Comme en France avec le “bleuet”, pour les matchs autour du 11 novembre les footballeurs professionnels anglais sont appelés à arborer le “poppy”, un coquelicot rouge, sur leur maillot en hommage aux morts de l’armée britannique. Depuis plus de dix ans, James McClean est un des seuls à boycotter cette initiative.
Ce samedi 9 novembre, Wrexham accueillait Mansfield Town en League One. Si les médias anglais ont beaucoup parlé de ce match de 3e division c’est que la minute de silence du “Remembrance Day” ne s’y est pas passée comme attendue. Capitaine du club gallois, James McClean s’est mis à l’écart de ses coéquipiers en signe de protestation, comme il l’avait déjà fait lors de l’hommage à la reine Elizabeth II, en septembre 2022 alors qu’il jouait à Wigan. A l’issue de la minute de silence, les supporters de Wrexham ont bruyamment salué l’attitude de McClean, entonnant “He hates the fucking King”.
Initialement utilisé en hommage aux morts britanniques dans la boucherie des tranchées de la 1ère Guerre mondiale, le coquelicot est par la suite devenu un symbole à la gloire de l’armée britannique et de ses guerres impérialistes. Dès les années 20, des mouvements pacifistes ont lancé le “white poppy” en opposition à cette armée responsable, comme l’ensemble de ses homologues, de millions de morts sur la planète. En 2019, la Green Brigade du Celtic FC – club historique de la communauté irlandaise de Glasgow – avait résumé cette position avec un message déployé en tribunes: “Irlande, Irak, Afghanistan: pas de coquelicot ensanglanté sur nos rayures”.
Les motivations de James McClean, natif du quartier de Creggan à Derry, sont du même bois. Le 30 janvier 1972, l’armée britannique a tué 14 manifestants dans sa ville natale. Le “poppy” est aussi couvert du sang de ce Bloody Sunday. Il s’en est expliqué dans une lettre ouverte adressée en 2014 au président du Wigan Athletic. “Que vous veniez de Creggan comme moi, du Bogside, de Brandywell ou de la majorité des coins de Derry, tout le monde vit encore avec le douloureux souvenir de ce jour qui est l’un des plus sombres de l’histoire de l’Irlande – même quand, comme moi, vous êtes né vingt ans après. C’est juste une part de ce que nous sommes, enracinée en nous depuis la naissance.”
De Sunderland à Wrexham, son refus de céder au port du “poppy” a toujours valu à McClean, fervent partisan de l’Irlande républicaine, d’être la cible d’insultes et de menaces répétées des franges loyalistes fascisantes. A la suite du match face à Mansfield Town, James McClean – qui a choisi de porter le maillot de l’équipe nationale d’Eire plutôt que celui d’Irlande du Nord – a de nouveau fait preuve de pédagogie pour expliquer son boycott du “poppy”. “Suis-je offensé par quelqu’un qui porte le poppy? Non, absolument pas. Ce qui m’offense c’est qu’on essaie de me forcer à le porter. […] Je suis pleinement conscient que nous ayons des croyances et une éducation différentes. Je n’imposerai jamais mes croyances aux autres, mais je ne suis pas assez stupide pour m’attendre à ce que ce soit réciproque.”
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En 2021, la Royal British Legion, organisation caritative de l’armée britannique qui gère la campagne du “poppy”, avait même apporté son “soutien total” à James McClean devant toutes les attaques qu’il subit pour exercer son droit à ne pas le porter. “Insister pour que les gens portent le poppy serait contraire à tout ce qu’il représente”, avait précisé l’organisation. En 2018, c’est le chanteur irlandais Damien Quinn qui a écrit un morceau en écho à son combat: “Comme James McClean, nous ne nous inclinerons pas devant une armée britannique ou une couronne anglaise. Je ne porterai pas de poppy sur ma poitrine, mais un trèfle à trois feuilles”.
Sur le terrain ou sur les réseaux sociaux, le footballeur est habitué à ce que la moindre de ses expressions à connotation politique déclenche une polémique haineuse. Pendant le confinement de 2020, c’est la publication sur Instagram d’une photo où on le voit cagoulé en train de donner une “leçon d’histoire” à ses enfants. Dernièrement, James McClean s’est fait brocarder pour avoir repris le fameux chant anti-monarchiste “He hates the fucking King”, avec les supporters lors des célébrations de la montée de Wrexham en League One. Comme toujours, il assumera. “Je l’ai aussi chanté à tue-tête. Dois-je m’excuser de l’avoir fait? Certainement pas.”
Plus proche de la fin de sa carrière que du début, James McClean a livré un regard lucide sur son isolement et la passivité de ses collègues footballeurs, notamment ses compatriotes, quand il s’agit de défendre ses droits. “J’ai probablement été un peu naïf en pensant qu’en étant le premier à prendre la parole, cela ouvrirait la voie aux jeunes Irlandais, mais il ne semble pas que ce soit le cas”. Pas de quoi le résigner pour autant. “Une chose que je ne ferai jamais, c’est mettre le genou à terre et renier mes convictions”, assure-t-il.
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