Un autre football est possible: Dix clubs qui appartiennent à leurs supporters

Aux quatre coins du continent européen, des clubs repris ou créés de toutes pièces par leurs supporters, en opposition au football moderne, ont vu le jour. Voici une petite sélection montrant la diversité, la crédibilité sportive et l’engagement social de cet “autre football” qui défie la propriété privée.

Clapton CFC (Angleterre)
(Eastern Counties League Division One South – 10e div.)

Fort 1700 membres, présents dans plus de 30 pays, le Clapton Community FC connaît une popularité sans pareil  au fin fond du football amateur. Créé seulement en 2018 par des fans du mécontents de la confiscation du Clapton FC par la direction, il fait déjà partie des références européennes de cet “autre football”. Le buzz de son maillot “away”, aux couleurs de l’Espagne républicaine et antifasciste de 1936, a permis au club de l’est de la capitale de faire connaître son projet hors de Grande-Bretagne. Depuis, son ancrage local solide lui a permis d’acquérir l’historique Old Spotted Dog, plus vieux terrain de football londonien. Le Clapton CFC a remporté plusieurs trophées chez les hommes comme chez les femmes. Le parcours mémorable de l’équipe féminine, qui a atteint le 3e tour de Women’s FA Cup en 2020/21, a permis de mettre en lumière l’inéquité des dotations.

Ménilmontant FC 1871 (France)
(D4 Seine-Saint-Denis – 11e div.)

Contre les milliardaires, face à la répression, le football populaire, c’est notre Ligue des champions”, chantent ses supporters. Dans son nom, le club amateur basé dans l’est parisien, met en avant du quartier Ménilmontant, son nom arbore la date de la Commune de Paris. Autogéré, antifasciste et libertaire, le club profite de ses matchs pour afficher son soutien à de nombreuses luttes sociales et émancipatrices comme celle des peuples palestiniens ou kurdes au Rojava. Il a sorti en 2019 un maillot aux couleurs du drapeau palestinien, avec une partie des bénéfices des ventes destinés à financer un projet de bibliothèque itinérante dans le camp de Dheisheh, au sud de Bethléem. Également très engagé contre les violences policières, le MFC 1871 n’a pas d’équivalent dans l’Hexagone.

NK Zagreb 041 (Croatie)
(2. Zagrebačka NL – 7e div.)

Dans un football des Balkans gangréné par la peste ultra-nationaliste, le NK Zagreb 041 est une perle rare. Créé en décembre 2014 par une partie des supporters organisés du NK Zagreb (champion de Croatie 2002) en désaccord avec la gestion autoritaire et la trajectoire mafieuse prise par leur club de cœur. Les White Angels (Bijeli Anđeli en croate), à l’origine de sa fondation, sont connus comme les seuls ultras du pays à afficher des positions antifascistes, antiracistes et anti-homophobes. Organisé de manière non hiérarchique et horizontale, le NK Zagreb 041 – référence à l’indicatif téléphonique de Zagreb au temps de la Yougoslavie – est aussi le seul du pays à avoir mis en place, à travers le football, des initiatives concrètes en solidarité avec les réfugiés.

FC United of Manchester (Angleterre)
(Northern Premier League – 7e div.)

Difficile de ne pas mentionner le protest club mancunien tant il est devenu un modèle pour de nombreux projets de propriété collective qui ont poussé à travers l’Europe au 21e siècle. Le FCUM a été fondé en 2005 par des supporters de Manchester United, rompus à la lutte contre les dérives du foot business, en réaction au rachat du club par le milliardaire Malcolm Glazer. Leur réponse: un club reposant sur un fonctionnement démocratique et égalitaire où chaque membre dispose de la même voix. Sa devise “Our club, our rules” résume l’état d’esprit du mouvement des fan-owned clubs. Aujourd’hui, le “Red Rebels” fédèrent une importante communauté et dispose de leur propre stade où se pressent en moyenne quelques 2000 supporters. Le maintien de prix abordables fait d’ailleurs partie des principes fondateurs du club. Deux décennies après sa création, et quelques crises internes traversées, le FC United of Manchester reste la référence des clubs gérés par leurs supporters.

Centro Storico Lebowski (Italie)
(Promozione Toscane – 6e div.)

Dans la Botte, le CS Lebowski – dont le nom intrigant rend hommage au film culte des frères Coen – prend un peu plus la lumière que les autres. S’il ne reprend pas forcément l’appellation calcio popolare à son compte, il en a les principaux marqueurs:  pas de patron et un engagement communautaire fort. Il est né en 2010, en partie à l’initiative d’anciens ultras de la Fiorentina «fatigués des championnats sans surprises, des classements dessinés par les droits télévisés et les intrigues de palais, […] d’un football sans attente et sans pause qui ne peut plus patienter jusqu’au dimanche, de la soumission aux lois du marché qui transforme le jeu en marchandise, de l’action de l’État avec ses décrets spéciaux pour protéger le business». Le développement du club florentin – qui a pu attirer dans ses filets Borja Valero – est à prendre au sérieux. Le club, qui a aussi développé une école de foot gratuite et vu son équipe féminine évolue atteindre la 3e division, rêve d’aller voir plus haut.

AKS Zły (Pologne)
(Klasa A – 7e div.)

(©Piotr Maniszewski)

Fondé à l’été 2015 lors d’une réunion d’une douzaine de personnes. Quelques mois plus tard, il engageait une équipe féminine et une équipe masculine en championnat (évoluant respectivement au 3e et au 7e niveau). L’égalité de traitement des deux équipes est un principe fondamental de l’AKS Zły, seul club de ligue à affirmer des positions antiracistes et pro-LGBT de Pologne. Le club alternatif du quartier populaire Stara Praga de Varsovie se présente comme le premier club démocratique du pays. Il tire son nom du héros d’un roman des années 50. Un célèbre défenseur des opprimés dont on retrouve l’esprit dans les projets solidaires dans lesquels s’implique l’AKS Zły, dans les domaines de l’éducation, de l’inclusion ou de l’accueil des réfugiés. Dans son “antre” de la Don Pedro Arena, où l’entrée est libre et le fair-play prime, c’est l’équipe de sa catégorie qui attire le plus monde.

Proodeftiki Toumba (Grèce)
(Catégorie B – Ligue de Macédoine – 6e div.)

Le club de Proodeftiki, basé dans le quartier de Toumba à Thessalonique, existe en réalité depuis 1952, fondé par des militants de gauche, d’où son nom signifiant “progressiste”. Proodeftiki a été récupéré en 2008 par des anarchistes du quartier réunis au sein de l’assemblée “Ekriksi” (“Explosion”), alors qu’il était pratiquement à l’abandon. C’est pourquoi, le club s’est officieusement rebatisé Proodeftiki “Explosion” Toumba. Dans une ville traversée par la rivalité entre ses principaux clubs et où les hooligans du PAOK ont causé, il y a un peu plus d’un an, la mort d’un fan d’Aris par arme blanche, Proodeftiki dénote. Et ses couleurs officielles, devenues le violet et le noir, sont un clin d’œil à l’anarcho-féminisme. Un pied-de-nez aux stéréotypes patriarcaux véhiculés par le football. En tribunes, le club fait aussi vivre ces valeurs en refusant les slogans sexistes, privilégiant ceux en solidarité avec leurs camarades révolutionnaires emprisonnés.

UC Ceares (Espagne)
(Tercera RFEF – 5e div.)

Si l’UC Ceares, équipe d’un quartier populaire de Gijón, existe depuis 1946, il vit sa seconde jeunesse depuis 2011 après qu’une troupe de socios prônant une alternative au football marchand en a repris les rênes en remportant les élections. Alors qu’il était sur le point de disparaître, le modèle d’actionnariat populaire va insuffler un vent nouveau. Modeste dans tous les sens du terme, l’UC Ceares a adopté le slogan « Derniers en argent, premiers dans les cœurs » comme slogan de sa première campagne d’adhésion. La dynamique enclenchée a payé: le nombre de socios a quadruplé et le stade La Cruz – où toute insulte sexiste, homophobe ou raciste est prohibée – s’est repeuplé. Un match y a des airs d’ambiance “à l’anglaise”, jusqu’à sa façade où on peut lire un grand “Against Modern Football”.

US Città di Fasano (Italie)
(Serie D 4e div.)

(©Italyra)

Dans le panorama italien des clubs gérés par leurs supporters, l’US Città di Fasano est celui qui évolue le plus haut. C’est aussi un des rares à ne pas avoir été créé de toute pièce par ses supporters. Depuis janvier 2016, les supporters ont en effet repris les rennes du club sous la forme d’un actionnariat populaire, via l’association “Il Fasano siamo noi”, lui évitant une énième faillite. Ce changement de modèle va se traduire par un regain sportif avec deux montées consécutives (2017 et 2018) jusqu’à atteindre la Serie D, où il est actuellement installé. Des résultats admirables pour un club qui affiche un des plus petits budgets de sa division. Le club fonctionne autour d’une cinquantaine de salariés, dont une trentaine de joueurs faiblement rémunérés, et une quinzaine de bénévoles de l’association “Il Fasano siamo noi” qui gère la partie administrative et compte près de 700 adhérents. “Il Fasano siamo noi” est parvenu à replacer le club comme un acteur de la vie locale et, plus largement, à se faire un nom dans cette terre du foot que sont les Pouilles.

PAC Omonia “29 mai” (Chypre)
(Πρωτάθλημα Β΄ Κατηγορίας 2e div.)

Avec le People Athletic Club “Omonia 29M”, les supporters de la Gate 9 ont décidé de perpétuer l’histoire de l’AC Omonia, club historiquement lié au mouvement communiste chypriote. La vente de ce dernier à un homme d’affaire a précipité la création du PAC Omonia. « Notre slogan principal est “Nous ne commençons pas, nous continuons”, car selon nous, le nouveau club porte les valeurs des fondateurs de 1948 ». La Gate 9 est la garante d’une identité sociale et antifasciste forte. Depuis 2018, le club a gravi un à un les échelons jusqu’en 2e division, résistant aux coups tordus et diverses sanctions des instances. A quelques matchs de la fin de la saison 2023/24, il est sur le point de devenir le premier club géré démocratiquement par ses supporters à accéder l’élite professionnelle. « D’abord ils t’ignorent, puis ils se moquent de toi, ensuite ils te combattent et à la fin tu les bats », avait prophétiquement annoncé la Gate 9. Ce qui paraissait être un pari parfaitement fou en 2018 est devenu une réalité.

Asteras Exarcheion (Grèce), HFC Falke (Allemagne), Ideale Bari, Brutium Cosenza, Cava United, Frazione Calcistica Dal Pozzo (Italie), Unionistas de Salamanca, CAP Ciudad de Murcia, UD Ourense, CFP Orihuela (Espagne), le KSK Beveren (Belgique), ou le City of Liverpool (Angleterre) auraient aussi largement pu figurer dans cette sélection.

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Atlas du football populaire, disponible ici

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