Le PAC Omonia 1948, un nouveau club pour continuer d’écrire l’histoire

« L’histoire est écrite par ceux qui résistent ». C’est avec cette longue banderole et des dizaines de fumigènes que les fans du PAC Omonia 1948 avaient accueilli les joueurs pour le tout premier entraînement de l’histoire de ce club, né officiellement le 23 juillet 2018. Il a été créé par des supporters historiques de l’AC Omonia, en guerre contre la vente de leur club de cœur avec la volonté de renouer avec ses racines sociales et perpétuer son histoire. A l’issue de sa première saison, le club accède déjà à l’échelon supérieur, le 4e niveau du football chypriote et ne compte pas s’arrêter là.

« Nous sommes un nouveau club mais avec des racines très anciennes, né parmi ceux qui sont orphelins de leur équipe de football, un club dont l’équipe de football n’aura pas de fans mais dont les fans auront une équipe de football. » Le communiqué annonçant la création du club est clair. L’Athletic Club du Peuple Omonia 1948 (Aθλητικό Λαϊκό Σωματείο Ομόνοια 1948 / PAC Omonia 1948) n’a pas été créé sur une page blanche et compte bien perpétuer l’histoire de l’AC Omonia, aujourd’hui entre les mains d’un homme d’affaire. « Nous sommes convaincus que nous ne sommes pas séparés du club. En fait, c’est la section football qui s’est séparée du club omnisports. Nous continuons l’histoire du football à Omonia en créant notre nouveau club, car nous n’avions plus d’équipes à soutenir. Notre slogan principal est “Nous ne commençons pas, nous continuons”, car selon nous, le nouveau club porte les valeurs des fondateurs de 1948. » dira un membre du PAC Omonia au site Gazzetta.gr dans un article repris par Rebel Ultras.

Retour aux sources communistes

Mais pour comprendre d’où vient le PAC Omonia, il faut repartir des origines : l’AC Omonia. Le club naît en juin 1948. Une année de lutte féroce de la classe ouvrière chypriote contre le gouvernement colonial britannique, avec la grande grève des mineurs de la Cyprus Mining Company. Les 4300 mineurs menèrent une grève héroïque de 266 jours pour l’amélioration de leurs conditions de travail, dépassant les divisions entre turcophones et grecophones, affrontant les balles de la police coloniale et les manœuvres du syndicat jaune pour briser la grève. La bourgeoisie finit par céder, effrayée par l’idée d’une contagion du contexte grec avec l’insurrection communiste lancé par l’Armée Populaire de Libération Nationale (ELAS) en 1946, marquant le début d’une guerre civile qui durera trois ans. Chypre ne va pas moins rester le théâtre de vives tensions nationalistes sous l’impulsion de la droite pro-monarchiste et de l’Église orthodoxe, partisans de l’annexion de l’île à la Grèce.

Cette année 1948 va aussi être déterminante dans l’histoire locale du football, et du sport en général. La structuration du sport chypriote comme un sport politiquement divisé remonte à cette date. D’un côté, il y a les clubs proches du Parti Progressistes des Travailleurs (AKEL), tendance communiste, et de l’autre, il y a ceux de droite, sympathisants du nationalisme grec, clairement anticommunistes et plutôt liés à Dimokratikos Synagermos (DISY). Les premiers clubs de gauche apparaissent en 1948, créés par des sportifs communistes exclus de leur club, comme à Famagouste, sur la côte est de l’île, avec l’AC Nea Salamina. Ce climat anticommuniste se propage aux autres clubs à l’approche des Jeux Panchypriotes de 1948. Pour mettre la pression, la SEGAS, fédération grecque de sport amateur, a exigé des clubs chypriotes que leurs athlètes signent une déclaration, en forme de soutien à la monarchie grecque, condamnant les communistes. Les athlètes de gauche qui ont refusé de se soumettre à cette injonction se sont faits exclure des clubs et interdire l’accès aux stades. Représentant de la communauté grecque, l’APOEL Nicosie, club le plus puissant de Chypre, a lui fait allégeance au régime. Au moins de sept sportifs communistes de l’APOEL seront exclus, considérés comme des « ennemis de l’intérieur ». Certains vont fonder l’AC Omonia quelques semaines plus tard : Kostas Limpouris, Gogakis Karagiannis, Agisilaos Tsialis, Andreas Kariolou et Takis Skaliotis.

La Gate 9 rompt avec AKEL

Les clubs de gauche créent alors leur fédération parallèle. Jusqu’en 1953, deux championnats distincts vont cohabiter. Aujourd’hui, même si la libéralisation du football a en partie atténué cet antagonisme politique très fort, il reste caractéristique du football chypriote. Notamment parmi les supporters. A Nicosie, supporter Omonia ou APOEL ne relève pas du hasard. C’est un engagement politique. L’Omonia AC, qui arbore le trèfle de l’espoir comme emblème, est vite devenu un des clubs les plus populaires. Ses liens avec AKEL sont de notoriété publique. Plusieurs membres du parti siègent au conseil du club. Les supporters ont longtemps été un réservoir électoral. Au cours des années 2000, ces liens vont commencer à devenir pesants pour certains des fans les plus radicaux, organisés au sein de la Gate 9 qui reproche au parti sa mainmise sur le club et son instrumentalisation électorale, au détriment de ses valeurs historiques. Des tensions récurrentes depuis 2008 avec l’arrivée à la présidence de l’entrepreneur Militiades Neophytou, soutenu par AKEL. Une présidence marquée par le boycott de la finale de la Coupe de Chypre 2011, pour protester contre le prix trop élevé des billets.

Créé en 1992, le groupe ultra de la Gate 9 s’est affirmé comme le garant de cette identité sociale et antifasciste forte, au fur et à mesure que la direction du club s’en éloignait. Jusqu’à rompre avec AKEL en 2015/16 au moment des élections internes de l’AC Omonia, dans un climat marqué par le gros endettement du club. Face aux protestations, la direction interdit de stade plusieurs ultras de la Gate 9, balançant même aux flics plusieurs ultras actifs. Le groupe répondra par un boycott des matchs à domicile : « Si l’un d’entre nous est interdit de stade… Personne n’y reviendra tant que les interdictions ne seront pas levées ».

Always against modern football

L’ultime coup de couteau dans l’histoire de l’AC Omonia est la vente du club. Au bord de la faillite et sur le point d’être sanctionné par l’UEFA, la direction du club sort de sa poche un « sauveur », en la personne de Stavros Papastavrou, un homme d’affaire chypriote vivant aux États-Unis. La goutte d’eau pour la Gate 9, et le signe que le club allait définitivement prendre une direction opposée à son histoire. Le groupe ultra qui arbore fièrement une bâche « Against modern football » voit ses couleurs en devenir l’antithèse. L’idée d’un nouveau club n’est pas apparue du jour au lendemain. Elle était déjà dans quelques têtes au sein de la Gate 9. Pour sauver leur club historique, les partisans de la Gate 9 ont mis sur pied une nouvelle structure sans disposer de moyens. Une rupture qui n’a pas été si simple. « Quiconque prétend ne pas avoir souffert est un menteur. Ce que nous disons, c’est que cette nouvelle société n’a rien à voir avec notre équipe, même si elle en porte toujours les insignes car certains ont vendu notre emblème à une société de la pire espèce, en propriété exclusive. La tribune où nous chantions il y a cinq mois est maintenant vide. On se sent comme si on s’était faits virer de chez nous. Et en même temps, il y a de la joie pour ce nouveau départ. Nous avons donné, espérons-le, un nouveau “chez soi” à de nombreux supporters qui se sentaient comme “sans-abri” après la vente du club. »

Dans l’esprit des fondateurs du PAC Omonia, les choses sont claires, ils sont les continuateurs d’une histoire avec laquelle l’AC Omonia sauce Papastavrou a rompu. Dès les premières heures, le club dépasse les 550 membres. Ils sont encore plus nombreux aujourd’hui. Une partie conséquente de la base sociale de l’AC Omonia a rejoint le projet qui revendique un fonctionnement horizontal. Chaque membre dispose d’une voix et il n’y a pas de président. Seulement un CA de onze personnes et des commissions ouvertes à tous. Même si le PAC Omonia 1948 allait partir de la division la plus basse, le club a eu toutes les peines pour obtenir son accréditation et trouver un terrain. « Orpheas Nicosie, un club de gauche, nous a prêté son terrain pour notre premier entraînement et nous avons réussi à trouver un terrain pour disputer nos matches à domicile à Thoi, dans la région de Lakatamia à Nicosie ». Cette première séance d’entraînement est l’occasion pour les footballeurs de l’équipe de se rendre compte du soutien considérable dont le PAC Omonia jouit déjà. Une anomalie pour un club amateur, mais une garantie pour l’avenir du club.

Malgré un tout petit budget, le club a réussi à attirer des footballeurs semi-professionnels. Dès sa première saison, le club a rempli son objectif d’être parmi les quatre équipes accédant à la 4e division. La prochaine étape est la création d’une académie de football pour les plus jeunes. Fidèle à ses valeurs, le club se montre actif sur le plan social, en soutenant par exemple la grève des enseignants ou encore en organisant une collecte de fonds pour les victimes des incendies meurtriers de l’Attique en août 2018. Le PAC Omonia 1948 entend prouver qu’on peut se professionnaliser sans céder aux sirènes du football moderne. Pour cela, il compte bien gravir rapidement les échelons jusqu’à l’élite. Et pouvoir mettre, sur le terrain, l’Omonia de Papastavrou en déroute.

 

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