“Un club comme l’USMA mérite vraiment un groupe ultra digne de son histoire”

Nous avons discuté avec « Ribelli », usmiste depuis toujours. L’occasion d’aborder la situation du mouvement ultra en Algérie, mais aussi le cas plus particulier de son club, l’Union Sportive de la Médina d’Alger, dont le président Ali Haddad est un proche du clan Bouteflika.

D.F : Pour commencer, parle-nous un peu des supporters de l’USMA et de cette tribune des Ouled el Bahdja?

Ribelli : La tribune a connu son âge d’or lors de la remontée du club en 1ere division en 1995. C’était l’époque du président historique Said Allik, un ancien joueur et entraîneur du club. Mais depuis le rachat de l’USMA par Ali Haddad en 2010, le club a progressivement perdu son identité. Ali Haddad fait partie du clan mafieu qui dirige le pays avec Bouteflika. Le club est trop “politisé” et trop proche du régime. Et le mot « ultras » n’y est pas le bienvenu. T’imagines que pour lever une banderole il faut demander permission ? C’est pour ça qu’on reste indépendants, même si on est peu. Les « indéps » ne sont pas forcément nombreux, une quarantaine, mais sont toujours présents dans les parcages. Sans aucune bâche par contre. Ils n’ont aucun lien ni aucune relation avec la direction du club, ni même avec les Ouled el Bahdja. De vrais usmistes existaient avant l’arrivée de Haddad. Mais aujourd’hui, ce sont les Ouled el Bahdja qui dominent le virage. C’est un groupe de supporters – ils rejettent l’appellation « ultras » – apparu trois mois après l’arrivée de Haddad au club, vers novembre 2010. Ils sont très proches de la direction du club qui l’a déjà « sponsorisé » lors de grands matchs et qui leur facilite l’accès au stade pour la préparation des banderoles et des tifos. Aujourd’hui, il y a un contrôle strict sur les banderoles déployées dans le virage. La réalité, c’est que d’autres groupes ont déjà essayé de bâcher mais ils ont rencontré de grosses difficultés. Si un groupe ultra cherche à s’implanter dans les tribunes de l’USMA, c’est sûr qu’il va y avoir des problèmes et des bagarres. Depuis l’arrivée de Haddad, c’est le seul club où il n’y a pas d’ultras. A l’intérieur du virage, des gens sont chargés de veiller à ce qu’aucun groupe ultra ne bâche. Il y a eu comme un lavage de cerveau des supporters. Et, même si les ultras n’ont existé que trois ans pas plus, 90 % des supporters méconnaissent le passé du virage, et méconnaissent le contexte et la mentalité ultra tout court. Soit-disant, l’USMA n’aurait pas besoin d’ultras. Malgré tout l’influence de ce passé récent reste visible en tribune, même si officiellement les supporters rejettent cette culture.

Comment c’était avant l’arrivée des Ouled el Bahdja dans le virage ?

Les déplacements, ça a commencé vers les années 80. Après sept ans en D2 et avec la remontée en 1995 ça a pris beaucoup plus d’ampleur. Puis avec l’arrivée des ultras fin 2008, de nouvelles formes d’animation des tribunes sont apparues, quelques tifos… Il y avait les I Rossi Algeri, fondés en 2008 et dissous en 2010. C’était le groupe le plus important. Parmi ces anciens ultras, certains ont rejoints les supporters, d’autres les « indépendants » et d’autres ne sont jamais revenus au stade. Il y avait aussi les Ultras Diablos. Tous se sont dissous. C’est dommage. Malgré tout, les ultras de l’USMA n’avaient pas trop de membres. C’était tout nouveau. Il y avait aussi le groupe Milano, un groupe « chant » fondé en 1994. Le premier groupe « chant » en Algérie et au Maghreb. Sa mise en stand-by coïncide aussi avec l’arrivée de Haddad en 2010. C’est rare de les voir au stade. C’est de l’histoire ancienne. Les chants du groupe Milano, ce sont des chefs-d’œuvre. Même les rivaux du Mouloudia Club d’Alger, du CR Belouizdad ou de la JS Kabylie te le diront. Même des Marocains et des Tunisiens te le diront. C’est qu’il s’agit du doyen des groupes « chants ». Pour certains, ça reste le seul vrai groupe « chant » de l’USMA. Il était déjà contre le régime lors de la Décennie Noire entre 1992 et 1999, à l’époque du couvre-feu. Tu vois la différence ? Un club comme l’USMA mérite vraiment un groupe ultra digne de son histoire, autant comme club révolutionnaire que comme tribune.

Tout à l’heure tu parlais de l’identité de l’USMA, perdue depuis l’arrivée de Haddad. Comment tu la définirais ?

Le club n’a jamais été aussi étatique depuis sa création en 1937. L’USMA était un vrai club révolutionnaire, historiquement lié à La Casbah – même si aujourd’hui elle a bien changé – quartier où le club a été fondé. Beaucoup de martyres de la guerre de Libération du pays étaient des joueurs ou des dirigeants du club. L’USMA a plus de 50 martyrs. Un des plus connus est Abderrahmane Arbadji, qui était le chef de la Région I de la Zone Autonome d’Alger en 1957. Il y a d’autres grands noms. Tous ne sont pas morts durant la guerre mais ce sont de vrais rebelles usmistes, comme Omar Hammadi, dont le stade porte le nom, ou Zoubir Bouadjadj. Tous deux ont participé à la guerre entre 54 et 62. Moi je n’ai pas attendu Haddad pour aimer l’USMA. C’est depuis mon enfance, une passion transmise de père en fils. J’ai encore quelques images en tête de mon premier match : la finale de la Coupe d’Algérie en 2001, avec un but de Hocine Achiou. Je suis nostalgique de l’époque Groupe Milano et du président Saïd Allik même s’il est aujourd’hui directeur du CR Belouizdad, un autre rival de l’USMA. Preuve que le football algérien dans son ensemble a perdu ses repères, comme l’identité ou l’attachement des joueurs à leur club. L’actuel directeur général de l’USMA, Abdelhakim Serrar est un pur produit de l’ES Sétif, ancien joueur et président. Ce n’est pas normal qu’il soit à l’USMA. C’est symptomatique de la modernisation du football algérien. Comme les joueurs qui sont des mercenaires ayant souvent déjà joué pour les clubs rivaux. Souvent, les autres clubs détestent l’USMA et le MCA, les deux clubs de la capitale. Mais il faut les comprendre, les deux clubs ont été rachetés par de grosses sociétés étatiques : l’ETHRB de Haddad et la Sonatrach. L’USMA et le MCA sont de vrais modèles de football moderne en Afrique du Nord, avec ses salaires élevés et ses transferts records.

Le mouvement ultra algérien semble très influencé par l’Italie.

Déjà il faut préciser que le mouvement ultras est très jeune en Algérie. Le premier groupe est apparu en 2007. Ce sont les Verde Leone du MCA, dissous en 2018. Il faut remonter au milieu des années 90 pour voir les premiers signes de cette influence. Toute la jeunesse algérienne est alors obsédée par l’Europe et pas seulement l’Italie, avec le phénomène des haraga (ndlr : littéralement ceux qui franchissent les frontières) qui veulent à tout prix quitter le pays. D’abord dans la rue, puis dans les tribunes qui sont le miroir de la rue. L’influence italienne est partout dans les stades algériens. Normal, c’est la base. On la retrouve dans les noms des groupes ultras ou des groupes « chant ». Au MCA, le groupe « chant » des Verde Leone c’est le groupe Torino, toujours très actif depuis ses debuts en 2008. A l’USMA, c’est le groupe Milano, même s’il ne revendique pas la mentalité ultra.

Tu dis que Ouled el Bahdja sont proches de Ali Haddad, mais dans leurs chants ils critiquent le régime. Comment tu expliques cela?

Oui, ils chantent contre le régime. Certains sont en pleine contradiction. Il y a aussi le fait que ce n’est pas Haddad qui traite directement avec les supporters. Il y a une hiérarchie intermédiaire qui s’en charge. Il est finalement assez loin du club. Il n’a vu l’USMA que deux ou trois matchs en neuf saisons, pas plus. Il préfère s’occuper de politique ou d’affaires. Donc les usmistes n’ont pas tous le même avis à son sujet. Il y a ceux qui sont contre lui depuis le premier jour, et il y a les autres pour qui c’est le contraire, surtout avec les titres que le club a ramené sous sa direction. Mais ils s’arrêtent à ça et ne connaissent pas l’envers du décor.

D’ici, on a l’image de tribunes très politisées. Qu’en dis-tu ?

C’est simple, le stade est le seul endroit où la jeunesse peut exprimer sa colère face à tous les problèmes sociaux ici : chômage, drogue, prison… Beaucoup de tribunes ont des chants contre l’État, que ce soit le MCA, le CRB ou le NA Hussein Dey avec les Dey boys. Les premiers ultras à avoir sorti une banderole contre le régime sont ceux du CRB en 2014. Après leur tribune avait été fermée. Souvent les autorités répondent aux ultras par des matchs à huis clos.

2 Comments

  1. Bonjour je viens de lire votre article je suis membre du groupe Ouled El Bahdja est je veux répondre à cette personne qui était membre avec nous est que j ai reconnu facilement car son nom d’emprunt c’est moi qui lui ait donné y’as qu’elle que année pourrai-je lui répondre et rétablir qu’elle que vérité

    • Bonjour, vous pouvez proposer une réponse dans l’espace commentaires qui est fait pour. Elle sera publiée après modération. Cordialement. DF

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