Souvent évoquée, peu comprise, l’Histoire de l’Irlande est tout autant dure et complexe que riche et inspirante. Le foot, comme souvent, est un outil puissant pour comprendre la société et les enjeux historiques. Le Celtic Glasgow et ses supporters les plus fidèles n’échappent pas à la règle.
Fondé par des immigrés irlandais, le Celtic Glasgow, bien que basé en Ecosse, reflète à merveille l’Histoire de l’Irlande. Mais, si le club est toujours sensible à certaines causes, le Celtic – comme la quasi-totalité des clubs professionnels – est devenue une entreprise dont le but premier est d’amasser du capital. Garant de la tradition, de la ferveur et de la passion, la Green Brigade se fait souvent remarquer depuis 2006 avec des messages forts. A travers treize ans de tifos et animations de ces Ultras, nous proposons de revenir sur l’Histoire d’une nation et d’un club qui n’en reste pas moins populaire et mythique.
La Grande famine
Au milieu du XIXème siècle, quand une terrible famine fait plus d’un million de victimes, l’Irlande est sous contrôle de l’Empire britannique. Souvent présentés comme pionniers de la démocratie politique, les Empires européens sont moins analysés dans les cours d’Histoire officiels sous l’aspect suivant : les politiques criminelles qu’ils ont dû mettre en place pour atteindre leur prospérité. Certes, l’Irlande paysanne n’a pas été épargnée par les catastrophes naturelles1. Mais la couronne britannique a également une grande part de responsabilité dans cette famine. Les paysans irlandais ne pouvaient pas être propriétaires de leur terre et devaient payer un dû à un propriétaire britannique. Aussi, au plus fort de la famine, le gouvernement britannique a toujours fait pression pour que l’exportation des pommes de terre irlandaises continue. Nous le verrons à travers d’autres tifos de la Green Brigade, ce ne sont pas les seules exactions commises par les autorités britanniques envers le peuple irlandais.
Modéré au début, The Old Firm – le derby entre le Rangers et le Celtic – est devenu le miroir de ce conflit politique. Contrairement au Celtic, le Rangers est réputé pour être loyaliste, protestant et soutenir l’attachement avec le Royaume-Uni. Autant dire que la rivalité est très chaude et la référence à la violence récurrente. Par exemple, ce tifo des Green Brigade fait référence aux Fenians, confrérie irlandaise qui lutta contre la présence britannique au XIXème siècle.
L’immigration et la naissance d’une légende: le Celtic Glasgow
En plus du million de morts causé par la famine, deux millions d’Irlandais furent également forcé d’émigrer, souvent vers les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. C’est dans ce contexte que le catholique Walfrid fonde en 1887, le Celtic Glasgow. Le club est créé pour venir en aide aux paysans irlandais exilés en masse dans la ville écossaise. Le Celtic est donc historiquement un club d’immigrés fondé pour et par les opprimés, comme l’indique ce deux-mâts tendu dans le bloc de la Green Brigade.
1967, l’apogée et les Lisbon Lions: l’antipode du football moderne
Sur le terrain, le club évolue jusqu’à atteindre les sommets de l’Europe en 1967 lorsque le Celtic gagne la finale de la coupe d’Europe à Lisbonne. Les fans du Celtic, férus d’Histoire, font depuis souvent référence à ces “Lisbon Lions”. Ils sont considérés comme des légendes, aux antipodes du football moderne néolibéral, pour une autre raison remarquable : durant cette finale, tous les joueurs2 présents sur la pelouse étaient nés à moins de 15 kilomètres du Celtic Park. En 2017, la Green Brigade leur a consacré un tifo sur les quatre tribunes.
La guerre civile et la répression britannique : Bloody Sunday
Si l’Irlande arrache son indépendance en 1921, le conflit avec l’ancien colon ne cesse pas pour autant. Pour cause, les Britanniques gardent le contrôle de six comtés dans le nord de l’Irlande. Dans ces comtés, les catholiques sont systématiquement discriminés et des mouvements civiques se mettent en place. Mais… en 1972, l’armée britannique tire sur la foule et fait 14 morts, c’est le Bloody Sunday. Clairement, la Green Brigade n’a pas manqué de condamner cette répression sanglante.
Et, cette prise de position se reportera sur les joueurs et leurs maillots. En effet, chaque année en novembre, les clubs britanniques – écossais aussi donc – affichent un poppy (« coquelicot ») en hommage aux vétérans de l’armée britannique. Seulement, la Green Brigade a fait pression pour que le symbole d’une armée responsable du Bloody Sunday – mais aussi présente en Irak et en Afghanistan – ne soit pas affiché sur la vareuse verte et blanche. Combat gagné.
Bobby Sands : symbole de l’IRA
La Green Brigade affiche régulièrement son soutien à l’Armée révolutionnaire d’Irlande (IRA) par ses chants et tifos. Bobby Sands a ainsi été mis à l’honneur dans le bloc 111 du Celtic Park. Membre de l’IRA, il mourra en prison des suites d’une grève de la faim pour protester contre le sort des prisonniers politiques républicains. A côté sur le tifo, figure William Wallace, chevalier écossais qui résista à l’Angleterre pendant les guerres d’indépendance de l’Ecosse. Subtil message pour mettre à l’honneur une figure du pays d’accueil du Celtic – l’Ecosse – et une figure du pays d’origine des migrants irlandais. Considérés comme des « terroristes » par les autorités, la Green Brigade sera punie par les dirigeants du Celtic pour ce tifo.
Champions League et Europa League : la voix des opprimés…
Si le Celtic Glasgow est devenu une société purement marchande, les supporters n’ont pas oublié que le club fut créé pour venir en aide aux migrants irlandais fuyant la misère. Ainsi, les matchs de Champions League et d’Europa League de leur équipe favorite sont pour eux un bon moyen de montrer leur engagement et leur solidarité envers les autres peuples opprimés.
Les drapeaux palestiniens sont toujours présents au Celtic Park. Mais quand le Celtic affronta le club israélien de l’Hapoel Beer Sheva en 2016, la Green Brigade a redoublé d’effort pour montrer son soutien au peuple palestinien et demander l’exclusion des clubs israéliens des compétitions internationales tant que la bande de Gaza sera colonisée.
Consciente de son Histoire, la majorité des supporters du Celtic est contre le racisme. Dans leur style ultra, les membres qui composent la Green Brigade et proviennent pour la plupart des quartiers ouvriers de Glasgow, ont récemment profité de la venue de la Lazio pour démontrer leur engagement contre le fascisme. Référence aux Brigades Rouges antifascistes italiennes, les Irish écossais ont répondu à leur manière aux supporters romains qui avaient à nouveau réalisé des saluts fascistes avant et pendant la rencontre d’Europa League.
… au sein d’une société conservatrice
En réponse au tifo sur les indépendantistes écossais et irlandais, le club avait suspendu 128 membres de la Green Brigade et déplacé 250 autres dans un autre endroit du stade. A l’image de la société et son tournant répressif, le club n’est pas le seul à réprimer ses supporters les plus engagés. Le gouvernement écossais – particulièrement – a mené la chasse aux supporters qui le dérangeaient, en votant des lois qui renforcent les contrôles et arrestations à domicile, dans et autour des stades, et limitent la liberté d’expression.
L’UEFA aussi, grande donneuse de leçons, a adressé de multiples amendes au Celtic pour le « comportement » de ses supporters. Comme si elle n’avait pas d’affaires de corruption à régler devant sa porte, l’UEFA préfère défendre son règlement qui interdit « tout signe politique, idéologique, religieux, offensant ou provoquant dans ses stades ».
Pourtant, nous venons de le prouver, le Celtic Glasgow, ses supporters, et le football de manière générale sont intiment liés et impliqués dans la société qui les entoure et dont ils font partie. Entrer dans un stade ne veut pas dire que, pendant 90 minutes, nous devons arrêter de penser et accepter n’importe quelle injustice ! Il est vrai que les instances dirigeantes du football, elles, n’ont aucune valeur politique ou idéologique : seul l’argent les intéresse.
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