“No Pay, no Play”: la grève des footballeuses jamaïcaines en septembre 2019

Les Reggae Girlz posent avec leur "bienfaitrice" Cedella Marley (©AFP)

Devenue en octobre 2018 la première nation caribéenne à se qualifier pour une phase finale de Coupe du Monde féminine, la Jamaïque a mis un certain temps à reconnaître l’exploit réalisé par celles qu’on surnomme les Reggae Girlz. Retour sur une grève qui a payé.

Faire reconnaître que, à partir d’un certain niveau, jouer au football s’apparente à un travail qui mérite salaire, voilà déjà un combat en soi que de nombreuses footballeuses sur la planète n’ont pas encore gagné. Concernant la situation des internationales jamaïcaines qualifiées pour le Coupe du Monde féminine 2019 – organisée en France – il ne s’agit même pas de ça, juste de faire respecter la promesse des instances fédérales: une prime de 120 000 dollars qui devait être versée sous la forme de mensualités. Mais pas le moindre centime n’arrive sur les comptes des joueuses concernées qui vont laisser passer l’été avant de hausser le ton.

Selon la gardienne de but Nicole McClure, qui accuse à mi-mots la Fédération (JFF) de détournement d’argent, le contrat avait été signé un mois avant le début de la Coupe du Monde et comprenait le paiement rétroactif des mensualités remontant à janvier 2019, puis le paiement des suivantes échelonnées jusqu’en août 2019. Les paiements étaient prévus le 14 de chaque mois. De l’argent censé permettre aux joueuses de vivre comme des professionnelles, avec du temps pour s’entraîner au lieu de prendre un deuxième, voire un troisième job. “Personnellement, je ne suis pas payé par mon club“, déclare alors McClure au média ThinkProgress. “Je misais sur l’allocation mensuelle. Les footballeuses sont loin d’être payées suffisamment pour survivre par leurs propres moyens. En moyenne, nous sommes même moins bien payées que le joueur le moins payé de l’équipe masculine.

“Il est temps de prendre position”

Quatre mois après la signature de ce contrat, au début du mois de septembre 2019, la patience des internationales jamaïcaines atteint ses limites. Face au mépris des instances, elles jettent un pavé dans la mare en annonçant qu’elle ne porteraient plus le maillot de la sélection tant que la JFF ne leur aura pas versé les sommes qui leur avaient été promises. Une grève en bonne et due forme. “Nous sommes prêtes à faire ce sacrifice“, assure Nicole McClure. “La culture de cette organisation est corrompue depuis des années maintenant. Nous en avons assez qu’on profite de nous.”

Visuel repris par de nombreuses internationales jamaïcaines pour lancer leur mouvement de grève

Les slogans “Pay our Reggae Girlz” et “No Pay, No Play” se répandent alors comme une trainée de poudre sur les réseaux sociaux via les comptes des stars de l’équipe: Khadija Shaw, Toriana Patterson, Havana Solaun, Lauren Silver ou encore Allyson Swaby. “Nous avons signé des contrats et nous n’avons toujours pas été payées“, alertent alors les Reggae Girlz. Mais toutes s’accordent pour dire que leur mouvement va bien au-delà du simple fait d’être payées et qu’il s’agit d’une action aussi tournée vers les générations futures de filles qui vont s’inscrire dans leurs pas. “Les heures de dur labeur et de dévouement de cette équipe n’ont pas de valeur monétaire. Il s’agit de bien plus que d’argent. Le football féminin a été relégué au second plan pendant trop longtemps. Il est temps de prendre position.”

Seule la lutte paie

Face à cette situation de blocage inédite, et alors que le tournoi de qualification pour les Jeux olympiques doit débuter dans quelques semaines, le président de la JFF Michael Ricketts soutient que la situation est en train de se régler et que ce n’est qu’une question de jour. Mais il ne s’agit que d’un versement partiel. La JFF prétend que si elle n’a pas payées les joueuses jusqu’ici c’est uniquement parce qu’elle n’avait pas encore perçu l’argent de la FIFA pour sa participation à la Coupe du monde féminine. Les sommes manquantes seront versées quand cet argent sera arrivé, promet la Fédération. Ce à quoi Nicole McClure répond qu’il n’a jamais été question de conditionner le versement des mensualités à l’argent de la FIFA.

Le 17 octobre 2018, en battant le Panama, les Jamaïcaines se qualifient pour leur première Coupe du Monde. (©AP /Richard W.)

Ce n’est pas suffisant pour les joueuses qui ont décidé de se constituer en “syndicat” pour mieux faire valoir leurs droits et défendre collectivement leurs intérêts. Plus largement, la grève des Reggae Girlz défend l’honneur du football féminin. Pour rappel, après avoir échoué à se qualifier pour les JO de Pékin en 2008, la JFF n’avait pas hésité à dissoudre son équipe féminine. Il avait alors fallu attendre 2014 et l’intervention de Cedella Marley – fille du mythique Bob – devenue la bienfaitrice de l’équipe, pour la voir être remise sur pied. Produits dérivés, musique, Cedella Marley se démène avec certains de ses frères pour récolter des fonds pour soutenir cette équipe délaissée par sa Fédération.

Le football féminin jamaïcain, qui navigue au-delà du 50e rang du classement FIFA, revient de loin. Et son combat pour être respecté n’est pas fini, en témoigne les collectes organisées par les joueuses mondialistes pour financer une partie de leur voyage en France. Mais leur grève a secoué le cocotier fédéral comme il ne l’avait jamais été jusque là. Quinze jours plus tard, la fédération annonçait avoir versé l’intégralité des sommes dues aux joueuses. Seule la lutte paie.

 

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