur entourage, leur coach, le staff technique et leurs coéquipiers, alors n’oublions pas de nous demander quel type de football est en train d’être consacré. Bien sûr, ce type de récompenses individuelles ne datent pas d’hier. Elles remontent même bien avant le virage libéral du début des années 90, si on considère qu’une des toutes premières du genre est le Prix du meilleur joueur de l’année du Championnat d’Angleterre, instauré lors de la saison 1947/48. Soit un peu moins de dix ans avant la création, à l’initiative du journal France Football, du Ballon d’Or. Ces récompenses individuelles ne concernent alors qu’un seul joueur, supposé être « le meilleur », et ne sont encore qu’une lubie de journalistes. Une curieuse façon de penser un sport censé être collectif en s’octroyant le loisir de décerner un titre individuel, avec toute la part de subjectivité inévitable que cela comporte.
Et l’employé de l’année est…
Si de rares voix se font entendre contre le non-sens de ces distinctions ou sur leur caractère artificiel, les footballeurs se prennent au jeu. Si bien qu’en Angleterre, un autre prix de meilleur joueur voit le jour lors de la saison 1973/74, décerné par le syndicat des footballeurs professionnels (PFA). Les Trophées UNFP, apparus vingt ans plus tard, s’inscrivent dans cette tradition anglo-saxonne, aujourd’hui symptomatique du football moderne. Outre le meilleur joueur, dans le soucis d’adapter la soirée au format d’un show télévisé, le meilleur espoir, le meilleur gardien de but, le meilleur coach ou encore l’équipe-type de la saison seront primés. Une sorte de version de luxe de l’employé de l’année, appliquée à l’industrie du football-spectacle.
Cette cérémonie est celle du joueur, indépendamment du collectif qui l’entoure. Mais ne feignons pas l’indignation, le football moderne et marchand est ainsi fait. Et l’individualisation à l’œuvre sous nos yeux est le fruit d’un long processus probablement commencé avec la numérotation des maillots des joueurs à la fin des années 20 jusqu’à la commercialisation de leur image telle qu’elle est répandue aujourd’hui. (Lire Comment le football est presque devenu un sport individuel, de Jérôme Latta) Un individualisme hégémonique au très haut niveau qui, par effet domino, affecte le collectif. Un collectif pensé comme une addition d’individualités contraintes de coopérer pour gagner et permettre, le cas échéant, à chacun d’ajouter une ligne à son palmarès personnel. Chacun y joue sa partition de façon quasi indépendante. Le rapport au collectif et à l’équipe en devient, au mieux, purement utilitariste, y compris pour gonfler ses propres statistiques, ces médailles 2.0 du footballeur moderne.
Pire que la CFDT, il y a l’UNFP
Tout ça est aussi le fruit de la généralisation de plans de carrière complètement individualisés. La durée moyenne du passage dans un club s’est raccourcie. Joueurs et clubs semblent trouver leur compte dans cette flexibilité contractuelle. En France, celle-ci découle en partie du mouvement orchestré par l’UNFP à la fin des années 60 contre le contrat « à vie » et pour l’obtention du contrat « à temps ». Contrat qui, tout en libérant les joueurs du joug des dirigeants, a accéléré leur mise en concurrence individuelle. Celle-ci s’est globalisée avec la libéralisation du marché des transfert, découlant de l’arrêt Bosman au milieu des années 90. Les négociations de contrats à la carte, avec de plus en plus de clauses indexées sur les statistiques individuelles, génèrent du calcul personnel et sont autant d’obstacles à l’existence d’un collectif solidaire où les efforts sont faits les uns pour les autres, et non pour sa propre gloriole.
Dans son registre, l’UNFP ne se contente pas d’accompagner l’inéluctable évolution du football libéral. Elle l’alimente et lui graisse les rouages, pire que la CFDT. « La seule chose qui les intéresse, c’est d’organiser les Oscars du foot. » dira l’ex-footballeur Vikash Dhorasoo, snobé par le syndicat au moment d’un conflit avec son employeur de l’époque, le PSG. En tous cas, l’UNFP, avec ses « Oscars du foot » et ses Trophées du joueur du mois, depuis 2003, ne fait pas autre chose que valoriser la mise en concurrence des joueurs et l’individualisme « spectaculaire » au détriment du collectif. Il n’y a qu’à voir la sélection des 5 joueurs nommés dans la catégorie « Meilleur joueur de la saison de L1 » : Neymar, Mbappé, Di Maria, Pépé et Ben Arfa. Elle en est le reflet parfait.
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