Qu’est-ce que la Cartão do Adepto contre laquelle luttent les supporters portugais?

Le retour des supporters dans les stades portugais se fait dans le double contexte des jauges sanitaires (fixées à 33% de la capacité des stades) et de la mise en place de la Carte du Supporter, obligatoire pour accéder à un secteur du stade réservé aux fans les plus actifs. L’Associação Portuguesa de Defesa do Adepto (APDA) mène la bataille.

Même après sa mise sur le côté en 2017, après des années de lutte des groupes ultras, la Tessera del tifoso italienne, et sa philosophie répressive, semble toujours faire des émules. C’est le cas avec la Cartão do Adepto au Portugal, instaurée pour ce début de saison. Cette Carte du Supporter, l’APDA la présente dans son Manifeste comme “l’outil le plus récent de la répression étatique contre les supporters, maquillée en mesure de sécurité“.

C’est une nouvelle fois sous couvert de lutter contre “la violence, le racisme, la xénophobie et l’intolérance dans le cadre de spectacles sportif” – comme le prétend dans son intitulé la Loi nº153/XIII qui instaure cette Cartão do Adepto – que les autorités mettent à l’amende les supporters. Mais les gouvernements en sont là, pour justifier leurs mesures contre le monde des tribunes, il faut lui prêter les pires maux de la société. Stratégie bien connue. Et ce ne sont pas les échecs des modèles du genre, notamment en Italie, qui ont retenu le gouvernement et les instances du football portugais.

Ficher et isoler pour mieux réprimer

La loi pondue par le gouvernement portugais s’inspire en effet de ces différentes expériences. “Il s’agit d’un concept importé, mais totalement dépassé, d’une demi-douzaine de pays européens. Mais ici, comme d’habitude, nous aimons être à la traîne de l’Europe, en suivant et en copiant des mesures qui ont déjà été abolies dans les quelques pays qui ont fait l’erreur de les adopter.” lit-on dans le Manifeste de l’APDA. “L’un des principaux responsables de cette mesure est le président de la Fédération portugaise de football, Fernando Gomes. Il avait déjà eu l’idée de suggérer une identification des fans en 2017.” explique João Lobo, vice-président de l’APDA, dans une interview donnée à Detras de la Porteria, fanzine madrilène de contre-culture ultra. Il évoque aussi l’influence de la Fan ID utilisée durant le Mondial de 2018 en Russie.

Les supporters qui voudront se procurer cette Carte, valable trois ans, devront s’acquitter de la somme de 20 euros et se faire connaître auprès de l’Autorité de Prévention et de Lutte contre la Violence dans le Sport (APCVD), organisme gouvernemental créé par décret en 2018, qui collectera un certain nombre d’infos personnelles: nom et prénom, adresse postale, pièce d’identité, date de naissance, numéro de téléphone, adresse mail etc. Interdite aux moins de 16 ans, cette Carte du Supporter est indispensable pour accéder à un secteur du stade séparé, appelé “Zone à condition spéciale d’accès”, seul endroit “où l’on sera autorisé à se tenir debout, à porter des drapeaux de plus de 1×1 mètre, à utiliser des tambours et des mégaphones, à accrocher des banderoles et réaliser des chorégraphies” explique João Lobo. “Elles ont été créées pour mettre les supporters appartenant à des groupes ultras en cage, mais pas seulement. La loi dit aussi que ce sera le seul espace du stade où les supporters pourront se tenir debout et animer.” Avec la Cartão do Adepto les autorités se dotent d’un outil qui va concrètement stigmatiser la partie le plus active des supporters en l’isolant du reste du public et en lui prêtant des intentions potentielles de désordre ou de violence. “Il met en pratique l’idée de séparation entre les ‘bons’ et les ‘mauvais’ supporters” appuie l’APDA.

Le choix de la bataille légale

L’Associação Portuguesa de Defesa do Adepto, apparue en 2014 dans le but de défendre les intérêts spécifiques des fans, est en première ligne de ce front contre la Cartão. “Nous avons commencé le combat fin 2018, un mois après la présentation de la proposition de loi contre la violence dans le sport, avec une manifestation devant l’Assemblée de la République, où il y avait une centaine de supporters de différents clubs.” raconte João Lobo. S’en est suivi à partir de 2019 un intense travail de sape auprès des députés et des divers représentants politiques en vue de geler l’application de la loi.

Cette année, l’APDA a également lancé fin juillet une pétition qui a dépassé à ce jour les 7500 signatures requises pour que la question puisse être étudiée au Parlement. Dans cette pétition, l’APDA insiste sur le que fait que cette “nouvelle attaque contre la liberté d’expression et d’association des supporters au Portugal” ne touchera pas seulement les groupes actifs, mais bien tous les fans. Notamment à travers la question des déplacements, soumis aussi à la Cartão.

La pétition pour atteindre les parlementaires est une des cordes à l’arc de l’APDA qui a aussi lancé une procédure devant les tribunaux. Ça illustre le choix assumé de recourir à la voie légale et juridique pour obtenir l’annulation de la Cartão do Adepto. Même si on peut être dubitatif devant cette stratégie, João Lobo la défend. “Au point où nous nous trouvons, les transformations auxquelles nous aspirons ne vont pas être réalisées simplement par des actions de rue. Nous concentrons notre travail sur la voie judiciaire ainsi que sur la voie politique, car ce sont les seuls moyens actuels de construire une véritable lutte. C’est la voie du changement.”

“Diz Não ao Cartão!”: Une mesure massivement rejetée

L’association des supporters n’est pas seule à s’opposer à la Cartão. Il y a aussi plusieurs clubs qui ont d’ors et déjà pris publiquement position contre cet instrument. Benfica, Porto, le Vitória Guimarães ou encore Braga, se sont montrés très critiques sur la manière dont l’APCVD encadre sa mise en place. Le Benfica juge par exemple la Cartão do Adepto “discriminatoire et nuisible aux intérêts des clubs”. Le FC Porto parle d’une “barrière administrative pour les supporters”. Tandis que Braga trouve qu’elle “va à l’encontre des valeurs défendues par le football” et Guimarães lui reproche de “chasser les familles des stades”.

Les Super Dragões ont fait le choix de protester contre la Cartão depuis l’intérieur. Ici lors de la réception de Belenenses-SAD le 8 août dernier. (©Tony Dias/Global Imagens)

Publiée à l’équivalent du Bulletin Officiel en le 26 juin 2020, la mesure aurait dû être mise en place au début de la saison 2020/21. Mais les restrictions sanitaires et les huis clos en ont décidé autrement. C’est chose faite cette saison, alors que les supporters font leur retour dans les stades après une longue absence qui n’a pas empêché la protestation de s’exprimer via les réseaux sociaux, où on voit fleurir notamment le slogan “Diz Não ao Cartão!”. Mais aussi dans la rue où des banderoles sont régulièrement accrochées. La plupart des groupes de supporters du pays parlent en effet d’une même voix contre la Cartão. “Nos couleurs nous divisent, nos valeurs nous unissent” est un des slogans de la mobilisation. Parmi tous les groupes impliqués, on retrouve les Insane Guys (Vitória Guimarães), la Furia Azul (Belenenses), les Diabos Vermelhos 1982 (Benfica) ou encore les Super Dragões (FC Porto). Dans un communiqué, ces derniers ont exprimé leur position, malgré le fait qu’ils aient pris la décision de ne pas boycotter le retour en tribunes: “Nous sommes, et serons toujours, fortement engagés dans la lutte contre une loi persécutrice, dont la constitutionnalité et l’efficacité sont hautement discutables […] Nous sommes tous unis dans ce combat! Il n’y a pas de “pour” ou “contre” la Carte de Supporter. Nous sommes tous contre!

Une position qui donne un caractère multiforme à cette lutte qui, comme souvent quand elle vient du monde des tribunes, pose des questions sociétales plus larges sur les libertés démocratiques. “Il est juste de dire que le citoyen portugais, dès qu’il devient un fan, perd les droits et les garanties qui sont normaux dans un état démocratique. […] L’expression de cette sous-culture subit des pressions incroyables, et nous pouvons affirmer qu’aujourd’hui il n’y a plus de liberté d’expression dans les enceintes sportives portugaises.” selon les propos de João Lobo. Pendant que les droits et les libertés des supporters reculent, la classe dirigeante se gave. Ce que résume assez bien le Manifeste de l’APDA: “Dans un pays qui dépénalise les délits financiers, qui accorde l’immunité aux hommes les plus puissants qui détruisent notre société et qui tolère les abus de toutes sortes de la classe politique, on a maintenant le culot d’imposer des règles dictatoriales à ceux qui voudraient se rendre au stade pour assister à un match de football.”

 

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