Un passionné, un libertaire, peut-être trop pour un monde du calcio aux codes verrouillés et aux dérives mafieuses. Son tord: avoir été un footballeur d’extrême-gauche pendant les dites “années de plomb”. Et une langue bien pendue qui lui a coûté sa carrière, les blessures ayant fait le reste.
Parler de Maurizio Montesi c’est un peu mener une lutte contre l’oubli. Pas celui banal qu’on doit au temps qui passe, mais celui voulu, orchestré comme une punition ou une sentence. Une sorte de damnatio memoriae appliquée à l’histoire du football. Officiellement retiré des terrains professionnels à l’âge de 26 ans, Montesi a traversé le football italien comme une étoile filante. Devenant, à l’instar d’un Paolo Sollier, plus célèbre pour ses positions politiques que pour son jeu.
Pourtant, Maurizio Montesi fait partie des rares espoirs de la Lazio issus de la génération dorée qui a remporté le championnat Primavera de la saison 75/76, à avoir pu évoluer en Serie A sous les couleurs de leur club formateur. Ses collègues de fortune se nomment alors Bruno Giordano et Lionello Manfredonia. Milieu de terrain combatif, Montesi n’a pourtant pas un physique de guerrier (1m70 et 67kg), mais il compense avec une endurance à toute épreuve. Montesi et ses trois poumons convaincront Bob Lovati, coach de l’équipe une de la Lazio, de faire appel à lui après son prêt à Avellino où il s’est fait les dents, sur le terrain comme en dehors.
“Hasta Montesi Siempre”
Arrivé pour la saison 77/78, Maurizio Montesi a été un des protagonistes de la montée des Irpini en Serie A. La saison suivante, il découvre le plus haut niveau du football italien, toujours sous les couleurs d’Avellino. Mais il n’est pas réellement apprécié du côté de cette petite ville de Campanie. Sa proximité avec la gauche extra-parlementaire, illustrée par son interview donnée en décembre 1978 à Lotta Continua (journal de l’organisation révolutionnaire du même nom – fer de lance du courant opéraïste – dissoute en 1976, mais qui continue de paraître), y est pour beaucoup.
À travers cette interview croisée avec avec les joueurs de l’équipe de Pérouse, Michele Nappi et Luciano Zecchini, Lotta Continua s’intéresse à la condition de footballeur professionnel. Le jeune Maurizio Montesi (21 ans), qui n’a jamais renié ses racines prolétaires, profite de la tribune pour y attaquer frontalement les dirigeants d’Avellino qu’il accuse d’être de mèche avec la Camorra napolitaine. Sans ménagement, les tifosi locaux en prennent aussi pour leur grade, traités de “connards” pour laisser faire tout cela et pour plus se préoccuper de l’agrandissement du stade de cette commune pauvre de l’Italie méridionale que de la vétusté de l’hôpital «qui manque de lits et est infesté de cafards».
En représailles, le club l’a suspendu. Même si la fracture avec la tifoserie semblait nette, quelques supporters ont malgré tout protesté contre cette mise à pied, jusque dans les tribunes du Stadio Partenio où une banderole rouge portant l’inscription “Hasta Montesi Siempre” a été accrochée en dépit des nombreuses protestations. Pour la petite histoire, il se raconte que si elle n’a pas été retirée, c’est parce que certains y auraient lu “Basta”.
Montesi et la Lazio, union impossible
Son retour à la Lazio pour la saison 79/80 tombe à point nommé. Mais le mariage entre Montesi et les Biancocelesti est loin d’être évident, pour ne pas dire perdu d’avance. Le milieu de terrain, rebelle social, contraste en tous points avec ce club souvent assimilé à la droite romaine, et dont une partie des tribunes est acquise au néo-fascisme. Même s’il fait tâche dans l’histoire de ce club où on préfère honorer les Di Canio, il n’a pas complètement été rayé de la mémoire collective. On n’y trouvera pas d’éloges, mais plutôt des portraits qui le croquent en sympathisant brigadiste comme dans ces lignes de Stefano Greco: « Avec cette moustache noire, ses cheveux longs et perpétuellement ébouriffés, même sans manteau Eskimo sur le dos et sans le Lotta Continua dans la poche, Montesi ressemble plus à un terroriste qu’à un joueur de football.» Un beau costard taillé sur mesure pour le camarade Montesi, mais qui résume assez bien son incompatibilité avec la communauté laziale.
Il ne serait toutefois pas juste de résumer le désamour qui va croître avec la Lazio à cette seule question politique. Son club formateur va vite s’avérer être une terre hostile. Pourtant, quand le tifoso Vincenzo Paparelli meurt juste avant le derby face à la Roma après avoir reçu une fusée de détresse dans l’œil, il est un des seuls joueurs à vouloir ne pas jouer le match comme le demandent les supporters. Ce 28 octobre 1979, il ne se résoudra à jouer que sous la pression de ses coéquipiers qui l’auraient convaincu de la faible portée de son geste isolé. Comme un acte manqué, il ne terminera pas le match, expulsé à la 82e minute en même temps que Mauro Amenta avec qui il s’est accroché.
Quelques jours après le drame du derby, Maurizio Montesi donne une interview au magazine Panorama. L’occasion de comprendre qu’il ne s’exprime jamais pour rien dans la presse. Après Lotta Continua, il lâche nouvelle bombe. Il dévoile la relation clientéliste – encore méconnue à l’époque – qu’entretiennent les clubs avec certains groupes ultra: billets gratuits, financement des déplacements ou du matériel, quand un des fondements du mouvement est justement l’indépendance. Il cible directement les dirigeants et la classe politique, coupables à ses yeux d’avoir dénaturé et corrompu ce sport populaire pour en faire une machine à profits.
“Lanceur d’alerte” avant l’heure
Ce qui relie encore Montesi au football est en train de craquer. Malgré l’amour qu’il a pour le jeu, la fin de sa carrière est proche. C’est une fracture qui va précipiter les choses le 24 février 1980 au Stadio Sant’Elia de Cagliari où un certain Bellini s’occupera en même temps de son tibia et de son péroné. Sorti sur civière à la 18e minute, Maurizio Montesi fait quasiment ses adieux au monde impitoyable du football professionnel. Lors de la saison 1980-81, Montesi n’a jamais mis les pieds sur le terrain. Il ne fait sont retour que la saison suivante, à la 32e journée lors d’un déplacement à Pescara. Il ne fera que quatre petites apparitions, puis sept lors de la saison 82/83. Le 27 février 1983 face à Sambenedettese au Stadio Olimpico, Maurizio entre à la 65e minute à la place de Vincenzo D’Amico, mais il doit quitter ses partenaires sur blessure à la 82e. La faute à un tibia toujours fragile. Ce sont les 17 dernières minutes d’une carrière que d’aucuns jugeront chaotique. Une saison à l’issue de laquelle la Lazio remontera en Serie A. Le club évolue en effet en Serie B, rétrogradé suite au Totonero, le scandale des matchs arrangés qui a éclaté en mars 1980 par la voix de… Maurizio Montesi.
Ce qui serait aujourd’hui érigé comme un devoir de “lanceur d’alerte” ne lui a valu en son temps qu’ostracisation. Difficile de déterminer si c’est animé par la rancœur ou par une haute estime de la justice qu’il a fait éclater au grand jour les agissements en coulisses de certains de ses partenaires pour arranger les matchs. Ses copains des espoirs, Bruno Giordano et Lionello Manfredonia, mais aussi le capitaine Pino Wilson, seront attrapés par la patrouille de ce qui est connu comme le premier gros scandale du calcio. Sur son lit d’hôpital, snobé par ses partenaires qui ne lui rendent aucune visite, Maurizio Montesi va se livrer auprès d’un journaliste de La Repubblica.
Il raconte alors les méthodes de truquage des matchs, comme celle dans laquelle a cherché à l’amener Pino Wilson, début janvier 1980, avant un match face au Milan AC. Les seules bombes que pose celui qu’on accuse d’être un ami des terroristes d’extrême-gauche sont médiatiques, mais elles font aussi quelques dégâts: relégations en Serie B du Milan AC et de la Lazio, mais aussi plusieurs années de suspension pour certains de ses partenaires: Massimo Cacciatori (5 ans), Pino Wilson (3 ans), Bruno Giordano (3 ans 1/2), Lionello Manfredonia (3 ans 1/2). Au tableau des joueurs sanctionnés, Maurizio Montesi apparaît avec une peine de 4 mois de suspension, infligée pour ne pas avoir dénoncé les faits sur le moment.
Sur les traces de Montesi
La suite ressemble à un chemin de croix. Les tifosi le rendent responsable de la relégation du club et des suspensions de ses joueurs phares. Ils comptent bien lui faire vivre un calvaire. Montesi ne quitte pas le club. Pour aller où? Comme gauchiste et empêcheur de truquer en rond, il est blacklisté. Alors qu’en ville il ne se promène plus qu’escorté de camarades qui assurent sa sécurité, sur le terrain il essuie des pluies d’insultes. Les fans de la Lazio l’affublent du sobriquet d’espion communiste.
Sa carrière finie dans un relatif anonymat, Maurizio va refaire parler de lui passant de la rubrique sportive à celle des faits divers. Arrêté une première fois en 84 à Londres pour possession de drogue, il se retrouve au cœur d’une affaire d’une toute autre envergure en juin 92, lors de la découverte de 3,5 tonnes de résine de cannabis cachées dans une épave au large des côtes de Fiumicino. Maurizio Montesi est condamné à quatre ans de prison pour trafic international de drogue. Une fois sa peine purgée, il a complètement disparu des radars. Certains le disent en France, d’autres en Inde. Tous les fantasmes sont permis. Peu importe, c’est une retraite bien méritée pour le compagno Montesi.
Merci de nous faire partager la mémoire importante d’un joueur qui représente ce que notre sport préféré peut apporter à la société : un sens de la cohésion et de la rébellion tout à la fois.