La fin d’Ouled el-Bahdja va laisser un vide dans le virage

Le mythique groupe de supporters de l’USMA a annoncé, après “une profonde réflexion de plusieurs mois”, mettre un terme définitif à son activité. Une page de onze années de ferveur en tribune se tourne. La plupart des gens ont découvert Ouled el-Bahdja avec son chant La Casa d’El Mouradia, devenu un des hymnes des manifestations de 2019.

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C’est sans doute une des décisions les plus déchirantes à prendre pour des supporters actifs: acter la fin d’un groupe. Mais c’est généralement le résultat d’une analyse mûrie. Les prochains matchs de l’Union Sportive de la Médina d’Alger – l’USMA en plus court – sonneront certainement un peu creux, notamment le bouillant derby face au Mouloudia, au Stade Dar El Beïda. La fin de nombreuses années de dévouement et de sacrifices pour porter haut l’étendard usmiste dans tous les stades du pays.

Par un communiqué publié le 14 décembre dernier sur la page officielle du groupe sur Facebook, le noyau dur d’Ouled el-Bahdja – littéralement “Les Fils de la Radieuse” – a expliqué les raisons de sa décision d’arrêter ses activités. « Nous ne sommes plus en mesure de servir notre équipe comme nous l’avons servi auparavant, sans parler des nombreux problèmes et du harcèlement subi par les membres du groupe », indique notamment Ouled el-Bahdja. La répression qui a visé plusieurs de ses membres a également pesé dans la balance.

Le rôle important joué lors du Hirak en 2019

Fruit d’une fusion de trois groupes qui animaient le virage du Stade Omar-Hamadi, dont le Kop United (né en 2008), Ouled el-Bahdja a vu officiellement le jour en 2011. En dépit d’une certaine influence italienne dans les tribunes algériennes et de l’essor de la sous-culture ultra au Maghreb, Ouled el-Bahdja ne s’est jamais défini comme tel. Le groupe cultive son authenticité “en revendiquant haut et fort le terme viragiste, à connotation algéroise“, expliquait ainsi Yacine – l’un des leaders et fondateurs du groupe – dans un entretien réalisé pour le fanzine des ultras du Red Star en mars 2021.

Le grand public venait de découvrir le groupe grâce à ses chants, notamment “La Casa del Mouradia“. Ce chant de tribune à forte connotation politique est devenu l’hymne des manifestations du Hirak de 2019, vaste mouvement protestant contre le cinquième mandat présidentiel brigué par Abdelaziz Bouteflika. D’autres attendront la version reprise avec Soolking du morceau “Ultima verba”, qui donnera le tube “Liberté”. Ouled el-Bahdja connaît une notoriété soudaine, hors des stades et même hors d’Algérie.

Le monde prend conscience du rôle joué par les tribunes algériennes dans les mobilisations. Pour reprendre les mots de “Ribelli”, usmiste de longue date, “c’est simple, le stade est le seul endroit où la jeunesse peut exprimer sa colère face à tous les problèmes sociaux ici: chômage, drogue, prison… Beaucoup de tribunes ont des chants contre l’État.” Ce rôle de porte-parole est aussi mis en avant par Yacine pour qui “le Ouled el-Bahdja et les supporters usmistes sont à l’avant-garde de tous les combats politico-sociaux“.

En première ligne contre l’État et les dirigeants

Cette portée sociale des chansons du groupe – comme “Babour ellouh” qui parle des harragas, ces jeunes qui tentent de gagner clandestinement l’Europe – doit beaucoup à la création du groupe Milano en 1993. Ça a permis d’ouvrir la porte à la critique radicale et irrévérencieuse du régime, et du système algérien dans son ensemble, d’avoir une tribune pour s’exprimer quand dans le reste de la société c’était totalement impossible.

Parfois accusé au cours de son histoire d’une certaine connivence avec la direction du club, notamment au début de la présidence d’Ali Haddad (qui tentera “d’infecter le groupe à ses débuts“), la suite de l’histoire montre qu’Ouled el-Bahdja n’a pas hésité à s’opposer à l’homme d’affaire, actionnaire majoritaire de l’USMA. Notamment lorsque ce dernier s’est, sur fond de projet de construction de l’autoroute traversant le pays d’est en ouest, retrouvé pris dans un scandale de corruption en 2015, année où le club échoue en finale de la Ligue des Champions africaine.

Pour montrer son opposition à Haddad, “qui faisait partie des oligarques qui pillent le pays“, Ouled el-Badhja déployait un tifo clamant “L’USMA c’est nous!” pour célébrer le titre de champion d’Algérie lors de la saison 2015/16. Dans une interview accordée à Mickaël Correia pour Médiapart, le groupe rappelle aussi le couplet d’un de ses chants qui cible explicitement Ali Haddad: “Le temps nous appartient. L’État chutera avec ceux qui ont construit l’autoroute“.

“Conservateurs” d’une Histoire

Cet engagement, Ouled el-Bahdja le puise directement dans l’ADN de l’USMA. Le club fondé en 1935 compte de nombreux martyrs de la guerre d’indépendance et l’essentiel de l’état-major de la Bataille d’Alger y était lié. “L’esprit de rébellion nous a été transmis par nos pères fondateurs qui ont créé l’USMA pour un but bien plus grand que la compétition et le foot. Le club servait de couverture au Front de Libération Nationale basée à Alger. […] Yacef Saâdi, Zoubir Bouadjadj et Omar Hamadi sont les emblèmes de notre histoire et les guides spirituels de notre groupe à cause de leur parcours durant la révolution et leur amour du club.”

A la mort de Yacef Saâdi, Ouled el-Badhja lui a rendu hommage par un grand tifo. Cet attachement à l’Histoire et aux valeurs de la révolution, et leur traduction en tribune, se retrouvent dans l’expression de “Virage conservateur” par laquelle le groupe se définit. Les  garants, quelque part, d’une histoire commencée bien avant, et qui perdurera bien après. Dans son communiqué, le groupe ne souhaite pas autre chose qu’une pleine réussite à tous les usmistes passionnés appelés à occuper, après eux, la place de viragistes désormais vacante.

 

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