Alors jeune pro au Bayern Munich, Paul Breitner se disait maoïste. En pleine Guerre Froide, ses déclarations alimentaient les fantasmes journalistiques. Si se dire maoïste dans les années 70 n’était pas si rare au sein de la jeunesse étudiante, chez les footballeurs ça n’était pas banal. Mais chez le provocant Paul Breitner, qu’est-ce que ça pouvait bien vouloir dire ?
Le contexte social des années 60 en Europe est marqué par de nombreuses manifestations, notamment contre la guerre impérialiste au Vietnam. Coupée en deux, l’Allemagne est au cœur de l’affrontement que se livrent l’URSS et les États-Unis. Avec son Mur, érigé en 61, Berlin devient symbolique de la Guerre Froide et de la lutte anticommuniste mondiale menée par les États-Unis et leurs alliés.
Né en 1951, Paul Breitner grandit en Bavière et, comme de nombreux jeunes ouest-allemands, dans le rejet des valeurs conservatrices et petites-bourgeoises de leurs parents issus de cette “première génération” portant encore sur elle la honte du nazisme et de ses crimes. Beaucoup ont plus ou moins passivement participé au régime hitlérien. Il n’est pas rare de voir d’anciens membres de l’appareil national-socialiste encore occuper des fonctions stratégiques, dans l’administration ou dans la justice.
D’un autre côté, l’activisme de la gauche extra-parlementaire est incessant. Comme en France ou en Italie, la jeunesse étudiante et ouvrière est en ébullition. A 16 ans, marqué par la mort de Che Guevara, Paul Breitner commence à s’intéresser à la politique. L’actualité est aussi agitée par la mort de Benno Ohnesorg, tombé sous les balles de la police lors de la manifestation du 2 juin 1967 contre la venue du Shah d’Iran à Berlin-Ouest, ou encore par l’attentat contre le militant d’extrême-gauche Rudy Dutsckhe. Et la Roten Armee Fraktion de Baader et Meinhof allait bientôt naître dans la clandestinité.
La pépinière alternative qu’est Berlin-Ouest est symbolisée par le quartier Kreuzberg SO 36 où se développe un certain nombre de squats et d’expérimentations militantes. La ville, seul endroit de RFA où le service militaire n’est pas obligatoire, devient le paradis de tous ceux qui cherchent à l’esquiver, et qu’on appelle les Querdenker. A Munich, Paul Breitner aurait bien aimé y couper aussi. La légende dit même qu’il dut se plier à ses obligations militaires sous la menace de se faire arrêter. Il adoptera d’ailleurs longtemps cette tignasse caractéristique, et pas vraiment disciplinaire, lui valant au passage d’être surnommé “Der Afro”.
Mao et Moi
Paul Breitner n’a jamais vraiment été militant, mais il n’a pas hésité à se déclarer marxiste et maoïste. A l’université, peu de temps avant de rejoindre le Bayern Munich où le coach Udo Lattek le fait venir en 1970, il découvre pour de vrai le Petit Livre Rouge et les mobilisations. « J’étais jeune, intéressé par la politique comme mes camarades de l’université et chaud bouillant, raconte-t-il […] Ceux qui m’ont critiqué ne savent rien du socialisme. Quand je suis venu au Bayern pour signer mon premier contrat professionnel, poursuit-t-il, ma priorité était de gagner de l’argent pour financer mes études, pas de m’en mettre plein les poches. »
Dans le monde du football, ceux qui mettent en avant leurs idées politiques – qui plus est quand elles remettent en cause le capitalisme – ne sont pas légion. Citons quand même Ewald Lienen de l’Arminia Bielefeld qui est aussi, à cette époque-là, connu pour ses convictions pacifistes et d’extrême-gauche, qu’il défend toujours aujourd’hui. Paul Breitner ne compte pas se faire discret pour autant. Il ne garde pas sa langue dans sa poche, et ça n’affecte en rien sa carrière. Au contraire, à 23 ans il devient même une star incontournable de la Nationalmannschaaft.
On a parfois tendance à résumer les idées politiques de Paul Breitner à quelques punchlines ou à ces photos prises dans son salon sous un énorme portrait de Mao Tsé-Toung. Il développe très vite un goût prononcé pour la mise en scène et un l’art de s’amuser avec les médias. Un savant mélange de provocation et de sincérité. Aux questions parfois stupides des journalistes, le joueur rentrait les deux pieds dedans. « Qui admirez-vous le plus? Mao! Que lisez-vous en ce moment? Marx! Quel est votre plus grand souhait? La défaite des Américains au Vietnam! » A vrai dire, les journalistes n’ont pas l’air de prendre le jeune homme très au sérieux. Mais, quoiqu’un peu surjoué, son rejet du colonialisme et de l’impérialisme était bien réel.
Bien plus tard, il évoquait ces fameuses réponses. « A 19 ans, j’ai participé à mon premier match international avec la sélection allemande. On m’a demandé ce qui m’intéressait dans la vie. J’ai répondu que j’étudiais la psychologie et la philosophie, que je lisais Lénine, Adenauer, De Gaulle, et pas de problème. Mais quand j’ai dit pour la première fois que j’étais intéressé par ce que faisaient le Che ou Mao en Chine, les gens ont commencé à raconter que j’étais maoïste. »
« Kaiser Rouge »
Étonnamment, la presse n’en fait pas un épouvantail. Même si, à son retour au Bayern en 1978, les journalistes semblent s’inquiéter de sa possible influence « rouge » sur le club. Celui qu’on surnomma aussi « le Kaiser Rouge », antithèse de Beckenbauer, l’autre « Kaiser », a même été élevé par le New-York Times au rang de « nouvel héros de la contre-culture ouest-allemande ». C’est vrai aussi qu’il n’était pas à une contradiction près. Oui il aime citer Karl Marx ou Lénine, mais ce drôle de maoïste aime aussi le fric, les Maserati et fumer un gros cigare de patron. Ce qui a de quoi dérouter, comme lors de sa signature au Real Madrid, peu après avoir remporté la Coupe du Monde en 74 avec l’Allemagne, en marquant un but lors de la finale face aux Pays-Bas. Une sorte de rock star faisant des « écarts ». Un peu le flambeur qui enfile de temps à autre sa cape de pourfendeur du « business » en Bundesliga. « Quasiment tout tourne autour de l’argent. Il n’y a pas de place pour le socialisme. Je suis censé garder mes idées privées vis-à-vis du public, mais mes amis savent que je suis resté la même personne. »
En rejoignant le Real, Paul Breitner prend ses fans à contre-pied. « Un rêve » selon ses propres termes, mais un choix surprenant. La dictature franquiste n’est pas finie et le Real est un club qui lui est plutôt associé. D’autant qu’à la tête du club, depuis 1943, trône Santiago Bernabeu, un fidèle du régime fasciste, à l’égard de qui Breitner reste encore très élogieux aujourd’hui.
Cet exercice de contorsion politique ne lui a pas fait perdre le fil de ses convictions. Lors des grandes grèves ouvrières de la fin de l’année 1974 en Espagne, après avoir essayé en vain de mobiliser ses collègues, il fit un don de 500 millions de pesetas aux métallurgistes de l’usine Standard. Convoqué par la direction madrilène mécontente, alors que le droit de grève était encore illégal, il conclut par un lapidaire « Je fais ce que je veux de mon argent ».
Invariance
En conflit ouvert avec certains de ses partenaires et la Fédération, il quitte la sélection en 76. Plus tard, à l’approche du Mondial 78, il critique la participation de la sélection allemande à la compétition qui doit se dérouler dans l’Argentine du dictateur Videla. « La RFA est championne du monde en titre et ça nous confère des responsabilités particulières. La sélection ne doit pas se laisser instrumentaliser comme une marionnette, parce que les sportifs, même s’ils ont le sport pour unique occupation, ne doivent pas être des “eunuques politiques”. » Ce qui attisera le conflit larvé avec une partie de l’équipe, dont Berti Vogts. De retour au Mondial 82 en Espagne, il sera à nouveau buteur en finale. Une prouesse qu’il partage avec Vavá, Pelé et Zinédine Zidane.
Ses contradictions, Paul Breitner continuera à les cultiver après sa carrière, rappelant l’importance pour lui des citations du président Mao, tout en tournant dans des pubs pour une chaîne de fast-food ou en collaborant avec les médias bourgeois du groupe Springer. Elles illustrent finalement assez bien le personnage, aujourd’hui ambassadeur de la marque Bayern FC, décrit par certains comme un « rebelle à temps partiel ». Un ultime surnom qui lui va comme un gant.
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Source: “Paul Breitner, à demi Mao” | Les Cahiers d’Oncle Fredo
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