Déplacements: bilan de la répression et du dialogue avec les instances

Classement des clubs français les plus visés par les arrêtés préfectoraux interdisant ou restreignant les déplacements de supporters (source: ANS)

La saison 2018/19 de L1 vient de s’achever et avec elle la valse des arrêtés préfectoraux interdisant ou restreignant les déplacements de supporters. Un leitmotiv répressif que les autorités ne semblent pas prêtes à abandonner et qui questionne la stratégie “dialoguiste”. L’Association Nationale des Supporters (ANS) a publié le bilan répressif de la saison.

Pour cette dernière journée de championnat de L1, les arrêtés préfectoraux concernant les matchs OM-Montpellier, Nantes-Strasbourg ou encore Nîmes-Lyon, ont porté à 101 le nombre de restrictions ou interdictions, toutes compétitions confondues, de déplacements pour les supporters visiteurs. De la L1 jusqu’à certains matchs de National 2 (4e division), il s’agit donc d’une saison particulièrement répressive, marquée par un usage de plus en plus débridé de cet outil liberticide. C’est même la deuxième saison la plus répressive après celle s’étant déroulée sous l’état d’urgence en 2015/16. Cette saison aussi, l’État a tenté de justifier le recours massif à l’interdiction de déplacement par des raisons « extérieures » aux supporters. Le mouvement des Gilets Jaunes et l’argument de forces de l’ordre trop épuisées pour encadrer des matchs de L1 ont été agités un temps. Mais en réalité, cette saison semble acter la normalisation de ces interdictions préfectorales.

L’arbitraire des préfets ne rencontre pas d’obstacle

Instaurée en 2011 dans la cadre de la LOPPSI 2, loi sécuritaire du quinquennat sarkozyste, cette mesure illustre à merveille l’extension des pouvoirs donnés aux préfets de police. Comme beaucoup de propositions visant à restreindre les libertés, celle-ci avait été vendue par les députés et sénateurs de droite comme une disposition qui serait “rarement utilisée”. Aujourd’hui, ce caractère soit-disant exceptionnel a volé en éclat, et elle est devenue la norme. Banalisée à un tel point qu’on en a oublié le goût d’une journée de championnat sans arrêté préfectoral. Selon l’ANS qui tient scrupuleusement cette comptabilité sinistre, la barre des 600 interdictions / restrictions a même été franchie depuis 2011. Ces chiffres permettent de dégager une tendance et voir que certains supporters, considérés comme plus turbulents, sont beaucoup plus dans le viseur que les autres : le PSG, Saint-Etienne, Nice, Marseille, Nantes ou Lyon cumulent à eux six plus d’un tiers de l’ensemble des interdictions / restrictions de déplacements (228 sur 601 au total).

Cette réalité statistique pose inévitablement la question de l’efficacité du dialogue avec les diverses autorités. Dans son communiqué, l’ANS qui est née en 2014, reste positive en préférant insister sur le fait que « le dialogue n’a jamais autant porté ses fruits au niveau national ». On pense à la mise à l’essai de tribunes debout “sécurisées” dans quelques stades comme Lens ou Saint-Etienne, ou encore à la récente annonce du bureau de la LFP se montrant favorable à un tarif unique pour les supporters visiteurs (10€ en L1 / 5€ en L2), qui laisse penser que le travail abattu en ce sens porte ses fruits. Mais, en attente de la validation officielle de ce tarif, il faut toutefois mesurer ces « acquis » à la lumière de ces vingt dernières années où les supporters ont vu le cadre légal de leur passion être furieusement réduit. L’idée que les stades de football seraient des « laboratoires de la répression » est d’ailleurs aujourd’hui couramment reprise.

L’échec de la stratégie du dialogue

Banderole des Green Angels 92 adressée au préfet de la Loire Evence Richard, à l’occasion de Saint-Etienne-Nîmes, rencontre décalée, officiellement pour cause de manifestation des Gilets Jaunes, et interdite aux Nîmois. (01/04/2019).

Au moment de refermer le rideau sur cette saison 2018/19, l’ANS défend son bilan et pointe la responsabilité des préfets « fossoyeurs au niveau local » de ce dialogue mené au niveau national. Ceci dit, les préfets n’agissent pas en “loups solitaires” et obéissent à une ligne directrice fixée par le Ministère de l’Intérieur. Malgré ce contexte de mépris ouvert et de criminalisation permanente, que ce soit de la part les préfectures ou de la part de la commission de discipline de la LFP, les supporters ont toujours cherché à maintenir le dialogue. En France, la philosophie des autorités, tant en matière de maintien de l’ordre que de gestion des supporters, reste de privilégier la répression brute à la “prévention”. Cette saison, malgré les limites de cette approche, les préfets ont gardé ce cap. Et à plusieurs reprises des supporters sont parvenus à braver l’interdiction, comme récemment les Marseillais à Toulouse, ou encore ont organisé des parcages sauvages pour démontrer la stupidité de ces arrêtés préfectoraux.

Dans le contexte actuel d’état policier, où le gouvernement cherche à asseoir son autorité à tout prix, la stratégie du dialogue n’est-elle pas vouée à l’échec ? Les préfectures ne semblent pour le moment pas réceptives aux efforts fournis par l’ANS dans cette direction. L’ANS, qui déplore ce manque de dialogue avec les préfets, mise beaucoup sur la création des postes de référents-supporters au sein des clubs, pour que les autorités se détendent un peu. Le référent-supporters – poste nouvellement créé sur le modèle des Supporters Liaison Officer (SLO) – aura justement pour rôle d’assurer la liaison et de huiler le dialogue entre les différentes parties. Introduit dans la loi Larrivé de 2016 dite de « renforcement du dialogue et de la lutte contre le hooliganisme », à l’initiative de l’ANS, ce poste de référent-supporters a été mis en place dans 18 clubs de L1 sur 20.

Si l’introduction de ces SLO dans le football français semble unanimement saluée, il est trop tôt pour tirer un premier bilan de leur impact. Cependant, on peut toujours questionner le sens “pacificateur” que revêt cette fonction de médiateurs et se demander qui, au final, tirera les marrons du feu. Car s’il y a bien une chose qu’on peut retenir des syndicats, et de leur dogme du “dialogue social”, c’est que dialoguer avec les autorités n’a jamais garanti qu’elles écoutent.

Édito n°5

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