Une fois n’est pas coutume, nous relayons un bout de texte issu d’un travail universitaire. En 2015, Denis Iglésias Llamas a publié son mémoire intitulé « Les clubs d’initiative populaire en Espagne, une alternative émergente aux S.A.D ». Ce qui suit en est l’introduction, dont nous avons bricolé une traduction en français, complétée de quelques notes. L’intérêt est d’abord d’exposer les contours d’une pratique en plein développement, dans le double contexte de la crise économique et du football marchand. Beaucoup des clubs évoqués plus bas sont nés sur les ruines du club phare de la ville après une faillite ou de grosses difficultés financières. A suivre…
Le sport espagnol, et le football en particulier, n’a pas été épargné par la crise économique. Les clubs de Liga ont une dette de plus de 500 millions d’euros auprès du Fisc1.
Cela malgré une augmentation de 6.1% de leurs revenus ces cinq dernières années. Cette situation connaît d’autres cas ailleurs en Europe. Les exemples revenant régulièrement sont ceux du club anglais de Wolverhampton Wanderers, en faillite deux fois en moins de quatre ans; ou celui du club allemand du Borussia Dortmund, secouru par la Bayern Munich il y a 10 ans.
En Espagne, en 1990, la célèbre Loi sur le Sport fut mise sur pied. De là naquirent les Sociétés Anonymes Sportives (S.A.D.), variantes des Sociétés Anonymes (S.A.), typiques du droit de l’entreprise classique. La Loi 10/1990, qui entra en vigueur à partir de 1992, rendait obligatoire ce statut juridique qui garantissait en théorie un meilleur fonctionnement futur aux clubs endettés, permettant dans le même temps aux clubs sains financièrement de pouvoir continuer sous la forme juridique associative des clubs sportifs (comme l’Athletic Bilbao, le FC Barcelone, le Real Madrid et Osasuna).
Après 15 années de la dite loi, les clubs se sont enferrés dans une spirale de dépenses, parfois incontrôlées, qui leur ont coûté leur place en Liga et dans certains cas, qui ont provoqué leur disparition. Seul le Valencia C.F fut capable de se maintenir dans l’élite du football espagnol durant toutes ces années. Des clubs historiques du football espagnol comme Salamanque, Ourense, Mérida ou Logroñes ont disparu en chemin, tandis qu’une équipe comme le Real Oviedo est resté dans les tréfonds de la Segunda B.
Ces dernières saisons en Europe, sont apparus des clubs appelés « d’initiative populaire ». Il s’agit de clubs qui favorisent le contrôle des équipes par les socios, loin des grands investisseurs ou des créanciers. A cela, il faut ajouter la naissance de nombreux collectifs de petits actionnaires et socios au sein des S.A.D qui se coordonnent au sein d’une fédération, la F.A.S.F.E2.
Les premiers exemples de ce football populaire sont apparus en Angleterre avec l’équipe phénix de l’AFC Wimbledon3 en 2002 et qui aujourd’hui évolue en quatrième division professionnelle anglaise, la League Two. En 2005, un groupe de supporters fonda le FC United of Manchester, une équipe alternative née dans l’opposition au rachat de Manchester United par le milliardaire Malcolm Glazer. En 2007, sur le même modèle, des supporters de l’Atlético de Madrid créèrent l‘Atlético Club de Socios.
Il s’agit de la première pierre du football « d’initiative populaire » en Espagne, un modèle de gestion adopté par une dizaine d’équipe à l’heure actuelle, ce qui fait de l’Espagne un des pays les plus prolifiques en la matière. Tous ces clubs ont en commun que leur mode prise de décisions : ce qui régit l’avenir du club se décide via un vote direct de l’ensemble des socios. Ils misent sur la propriété collective et se déclarent opposés au football marchand. Dans le même temps, au sein des S.A.D., les groupes de petits actionnaires constituent un contrepoids à l’entrée de grands investisseurs. La mobilisation, de la même manière que pour les problèmes socio-économiques, n’est pas passée au travers du sport-roi.
Sur le plan sportif, des clubs d’initiative populaire comme la SD Logroñes ont atteint la Segunda B, antichambre du football professionnel. Le UC Ceares4 participa en 2014 aux play-off d’accession à cette troisième division pour la première fois de son histoire. Le Xerez Deportivo FC compte plus de 4000 socios alors qu’il doit lutter avec le Xerez Club Deportivo S.A.D. Dans leur ville, ces équipes sont leaders en matière de popularité malgré le fait de devoir partir de zéro. Cette situation les a mené à occuper une grande place dans l’actualité sportive locale, orpheline depuis les faillites de clubs comme le CD Logroñes5 ou l’UD Salamanca6, deux des clubs dont sont issues les nouvelles entités. Des médias comme Wanderers se sont même créés, exclusivement destinés à la diffusion de l’actualité de ces clubs populaires. Mais jusqu’à ce jour, aucun média d’envergure nationale n’a encore traité la complexité du football populaire, à la différence de ce qui se passe en Angleterre, où des équipes comme le FC United ont fait leur trou dans le traitement médiatique de l’actualité du football.
La majeure partie des projets naissent comme une réponse à la disparition de clubs ayant compté dans le football espagnol. Ils bénéficient d’un grand soutien populaire loin de l’anonymat habituel d’autres équipes naissantes. Le football populaire compte percer dans le panorama sportif à moyen terme.
Notes:
1 Un rapport rendu public en septembre 2015 mentionnait que la dette des clubs envers le Fisc était passée de 650 millions d’euros en 2013 à 317 millions en 2015. 2 Federación de Aficionados y Socios del Fútbol Español. 3 L’AFC Wimbledon est né suite au « déménagement » du FC Wimbledon, club londonien, à Milton Keynes, soit à 90 km de son quartier d’origine. Face aux difficultés économiques du club, les dirigeants du club finissent, au début des années 2000, par répondre favorablement aux sollicitations répétées de la ville de Milton Keynes d’héberger le F.C Wimbledon. Alors qu’un air de franchise flotte au-dessus du club, un grand nombre de supporters des Dons ne l’entendent pas de cette oreille et ne se rangeront jamais derrière cette transformation. A compter de 2004 le F.C Wimbledon devient ainsi le Milton Keynes Dons F.C. En 2002, près d’un millier de supporters avaient auparavant créé l’AFC Wimbledon (A Fan’s Club) sur le modèle coopératif défendu et porté par l’association « Supporters Direct » œuvrant au développement de ce modèle dans le football britannique. 4 Club d’un quartier de Gijón, fondé en 1946, l’U.C Ceares est dirigé la saison 2011/2012 par un groupe de socios, appuyé par d’anciens joueurs du club. Depuis, le club affiche clairement son opposition au football-marchand, et fonctionne sur le mode participatif et assembléiste. 5 Le Club Deportivo Logroñes, de La Rioja, a déposé le bilan en 2009. De la fin des années 80 à la fin des années 90, le club prit part à neuf saisons de Liga. Le club ne payant plus les salaires des joueurs ne finit pas la saison 2008/2009. Il renaît néanmoins au bénéfice de la montée en 3e division du CD Varea, dont les socios accepte après son rachat par un entrepreneur, la transformation en U.D. Logroñes. Ce qui permet à La Rioja de conserver un club à ce niveau. En parallèle, dès janvier 2009, des socios regroupés sous l’étiquette « Club Puerta Cero » (du nom de la porte du stade menant à leur tribune), décident de mettre sur pied un club prenant la suite du C.D Logroñes, qui s’appellera la S.D. Logroñes. Aujourd’hui, l’U.D et la S.D. se partagent le Stade Las Gaunas dans lequel évoluait le club historique de la ville, respectivement en 3e et en 4e division. 6 A la fin de la saison 2012/2013, alors en 3e division, l’U.D. Salamanca est en liquidation judiciaire en raison de ses dettes impayées. Le club se refonde alors autour de son ex club filiale, le C.F Salmanino, alors que plusieurs membres des groupes de supporters décident de créer un club reposant sur l’actionnariat populaire: le Unionistas de Salamanca qui évolue en ligue régionale, mais qui compte près de 2500 socios, ce qui en fait le club le plus populaire de la ville.
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